Si la sécheresse qui sévit dans notre pays a touché de plein fouet le secteur agricole, dont le déficit cette année est estimé à près de 69% par rapport à une saison agricole normale, le secteur de l’élevage, en général, et celui des viandes rouges, en particulier, n’ont pas été épargnés.
Alors qu’ont été lancés en urgence, il y a quelques jours, les marchés relatifs au programme exceptionnel dont l’objectif est de mitiger les impacts catastrophiques de la sécheresse, les éleveurs et les professionnels de la filière des viandes rouges sont toujours à la recherche du bout du tunnel.
« Nous vivons actuellement la pire sécheresse que le Maroc ait connue depuis 1981. Cette sécheresse advient dans un contexte déjà très difficile, dans lequel notre pays peine à se relever après deux années de pandémie qui ont mis à mal ses finances publiques. Ajoutez à cela une augmentation au niveau international des prix des intrants nécessaires à la production des viandes rouges », explique M’hammed Karimine, président de la Fédération Interprofessionnelle des Viandes Rouges (FIVIAR).
Alimentation très coûteuse
Pour comprendre l’ampleur des difficultés auxquelles font face les producteurs de viandes rouges, il est important de rappeler le rôle incontournable de l’alimentation destinée au bétail dans la détermination des frais et des marges bénéficiaires.
« La production des viandes rouges repose à 80% sur une alimentation issue de grains (maïs, soja, tourteau de tournesol, orge, etc.). La grande majorité de ces produits est importée. Or, certains de ces intrants ont connu plus de 50% d’augmentation de leurs prix en moins de 6 mois », détaille M’hammed Karimine.
« Au vu de la cherté des aliments pour le bétail et de l’absence de pâturage à cause de la sécheresse, de plus en plus d’éleveurs dans diverses régions du pays se retrouvent dans l’obligation de vendre et donc de « cannibaliser » leur bétail. C’est-à-dire que le troupeau se nourrit de lui-même jusqu’à ce qu’il disparaisse », décrit pour sa part Dr Yassine Jamali, vétérinaire et agriculteur installé dans la région de Kelaât Sraghna.
Des indicateurs au rouge
Un autre indicateur éloquent qui est par ailleurs directement corrélé au prix de la viande : le poids-carcasse des animaux réceptionné par les abattoirs.
« En temps normal, l’éleveur essaie de vendre un animal au bon moment. C’est-à-dire que l’éleveur va continuer à le nourrir tant que son gain journalier en poids couvre les frais de son alimentation. Dès que l’animal arrive à l’équilibre dans lequel ce gain en poids s’arrête, l’éleveur aura tendance à vouloir le vendre. En période de sécheresse, ces paramètres de gestion de la rétention ou de la non-rétention des animaux se retrouvent faussés puisque les éleveurs sont souvent obligés de vendre très tôt. On se retrouve à la fin avec une offre surdimensionnée et surtout pas conforme parce qu’elle n’offre pas de la qualité initialement prévue puisque les animaux ont été vendus avant de finir de prendre du poids », explique M’hammed Karimine.
« Au niveau des abattoirs agréés et contrôlés, nous avons observé une baisse moyenne de poids-carcasse, pendant ce début d’année, estimée à près de 20 kgs par bête (bovin : NDLR). C’est énorme ! », s’exclame-t-il.
Sauvegarder le cheptel
Les professionnels de la filière des viandes rouges observent actuellement une autre tendance inquiétante : « Nous avons remarqué qu’une partie très conséquente des animaux réceptionnés par les abattoirs sont des femelles. Cela explique la tendance à la baisse des prix de la viande, mais ça ne sera pas sans conséquences… À ce jour, nous avons un cheptel de reproduction stable avec lequel nous arrivons à satisfaire la demande nationale. Cependant, si on baisse de 20% le cheptel de femelles, cela ne manquera pas de se répercuter sur l’offre l’année prochaine et encore plus sur celle de l’année d’après », prévient le président de la FIVIAR. Face au déploiement du plan d’urgence, notre interlocuteur semble cependant confiant.
« Il s’agit d’efforts salutaires d’autant plus qu’ils ont été consentis à un moment très difficile. S’il fallait renforcer un axe particulier, ce serait bien celui relatif à la stabilisation des prix des aliments fourragers, car, actuellement, nous vivons sur un stock qui n’est pas illimité et dont les prix sont très élevés », recommande la même source.
Alors qu’ont été lancés en urgence, il y a quelques jours, les marchés relatifs au programme exceptionnel dont l’objectif est de mitiger les impacts catastrophiques de la sécheresse, les éleveurs et les professionnels de la filière des viandes rouges sont toujours à la recherche du bout du tunnel.
« Nous vivons actuellement la pire sécheresse que le Maroc ait connue depuis 1981. Cette sécheresse advient dans un contexte déjà très difficile, dans lequel notre pays peine à se relever après deux années de pandémie qui ont mis à mal ses finances publiques. Ajoutez à cela une augmentation au niveau international des prix des intrants nécessaires à la production des viandes rouges », explique M’hammed Karimine, président de la Fédération Interprofessionnelle des Viandes Rouges (FIVIAR).
Alimentation très coûteuse
Pour comprendre l’ampleur des difficultés auxquelles font face les producteurs de viandes rouges, il est important de rappeler le rôle incontournable de l’alimentation destinée au bétail dans la détermination des frais et des marges bénéficiaires.
« La production des viandes rouges repose à 80% sur une alimentation issue de grains (maïs, soja, tourteau de tournesol, orge, etc.). La grande majorité de ces produits est importée. Or, certains de ces intrants ont connu plus de 50% d’augmentation de leurs prix en moins de 6 mois », détaille M’hammed Karimine.
« Au vu de la cherté des aliments pour le bétail et de l’absence de pâturage à cause de la sécheresse, de plus en plus d’éleveurs dans diverses régions du pays se retrouvent dans l’obligation de vendre et donc de « cannibaliser » leur bétail. C’est-à-dire que le troupeau se nourrit de lui-même jusqu’à ce qu’il disparaisse », décrit pour sa part Dr Yassine Jamali, vétérinaire et agriculteur installé dans la région de Kelaât Sraghna.
Des indicateurs au rouge
Un autre indicateur éloquent qui est par ailleurs directement corrélé au prix de la viande : le poids-carcasse des animaux réceptionné par les abattoirs.
« En temps normal, l’éleveur essaie de vendre un animal au bon moment. C’est-à-dire que l’éleveur va continuer à le nourrir tant que son gain journalier en poids couvre les frais de son alimentation. Dès que l’animal arrive à l’équilibre dans lequel ce gain en poids s’arrête, l’éleveur aura tendance à vouloir le vendre. En période de sécheresse, ces paramètres de gestion de la rétention ou de la non-rétention des animaux se retrouvent faussés puisque les éleveurs sont souvent obligés de vendre très tôt. On se retrouve à la fin avec une offre surdimensionnée et surtout pas conforme parce qu’elle n’offre pas de la qualité initialement prévue puisque les animaux ont été vendus avant de finir de prendre du poids », explique M’hammed Karimine.
« Au niveau des abattoirs agréés et contrôlés, nous avons observé une baisse moyenne de poids-carcasse, pendant ce début d’année, estimée à près de 20 kgs par bête (bovin : NDLR). C’est énorme ! », s’exclame-t-il.
Sauvegarder le cheptel
Les professionnels de la filière des viandes rouges observent actuellement une autre tendance inquiétante : « Nous avons remarqué qu’une partie très conséquente des animaux réceptionnés par les abattoirs sont des femelles. Cela explique la tendance à la baisse des prix de la viande, mais ça ne sera pas sans conséquences… À ce jour, nous avons un cheptel de reproduction stable avec lequel nous arrivons à satisfaire la demande nationale. Cependant, si on baisse de 20% le cheptel de femelles, cela ne manquera pas de se répercuter sur l’offre l’année prochaine et encore plus sur celle de l’année d’après », prévient le président de la FIVIAR. Face au déploiement du plan d’urgence, notre interlocuteur semble cependant confiant.
« Il s’agit d’efforts salutaires d’autant plus qu’ils ont été consentis à un moment très difficile. S’il fallait renforcer un axe particulier, ce serait bien celui relatif à la stabilisation des prix des aliments fourragers, car, actuellement, nous vivons sur un stock qui n’est pas illimité et dont les prix sont très élevés », recommande la même source.
Souhail AMRABI
Repères
Filière des viandes rouges
Contribuant à la garantie de la sécurité alimentaire du pays en assurant la satisfaction de près de 98%, la filière viandes rouges joue un rôle très important aux plans économique, social et nutritionnel. Le développement de la filière a permis la création de 44 millions de journées de travail à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Le secteur des viandes rouges joue également un rôle principal dans l’approvisionnement du secteur de l’industrie et de l’artisanat en matière première (laine et cuir).
Les nouveaux abattoirs agréés
La filière des viandes rouges a pu bénéficier récemment de l’installation de 5 abattoirs privés agréés (Meknès, Béni Mellal, Taroudant, Sidi Bennour et Fès), en plus de la contribution du Département de l’Agriculture à la mise à niveau de 6 abattoirs communaux à Kelaât Sraghnas, Aïn Aïcha, Ksar El Kébir, Laâyoune, Touissit et Ouarzazate. Les résultats du schéma directeur d’implantation des futurs abattoirs et marchés à bestiaux prioritaires ont été mis en oeuvre en collaboration avec la DGCL et l’ONSSA.
L'info...Graphie
Tendances
Trois années de vaches maigres après une décennie de bonnes performances
La production des viandes rouges au Maroc a connu une augmentation de 51% entre 2008 et 2019, atteignant ainsi 606.000 tonnes en 2019, et ce, grâce à l’amélioration de la productivité du cheptel. La consommation moyenne des viandes rouges a également connu une évolution importante atteignant près de 17,2 kg/habitant/an en 2019.
Grâce aux programmes d’amélioration génétique, d’encadrement et de formation réalisés par les organisations professionnelles avec le soutien de l’Etat, dans le cadre du contrat-programme viandes rouges, la productivité du cheptel a connu une amélioration de 36% chez les bovins et de 23% chez les ovins durant la période 2008-2019.
La filière a cependant traversé durant ces trois dernières années plusieurs crises liées aux épisodes de sécheresse, mais également à la flambée au niveau international des denrées destinées à l’alimentation du bétail. À cela s’ajoute également le contexte pandémique qui n’a pas manqué de malmener la filière dont le marché a rétréci, notamment à cause de l’impact de la pandémie sur le secteur du tourisme.
Grâce aux programmes d’amélioration génétique, d’encadrement et de formation réalisés par les organisations professionnelles avec le soutien de l’Etat, dans le cadre du contrat-programme viandes rouges, la productivité du cheptel a connu une amélioration de 36% chez les bovins et de 23% chez les ovins durant la période 2008-2019.
La filière a cependant traversé durant ces trois dernières années plusieurs crises liées aux épisodes de sécheresse, mais également à la flambée au niveau international des denrées destinées à l’alimentation du bétail. À cela s’ajoute également le contexte pandémique qui n’a pas manqué de malmener la filière dont le marché a rétréci, notamment à cause de l’impact de la pandémie sur le secteur du tourisme.
Secteur bancaire
Le Crédit Agricole au chevet des éleveurs touchés par la sécheresse
Dans un récent communiqué, le Crédit Agricole du Maroc (CAM) a annoncé la mobilisation d’une enveloppe budgétaire additionnelle de 6 MMDH dédiée au financement d’un dispositif d’atténuation des effets de la sécheresse et leurs impacts sur les agriculteurs. En plus des produits bancaires mis en place pour le financement des cultures printanières et arboricoles, le Crédit Agricole du Maroc contribuera au financement de la sauvegarde du cheptel via le Produit «LAKSIBA».
Dans le but d’aider les éleveurs à sauvegarder leur cheptel et pouvoir acquérir l’orge (2Dhs/Kg) mis à leur disposition par les services du MAPMDREF au niveau des différents souks du Royaume, le Crédit Agricole du Maroc leur accordera des crédits pour l’achat d’aliments pour le bétail. L’enveloppe budgétaire devra également contribuer au financement de la reconstitution du cheptel laitier à travers le Produit «GENISSES”.
Afin de remédier à la situation actuelle des élevages laitiers caractérisés par la faiblesse des taux de naissance et la perspective de réduction des effectifs, le CAM procédera à la mise en place d’un produit spécifique dédié au financement de l’acquisition des génisses permettant la reconstitution du cheptel laitier.
Il s’agit en outre du financement du comblement des besoins du marché national en céréales et en aliments de bétail, et ce, en concertation avec les services du ministère chargé de l’Agriculture et selon des mécanismes de contrôle et de suivi arrêtés avec les services concernés et notamment l’ONICL.
Dans le but d’aider les éleveurs à sauvegarder leur cheptel et pouvoir acquérir l’orge (2Dhs/Kg) mis à leur disposition par les services du MAPMDREF au niveau des différents souks du Royaume, le Crédit Agricole du Maroc leur accordera des crédits pour l’achat d’aliments pour le bétail. L’enveloppe budgétaire devra également contribuer au financement de la reconstitution du cheptel laitier à travers le Produit «GENISSES”.
Afin de remédier à la situation actuelle des élevages laitiers caractérisés par la faiblesse des taux de naissance et la perspective de réduction des effectifs, le CAM procédera à la mise en place d’un produit spécifique dédié au financement de l’acquisition des génisses permettant la reconstitution du cheptel laitier.
Il s’agit en outre du financement du comblement des besoins du marché national en céréales et en aliments de bétail, et ce, en concertation avec les services du ministère chargé de l’Agriculture et selon des mécanismes de contrôle et de suivi arrêtés avec les services concernés et notamment l’ONICL.
3 questions à Redouane Choukr-Allah, expert en agriculture durable
« La sécheresse a un impact sur le pâturage, mais également sur la productivité des céréales qui servent aussi d’aliments pour le bétail »
Spécialisé en agriculture durable et en ressources hydriques, Redouane Choukr-Allah répond à nos questions sur l’impact de la sécheresse sur l’élevage et sur la filière des viandes rouges.
- Quels sont les produits alimentaires pour le bétail dont le prix a augmenté, et comment s’explique ce phénomène ?
- La sécheresse a un impact sur le pâturage, mais également sur la productivité des céréales qui servent aussi d’aliments pour le bétail. De grandes superficies au Maroc sont cultivées avec de l’orge et du blé dont la paille produite est utilisée comme fourrage.
Du fait de la sécheresse, la production de grains d’orge est très faible. Cela se répercute automatiquement sur les prix de la paille, des graines et d’autres aliments composés. Si on prend l’orge importée par exemple, le prix a augmenté de 3 à 4 dirhams le Kg. Certains mélanges d’aliments ont vu leurs prix passer de 3 dhs à 4,80 dhs. Le prix du son est passé de 2.25 dhs à 3.40 dhs.
Le prix de la paille de luzerne a quasiment doublé en passant de 35 dhs la pesée à 60 dhs. La paille de céréale est pour sa part passée de 15 dhs à 40 dhs.
- Est-ce que la guerre en Ukraine qui est un pourvoyeur important de céréales risque d’impacter encore plus les prix de ces denrées ?
- À ma connaissance, le Maroc importe surtout du blé tendre à partir de l’Ukraine. Cela dit, il est certain que les prix à l’international vont flamber. Le prix du blé est passé de 260 $ la tonne à plus de 360 $, ce qui est plutôt normal au vu de la loi de l’offre et de la demande.
- Qu’en est-il des prix du bétail et des viandes rouges ?
- Si le prix du fourrage augmente, il faut aussi s’attendre à une augmentation des prix des viandes issues d’animaux bien alimentés. Si je prends juste le prix des viandes au niveau des souks ruraux (qui n’ont rien à avoir avec les prix des villes), il y a une augmentation actuellement de 5 dhs le Kilo. C’est normal, car il s’agit d’animaux qui ont reçu une bonne alimentation fourragère.
En revanche, le prix des animaux et en particulier le prix des brebis ont connu une diminution drastique. Actuellement, la brebis qu’on vendait auparavant à 2500 dhs se vend à moins de 700 dhs. On a même vu des brebis sous-alimentées vendu à 100 dhs… Pour la viande de mouton, les prix sont plus ou moins stables.
- Quels sont les produits alimentaires pour le bétail dont le prix a augmenté, et comment s’explique ce phénomène ?
- La sécheresse a un impact sur le pâturage, mais également sur la productivité des céréales qui servent aussi d’aliments pour le bétail. De grandes superficies au Maroc sont cultivées avec de l’orge et du blé dont la paille produite est utilisée comme fourrage.
Du fait de la sécheresse, la production de grains d’orge est très faible. Cela se répercute automatiquement sur les prix de la paille, des graines et d’autres aliments composés. Si on prend l’orge importée par exemple, le prix a augmenté de 3 à 4 dirhams le Kg. Certains mélanges d’aliments ont vu leurs prix passer de 3 dhs à 4,80 dhs. Le prix du son est passé de 2.25 dhs à 3.40 dhs.
Le prix de la paille de luzerne a quasiment doublé en passant de 35 dhs la pesée à 60 dhs. La paille de céréale est pour sa part passée de 15 dhs à 40 dhs.
- Est-ce que la guerre en Ukraine qui est un pourvoyeur important de céréales risque d’impacter encore plus les prix de ces denrées ?
- À ma connaissance, le Maroc importe surtout du blé tendre à partir de l’Ukraine. Cela dit, il est certain que les prix à l’international vont flamber. Le prix du blé est passé de 260 $ la tonne à plus de 360 $, ce qui est plutôt normal au vu de la loi de l’offre et de la demande.
- Qu’en est-il des prix du bétail et des viandes rouges ?
- Si le prix du fourrage augmente, il faut aussi s’attendre à une augmentation des prix des viandes issues d’animaux bien alimentés. Si je prends juste le prix des viandes au niveau des souks ruraux (qui n’ont rien à avoir avec les prix des villes), il y a une augmentation actuellement de 5 dhs le Kilo. C’est normal, car il s’agit d’animaux qui ont reçu une bonne alimentation fourragère.
En revanche, le prix des animaux et en particulier le prix des brebis ont connu une diminution drastique. Actuellement, la brebis qu’on vendait auparavant à 2500 dhs se vend à moins de 700 dhs. On a même vu des brebis sous-alimentées vendu à 100 dhs… Pour la viande de mouton, les prix sont plus ou moins stables.
Recueillis par S. A.