Que faire de ceux qui ont rejoint Daech et pris les armes contre l’humanité ? », une question que se posent actuellement de nombreux observateurs de la vie politique et les responsables du gouvernement pour décider du sort des familles des Marocains ayant rejoint les rangs de Daech en Irak et en Syrie entre 2014 et 2019. Après la chute du « Califat » d’Aboubaker Al Baghdadi, des centaines de Marocains sont enfermés dans des camps de réfugiés, en Irak et en Syrie, selon le patron du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) Habboub Cherkaoui, qui s’est confié à l’Agence espagnole de presse EFE. Des 1654 Marocains qui se sont enrôlés dans différents groupes terroristes, y compris Daech, 750 combattants ont trouvé la mort, laissant derrière eux des centaines de femmes et d’enfants abandonnés dans les camps et des prisons entre l’Irak et la Syrie, à la merci du hasard.
Leur avenir ne cesse de préoccuper leurs proches au Maroc qui revendiquent leur rapatriement le plus tôt possible. Un voeu pas si simple à exaucer, tant leur retour à la mère patrie pose plusieurs défis d’ordre sécuritaire. La mission exploratoire formée par les députés de la commission des Affaires étrangères, chargée d’examiner ce dossier épineux, n’a pas encore achevé ses travaux et continue d’auditionner l’ensemble des acteurs concernés. Les membres de la mission ont auditionné, le 8 février, le président du Parquet, après avoir rencontré le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, et plusieurs associations des proches des familles des anciens djihadistes. D’autres réunions sont programmées avec la Rabita Mohammedia des Oulémas, nous a informé une source parlementaire. Le but est d’examiner ce problème sous tous ses aspects et trouver ainsi une formule adéquate pour rapatrier les femmes et les enfants, « vu que la pression de leurs proches au Maroc est telle qu’il faut régler ce problème définitivement », souligne une source proche du dossier. Une demande motivée par les conditions pénibles que vivent ces personnes dans les camps de réfugiés.
L’enfer des camps
Jusqu’à présent, il est difficile de localiser tous les réfugiés marocains, une grande partie d’entre eux sont parqués dans le camp d’Al-Hol dans le Nord- Est de la Syrie et d’autres en Irak. Un camp sous contrôle des forces kurdes, depuis la chute de Daech. Contactées par nos soins, quelques familles des anciens djihadistes rapportent la souffrance de leurs proches qui veulent revenir à leur patrie quel qu’en soit le prix. « Les femmes marocaines subissent des exactions et risquent parfois leur vie dans ce camp où l’insécurité règne », nous raconte Leila, dont le frère est mort dans les combats en Syrie en 2019, laissant une veuve et une fille de deux ans. Laila, qui avait visité le camps grâce à une ONG canadienne, nous fait état d’une ambiance macabre dans laquelle vit sa belle-soeur et sa petite fille à longueur de journée, dans un camp où les meurtres, les viols et les règlements de comptes sont monnaie courante. « Le camp est contrôlé par des bandes rivales d’anciennes femmes de djihadistes qui gouvernent par la terreur, sous les yeux des kurdes », nous explique-t-elle, ajoutant que les Marocaines subissent à la fois le harcèlement des gardes et les querelles des autres prisonnières, sans parler de la malnutrition. De leur côté, quelques membres de l’ONG ayant visité ce camp nous ont précisé sous couvert d’anonymat que la responsable du camp leur a expliqué que les Marocaines souffrent d’une mauvaise réputation d’impiété qui leur vaut la rancune des autres prisonnières plus radicales.
Rapatrier les familles : une question qui divise
Vu le péril qu’encourent ces réfugiés, il est indispensable qu’ils soient rapatriés au Maroc aux yeux de leurs proches, ou au moins faire venir les enfants pour éviter qu’ils soient radicalisés dans les camps. Les autorités marocaines restent tout de même très prudentes. Pour le patron du BCIJ, « ces personnes représentent un danger, car elles ont accumulé une formation et une expérience dans la guerre des gangs, la manipulation d’armes, la fabrication d’explosifs et de voitures piégées, ainsi que la propagande et l’endoctrinement ». Cette hypothèse reste crédible du moment que plusieurs reportages faits par des correspondants internationaux dans les camps montrent que plusieurs femmes et enfants sont encore imbus de culture intégriste et djihadiste. Pourtant, leurs familles au Maroc représentées par un collectif avancent l’argument de l’intérêt supérieur des enfants, et demandent à ce qu’ils soient rapatriés avec leurs mères et leur intégration dans la société par des programmes de déradicalisation et de réinsertion. Pour leur part, plusieurs femmes (épouses d’anciens djihadistes) sont prêtes à assumer leur responsabilité vis-à-vis de la loi, pourvu que leurs enfants soient rendus à leurs familles au Maroc.
Au Royaume, les gens ne sont pas très enthousiastes quant au retour de ces personnes, que beaucoup considèrent comme « une bombe à retardement ». Plusieurs personnes auxquelles nous avons parlé nous ont clairement fait part de leur refus catégorique de voir « d’anciens terroristes » retourner au Maroc de peur qu’ils libèrent ensuite leur velléité de djihad.
Rapatriement : une procédure très complexe
Selon Habboub Cherkaoui, plus 270 anciens djihadistes sont rentrés et jugés, 189 femmes et 389 enfants sont encore isolés dans les foyers de tension. Leur rapatriement dépend désormais d’une décision du gouvernement. Le ministère des Affaires étrangères reste encore silencieux sur ce sujet, une source autorisée nous a pourtant précisé que ces décisions pourraient être prises après la publication du rapport définitif de la commission parlementaire. En effet, la tâche s’annonce complexe, sachant que plusieurs personnes concernées ont la binationalité (dans la majeure partie des cas des Franco-Marocaines), ce qui nécessite une coordination avec la France dont le gouvernement est très réticent à rapatrier ses ressortissants et préfère les juger à l’endroit où ils sont. Cette mesure est difficile pour le Maroc qui a coupé ses relations avec le régime de Bachar El Assad et n’a pas d’ambassadeur en Irak, dont les fonctions sont remplies par un chargé d’affaires basé en Jordanie, nous confie une source diplomatique.
La solution qui reste envisageable actuellement est d’organiser un retour. Selon Abdelhakim Aboulouz, politologue et expert des questions sécuritaires à l’Université Ibn Zhor, il existe deux modalités de rapatriement : la première est le jugement, la deuxième est la réinsertion sociale. Le jugement paraît la solution la plus probable du moment que la législation marocaine permet de juger des personnes ayant participé aux activités terroristes, même à l’étranger. « Est poursuivi et jugé devant les juridictions marocaines compétentes tout Marocain ou étranger qui, hors du territoire du Royaume, a commis comme auteur, co-auteur ou complice, une infraction de terrorisme qu’elle vise ou non à porter préjudice au Royaume du Maroc ou à ses intérêts », stipule la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Toutefois, la loi abandonne toute poursuite judicaire à l’encontre des personnes ayant déjà été jugées et ont subi leur peine dans d’autres pays. Au-delà de l’approche sécuritaire et dissuasive, M. Aboulouz recommande d’associer davantage la société civile et les partis politiques pour qu’ils puissent apporter leurs contributions, arguant que la Tunisie, l’un des pays les plus exportateurs de djihadistes, a fait de même et a réussi à élaborer une stratégie nationale de gestion du rapatriement.
Leur avenir ne cesse de préoccuper leurs proches au Maroc qui revendiquent leur rapatriement le plus tôt possible. Un voeu pas si simple à exaucer, tant leur retour à la mère patrie pose plusieurs défis d’ordre sécuritaire. La mission exploratoire formée par les députés de la commission des Affaires étrangères, chargée d’examiner ce dossier épineux, n’a pas encore achevé ses travaux et continue d’auditionner l’ensemble des acteurs concernés. Les membres de la mission ont auditionné, le 8 février, le président du Parquet, après avoir rencontré le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, et plusieurs associations des proches des familles des anciens djihadistes. D’autres réunions sont programmées avec la Rabita Mohammedia des Oulémas, nous a informé une source parlementaire. Le but est d’examiner ce problème sous tous ses aspects et trouver ainsi une formule adéquate pour rapatrier les femmes et les enfants, « vu que la pression de leurs proches au Maroc est telle qu’il faut régler ce problème définitivement », souligne une source proche du dossier. Une demande motivée par les conditions pénibles que vivent ces personnes dans les camps de réfugiés.
L’enfer des camps
Jusqu’à présent, il est difficile de localiser tous les réfugiés marocains, une grande partie d’entre eux sont parqués dans le camp d’Al-Hol dans le Nord- Est de la Syrie et d’autres en Irak. Un camp sous contrôle des forces kurdes, depuis la chute de Daech. Contactées par nos soins, quelques familles des anciens djihadistes rapportent la souffrance de leurs proches qui veulent revenir à leur patrie quel qu’en soit le prix. « Les femmes marocaines subissent des exactions et risquent parfois leur vie dans ce camp où l’insécurité règne », nous raconte Leila, dont le frère est mort dans les combats en Syrie en 2019, laissant une veuve et une fille de deux ans. Laila, qui avait visité le camps grâce à une ONG canadienne, nous fait état d’une ambiance macabre dans laquelle vit sa belle-soeur et sa petite fille à longueur de journée, dans un camp où les meurtres, les viols et les règlements de comptes sont monnaie courante. « Le camp est contrôlé par des bandes rivales d’anciennes femmes de djihadistes qui gouvernent par la terreur, sous les yeux des kurdes », nous explique-t-elle, ajoutant que les Marocaines subissent à la fois le harcèlement des gardes et les querelles des autres prisonnières, sans parler de la malnutrition. De leur côté, quelques membres de l’ONG ayant visité ce camp nous ont précisé sous couvert d’anonymat que la responsable du camp leur a expliqué que les Marocaines souffrent d’une mauvaise réputation d’impiété qui leur vaut la rancune des autres prisonnières plus radicales.
Rapatrier les familles : une question qui divise
Vu le péril qu’encourent ces réfugiés, il est indispensable qu’ils soient rapatriés au Maroc aux yeux de leurs proches, ou au moins faire venir les enfants pour éviter qu’ils soient radicalisés dans les camps. Les autorités marocaines restent tout de même très prudentes. Pour le patron du BCIJ, « ces personnes représentent un danger, car elles ont accumulé une formation et une expérience dans la guerre des gangs, la manipulation d’armes, la fabrication d’explosifs et de voitures piégées, ainsi que la propagande et l’endoctrinement ». Cette hypothèse reste crédible du moment que plusieurs reportages faits par des correspondants internationaux dans les camps montrent que plusieurs femmes et enfants sont encore imbus de culture intégriste et djihadiste. Pourtant, leurs familles au Maroc représentées par un collectif avancent l’argument de l’intérêt supérieur des enfants, et demandent à ce qu’ils soient rapatriés avec leurs mères et leur intégration dans la société par des programmes de déradicalisation et de réinsertion. Pour leur part, plusieurs femmes (épouses d’anciens djihadistes) sont prêtes à assumer leur responsabilité vis-à-vis de la loi, pourvu que leurs enfants soient rendus à leurs familles au Maroc.
Au Royaume, les gens ne sont pas très enthousiastes quant au retour de ces personnes, que beaucoup considèrent comme « une bombe à retardement ». Plusieurs personnes auxquelles nous avons parlé nous ont clairement fait part de leur refus catégorique de voir « d’anciens terroristes » retourner au Maroc de peur qu’ils libèrent ensuite leur velléité de djihad.
Rapatriement : une procédure très complexe
Selon Habboub Cherkaoui, plus 270 anciens djihadistes sont rentrés et jugés, 189 femmes et 389 enfants sont encore isolés dans les foyers de tension. Leur rapatriement dépend désormais d’une décision du gouvernement. Le ministère des Affaires étrangères reste encore silencieux sur ce sujet, une source autorisée nous a pourtant précisé que ces décisions pourraient être prises après la publication du rapport définitif de la commission parlementaire. En effet, la tâche s’annonce complexe, sachant que plusieurs personnes concernées ont la binationalité (dans la majeure partie des cas des Franco-Marocaines), ce qui nécessite une coordination avec la France dont le gouvernement est très réticent à rapatrier ses ressortissants et préfère les juger à l’endroit où ils sont. Cette mesure est difficile pour le Maroc qui a coupé ses relations avec le régime de Bachar El Assad et n’a pas d’ambassadeur en Irak, dont les fonctions sont remplies par un chargé d’affaires basé en Jordanie, nous confie une source diplomatique.
La solution qui reste envisageable actuellement est d’organiser un retour. Selon Abdelhakim Aboulouz, politologue et expert des questions sécuritaires à l’Université Ibn Zhor, il existe deux modalités de rapatriement : la première est le jugement, la deuxième est la réinsertion sociale. Le jugement paraît la solution la plus probable du moment que la législation marocaine permet de juger des personnes ayant participé aux activités terroristes, même à l’étranger. « Est poursuivi et jugé devant les juridictions marocaines compétentes tout Marocain ou étranger qui, hors du territoire du Royaume, a commis comme auteur, co-auteur ou complice, une infraction de terrorisme qu’elle vise ou non à porter préjudice au Royaume du Maroc ou à ses intérêts », stipule la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Toutefois, la loi abandonne toute poursuite judicaire à l’encontre des personnes ayant déjà été jugées et ont subi leur peine dans d’autres pays. Au-delà de l’approche sécuritaire et dissuasive, M. Aboulouz recommande d’associer davantage la société civile et les partis politiques pour qu’ils puissent apporter leurs contributions, arguant que la Tunisie, l’un des pays les plus exportateurs de djihadistes, a fait de même et a réussi à élaborer une stratégie nationale de gestion du rapatriement.
Lutte contre le terrorisme
L’arsenal législatif plus renforcé que jamais
Depuis les événements du 16 mai 2003 à Casablanca, le Maroc a changé sa doctrine de lutte contre les activités terroristes, en mettant en place un arsenal législatif important. La loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme a donné une définition claire du terrorisme et des activités qui constituent les infractions à caractère terroriste. Plusieurs actes sont cités, à savoir l’atteinte volontaire à la vie des personnes ou à leur intégrité, l’enlèvement ou la séquestration des personnes, et les destructions ainsi que la falsification de monnaie et d’autres actes de vol et d’extorsion de biens. Bien que la loi ait considérablement renforcé les prérogatives des services de sécurité en matière d’anticipation, de prévention et d’intervention contre les groupes extrémistes à vocation terroriste, le Royaume a blindé son dispositif législatif anti-terroriste en 2015, avec la loi n° 86.14 modifiant et complétant les dispositions du code pénal et de la procédure pénale relatives à la lutte contre le terrorisme avec une extension du champ des actes terroristes pour inclure le ralliement à des groupes ou des organisations terroristes dans quelque lieu que ce soit, et le fait de recevoir un entraînement terroriste. En introduisant de nouvelles sanctions contre des actes comme l’apologie du terrorisme, la loi dote des juridictions nationales de la compétence de juger tout Marocain ou étranger, même hors du territoire, soupçonnés d’actes de nature terroriste contre le Maroc.
Encadré
Les pays de l’Union Européenne très divisés
La question du rapatriement des familles des anciens membre de Daech est une affaire internationale, qui concerne beaucoup plus les pays européens que le Maroc. L’Europe est l’un des continents des plus grands pourvoyeurs de djihadistes qui se sont engagés dans l’armée de l’ex-Etat islamique. A l’exception de la Finlande qui a rapatrié quelques-uns de ces ressortissants, et la Belgique qui a commencé à le faire dès 2019, une grande partie des pays européens sont encore réticents à l’idée d’un rapatriement collectif, et s’accrochent à l’approche du cas par cas. Pour sa part, le débat fait rage au sein de la classe politique sur ce sujet sensible, plusieurs personnalités politiques refusent de rapatrier les anciens djihadistes sous prétexte qu’ils sont déchus de leur nationalité en prenant les armes contre la France. Une position que le Quai d’Orsay semble partager du moment qu’il négocie avec le gouvernement irakien de faire juger ces derniers sur son sol, moyennant une contribution financière. Toutefois, le retour des enfants reste envisageable, sachant qu’une trentaine ont été ramenés en France.
3 questions à Mohammed Maelaïnin
Diplomate et ex-ambassadeur du Royaume en Australie et en Argentine, a répondu à nos questions sur le retour des familles des anciens djihadistes marocains en Syrie et en Irak.
- Le rapatriement des femmes et des enfants des anciens membres de Daech pose un sérieux problème au Maroc, qu’en pensez-vous ?
- En effet, cela pose problème à tous les pays, y compris en Europe, qui restent très divisés sur ce sujet, sachant que la majorité d’entre eux veulent se soustraire à leur responsabilité de rapatriement, surtout pour les personnes ayant la double nationalité. D’ailleurs, il existe des conventions internationales relatives à la lutte contre le terrorisme, où il y a plusieurs ambiguïtés qui permettent aux différents pays de ne pas répondre aux demandes de rapatriement, demandes généralement émises par les pays d’accueil.
Est-ce que ces personnes présentent une menace terroriste ou un risque de radicalisation ?
- Il est très difficile d’identifier les velléités d’extrémisme religieux chez ces personnes, et le passé est plein d’enseignements sachant que le Maroc a dû faire face auparavant à des groupes terroristes. À ce que je sache, plusieurs de ceux qui avaient bénéficié d’amnistie parmi les extrémistes qui purgeaient leurs peines au Maroc, et qui n’avaient pas reçu les entraînements de ceux que vous citez, ont récidivé, et ont trempé dans de nouveaux actes terroristes.
- L’accompagnement et la réintégration dans la société est-elle une mesure pertinente à votre avis ?
- Ce genre de personnes nécessitent une très forte et longue prise en charge psychologique par de grands spécialistes de déradicalisation. C’est un travail de très longue haleine dont on ne sait pas toujours qu’il puisse être positif. Il suffirait que le démon terroriste se réveille chez un ou deux parmi eux pour que le monde qualifie le pays où ils apparaissent comme dangereux et infréquentable.