C’est l’une des conséquences lointaines du Covid-19. Sauf que, cette fois, la vague vient des Etats-Unis, et plus précisément des géants du Net : des dizaines de milliers de licenciements sont en cours actuellement aussi bien auprès des maisons-mères des GAFAM (Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft) que chez leurs filiales à travers le monde. Rien que depuis le début de l’année, on compte environ 200.000 suppressions d’emplois dans les effectifs de ces géants. Des licenciements qui s’opèrent aussi bien aux Etats-Unis que dans les filiales de ces grands acteurs de l’Internet, éparpillées dans le monde. C’est ainsi qu’au Maroc, plusieurs dizaines de suppressions de postes ont commencé à s’opérer ces derniers temps dans de grandes multinationales américaines actives dans le domaine de l’informatique. C’est le cas notamment chez les fabricants d’ordinateurs et de solutions informatiques, Dell Technologies. Ce dernier, qui compte une importante filiale implantée à Casanearshore, procède à des licenciements sur place, dans le cadre de ses prévisions de réduire près de 6.500 salariés durant l’année 2023. Ce dégraissage risque également d’impacter les différents partenaires et sous-traitants de ces mastodontes, qui invoquent des raisons économiques dues à l’explosion de la bulle du plein emploi qui s’est formée durant le Covid-19.
200 postes
Au Maroc, selon nos informations, l’Etat avait apparemment anticipé ces vagues, en instaurant des clauses avec les grandes filiales de certains de ces géants installés dans le royaume. Il ne leur sera pas possible de procéder à des licenciements de masse d’un seul coup, mais de façon progressive, selon un seuil à ne pas dépasser par mois. Dans le cas de Dell Technologies, on parle de 15 postes par mois. Si le processus s’étale sur toute l’année, on s’approche des 200 postes supprimés. Actuellement, la raison invoquée par les services de ces mastodontes est la nécessité de supprimer les postes redondants. Quant aux profils remerciés, on retrouve de tout : des techniciens aux ingénieurs, en passant par les ressources humaines. Pour l’heure, le processus n’en est qu’à ses début, mais l’impact risque de se faire ressentir au fur et à mesure que les licenciements se multiplient, à moins que le vaste secteur du digital ne parvienne à en réabsorber une bonne partie.
Rebond
D’ailleurs, c’est la question sur le recasement que «L’Opinion» a posée à des acteurs du domaine, ainsi qu’aux spécialistes du recrutement. Et selon les différentes réponses de ces intervenants, il n’y aurait pas trop de craintes sur les chances du secteur à recaser rapidement les profils remerciés dans la vague de licenciements actuelle. «Je n’ai aucun doute que ces ingénieurs dans le secteur de l’informatique parviendront rapidement à retrouver de l’emploi, car le secteur du digital et de l’intelligence artificielle évoluent vite», répond Ali Serhani, Directeur général du Cabinet RH Gesper Services. Même son de cloche du côté de Saïd Bellal, spécialiste des RH et ancien PDG du Cabinet Diorh, pour qui «ces pertes d’emplois, encore minimes, seront rapidement compensées, car le secteur des high tech continuera son dynamisme malgré le contexte actuel».
Fuite de cerveaux ?
Ces pronostics des spécialistes du recrutement du Maroc pourraient confirmer une tendance déjà observée ailleurs, notamment aux Etats-Unis. «Nous avons observé que la plupart des employés du secteur de la Tech qui avaient été licenciés ont rapidement retrouvé un emploi. Les compétences dans la Tech, qu’elles soient des ingénieurs ou spécialistes des données, restent très désirées sur le marché», affirme Aaron Terrazaz, économiste senior au cabinet américain Glassdor. Sauf que pour le Maroc, le grand risque c’est encore de perdre des profils qualifiés, car de nombreux ingénieurs licenciés par les multinationales n’hésitent pas à aller tenter leurs chances sous d’autres cieux. Ironie de l’histoire, c’est justement les Etats-Unis ou encore le Canada que beaucoup choisissent pour aller poursuivre leur carrière dans ce secteur hyper dynamique, mais qui traverse actuellement une zone de turbulences !
3 questions à Ali Serhani
« Les licenciements dans le digital ne sont pas comme dans l’industrie »
Pour le spécialiste du recrutement et des RH, Ali Serhani, les licenciements dans le secteur du digital peuvent être réparés beaucoup plus vite par rapport à ceux dans l’industrie. Malgré les suppressions de postes, la percée de l’Intelligence Artificielle crée, selon lui, un besoin permanant dans le secteur du digital.
Pour le spécialiste du recrutement et des RH, Ali Serhani, les licenciements dans le secteur du digital peuvent être réparés beaucoup plus vite par rapport à ceux dans l’industrie. Malgré les suppressions de postes, la percée de l’Intelligence Artificielle crée, selon lui, un besoin permanant dans le secteur du digital.
En tant que spécialiste du secteur de l’emploi, sentez-vous l’impact de ces vagues de licenciements sur le marché de l’emploi ?
Pour le moment, on le ressent peu. On ne sait pas quelle sera l’évolution que cela prendra, mais une chose est sûre : les licenciements dans le secteur du digital ne sont pas comme dans celui de l’industrie. Ici, c’est un secteur qui bouge et qui évolue rapidement. Donc, je ne me fais pas trop d’inquiétudes par rapport aux profils licenciés, car ils pourront retrouver rapidement de l’emploi. Cela dit, je crois également que ce même secteur du digital peut licencier aujourd’hui, mais recruter à nouveau dès le lendemain.
A vous entendre parler, il n’y a pas vraiment de grosses craintes à avoir pour les profils comme les ingénieurs et autres analystes des données ?
A mon avis, pas de grandes craintes. Car, le digital c’est l’avenir et on aura toujours besoin de ces profils, aussi bien dans le digital que dans d’autres secteurs similaires. Aujourd’hui, tout ce qui touche à l’Intelligence Artificielle est porteur d’opportunités. Donc, c’est un secteur qui fait preuve d’une résilience extraordinaire. Il est vrai que la conjoncture économique actuelle peut les avoir affectés, mais sûrement ce secteur finira, et je l’espère dans pas longtemps, à retrouver son dynamisme actuel.
Quelles sont les autres branches du même secteur qui pourraient profiter de ces compétences ?
L’ensemble du secteur du digital est en montée de puissance. De mon point de vue, tout ce qui s’y rapporte est porteur. Je pense notamment aux activités des call-centers, qui ont besoin de différents niveaux de profils, allant de l’opérateur à l’ingénieur informatique. Naturellement, il pourra en absorber une bonne partie.
L’info...Graphie
Suppressions de postes : Pourquoi les géants du Net licencient ?
C’est une question qui se pose dès que l’on entend parler de ces suppressions de postes. La réponse est toute simple : le secteur du digital fait partie de l’un des rares à avoir continué de tourner lorsqu’une bonne partie de la planète et des activités économiques étaient à l’arrêt. Un besoin de renforcer les équipes pour soutenir la demande a donc obligé les géants de l’informatique à recruter en masse. Après la fin du confinement ici et là, mais surtout le déclenchement de la guerre en Ukraine, une baisse d’activités, ou plutôt un retour au niveau d’avant pandémie, a été observée. Ce qui oblige les géants du Net à se séparer du surplus d’emplois et d’effectifs qu’ils avaient créés. «Nous continuerons à investir dans des domaines stratégiques pour notre avenir, ce qui signifie que nous allouons notre capital et nos talents à des domaines de croissance durable et de compétitivité à long terme pour l’entreprise, tout en désinvestissant dans d’autres domaines», explique le patron de Microsoft, Satya Nadella.
Apple est la seule entreprise parmi les géants de la Tech à n’avoir toujours pas annoncé de licenciements même si l’entreprise a annoncé, fin 2022, avoir fortement ralenti les embauches. Il n’y aura peut-être pas de départs forcés car de tous les GAFAM, la firme américaine est celle qui a vu le moins grossir (en pourcentage) sa Workforce, non seulement durant la pandémie, mais depuis les années 2015. Ainsi, alors que ces deux dernières années l’effectif de Microsoft a grossi de 36%, celui d’Apple a évolué de moins de 15%.
Apple est la seule entreprise parmi les géants de la Tech à n’avoir toujours pas annoncé de licenciements même si l’entreprise a annoncé, fin 2022, avoir fortement ralenti les embauches. Il n’y aura peut-être pas de départs forcés car de tous les GAFAM, la firme américaine est celle qui a vu le moins grossir (en pourcentage) sa Workforce, non seulement durant la pandémie, mais depuis les années 2015. Ainsi, alors que ces deux dernières années l’effectif de Microsoft a grossi de 36%, celui d’Apple a évolué de moins de 15%.
Taxation des GAFAM : le Maroc tarde à agir
Même si certains analystes annoncent pour bientôt la fin de leur âge doré, les GAFAM continuent de réaliser des performances financières exponentielles. Leurs bénéfices cumulés dépassent les 250 milliards de dollars, rien que sur l’exercice 2021. En attendant les chiffres de 2022, les regards continuent de se tourner vers les autorités de régulations financières. Dans de nombreux pays, notamment européens, on essaie tant bien que mal de grignoter via des taxes ou pénalités, sur les bénéfices des GAFAM. Au Maroc, la question revient souvent sur le devant de la scène, d’autant plus que ces mastodontes américains captent l’essentiel des investissements publicitaires dans le digital. On estimequ’au moins 1,2 milliard de dirhams échapperont aux impôts locaux et à l’investissement en 2025, sur des activités relatives aux GAFAM. Mais pour le moment, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) attend d’être saisi sur la question avant de se prononcer, notamment sur ce qui touche à la concurrence déloyale.