Eloquence ! C’est le premier mot qui me vint à l’esprit quand j’ai commencé à chercher l’attaque de l’article sur Noureddine Saïl. Association de mots et d’idées, Noureddine Saïl est tout entier dans ce concept « éloquence » qu’il a habité durant tout son parcours et dans lequel il ne se sentirait pas dépaysé. Philosophe de formation, ce n’est pas à ce maître de la parole que sont inconnus les Quintilien et autres Cicéron, Démosthène, Platon ou Aristote. La rigueur de l’éloquence et de la persuasion, un art porté comme une seconde nature par la pensée de Noureddine Saïl, est dans le principe de Quintilien, loin des chemins de l’abstraction philosophique, maître de la preuve irréfutable dans l’enquête policière (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ?) et à l’origine du fameux 5 W (Who did What ? When ? Where ? Why ?) dans le journalisme.
Dans les Années 70, la formule « cinéclub », espace de projection et de débat, a été la tribune idéale pour un Noureddine Saïl qui devait se montrer plus persuasif que jamais face à un public qui avait – et c’est le moins que l'on puisse en dire ! – le sens de la contradiction.
Qui aime le cinéma fait des films
A l’esprit pédagogue et explicatif du tribun, s’opposaient des postures, souvent dogmatiques dont la finalité est de monter au front de la parole, s’opposer pour le principe. Mais à ces joutes oratoires, qui pouvait terrasser Cicéron, Demosthène, Platon et Aristote réunit en Noureddine Saïl, le Quintilien ? Personne, et il n’est guère étonnant de voir la tradition du débat dans les ciné-clubs perdre de sa vigueur après son retrait, jusqu’à disparaître dans un désenchantement généralisé de toute une génération de combats idéologiques, issue des années des indépendances en Afrique.
La distance prise avec les espaces de débat ne signifie pas désertion du champ de bataille. Noureddine Saïl n’est peut-être plus dans le débat mais assurément dans l’action. Dans la pure tradition des road movies, « Le grand voyage » que réalise Mohamed Abderrahmane Tazi, sur un scénario de Noureddine Saïl, marque ce passage à l’acte, un film dont il est également le producteur. « Ibn Assabil », titre original du film qui signifie en traduction littérale « Celui qui est sur la route », se présente, selon le synopsis comme « Variation sur le thème de l’itinéraire balisé, l’histoire de ce jeune camionneur à qui il arrive de nombreuses aventures, échappe à toute classification car s’il s’inscrit au départ dans le néo-réalisme, il bifurque vers la tragi-comédie pour basculer finalement dans la traduction fantasmatique du désespoir ». Et ce n’est pas un hasard si le film se clôt sur une ligne d’horizon : le détroit de Gibraltar, lieu de passage et de blocage, point d’aboutissement et point de départ, est-il encore écrit dans la fiche de présentation du film dont le rôle principal du camionneur est campé par Ali Hassan, présent sur le tournage pour les besoins du son… suite à la découverte que l’acteur choisi pour y tenir le premier rôle ne savait pas conduire !
Mais où est passée la lettre A ?
Les secrets du doublage des acteurs, à part la voix de Ali Hassan qui doublera celle de Ali Hassan, sont révélateurs de l’ambiance « bon enfant » qui a présidé à la réalisation du film Ibn Assabil : Noureddine Saïl assure le doublage de Jilali Ferhati, jeune cinéaste à l’étoile montante, Larbi Skalli (journaliste au long cours, MAP, radio et télé), celle de Larbi Yaâcoubi, Khalid Jamaï (journaliste et ancien rédacteur en chef de L’Opinion), celle du motocycliste… et Khadija Assad prêtera sa voix à l’actrice principale du film, Nadia Atbib, dont il apparaissait que c’était le premier grand rôle au cinéma, dans cette sorte de conte philosophique écrit par Noureddine Saïl et interprété à l’écran par Ali Hassan qui deviendra le complice de celui-ci dans l’émission « Ecran noir », réunissant les cinéphiles devant la télévision une fois par semaine.
Qui aime le cinéma, n’échappe pas à la littérature est l’autre leçon du parcours de Noureddine Saïl… Cinéphile dans l’âme qui occupera des postes de responsabilités à la télévision, dirigera le Centre Cinématographique Marocain, le Festival International du film de Marrakech dont il fut vice-président délégué de la Fondation qui l’organise sous la présidence du prince Moulay Rachid, fondateur du festival de Khouribga consacré au cinéma africain, Noureddine Saïl a publié un seul roman « L’ombre du chroniqueur ».
Cette œuvre unique se fera remarquer par l’absence de la lettre A (en majuscule comme en minuscule), comme ce fut déjà le cas pour la lettre E dans « La disparition » de Georges Perec, un membre du mouvement Oulipo, fondé en 1961 par François Le Lyonnais et Raymond Queneau. Si la lettre « e » est la plus présente dans la langue française, la seconde place est occupée par la lettre S, pour certains, A pour d’autres. Ce procédé littéraire appelé « lipogramme » le place d’emblée non pas dans la littérature mais dans une littérature « potentielle » qui n’a pas encore donné la pleine mesure de ses possibilités, une quête esthétique et révolutionnaire des formes dont il est le précurseur au Maroc… et le second dans le monde.
Dans les Années 70, la formule « cinéclub », espace de projection et de débat, a été la tribune idéale pour un Noureddine Saïl qui devait se montrer plus persuasif que jamais face à un public qui avait – et c’est le moins que l'on puisse en dire ! – le sens de la contradiction.
Qui aime le cinéma fait des films
A l’esprit pédagogue et explicatif du tribun, s’opposaient des postures, souvent dogmatiques dont la finalité est de monter au front de la parole, s’opposer pour le principe. Mais à ces joutes oratoires, qui pouvait terrasser Cicéron, Demosthène, Platon et Aristote réunit en Noureddine Saïl, le Quintilien ? Personne, et il n’est guère étonnant de voir la tradition du débat dans les ciné-clubs perdre de sa vigueur après son retrait, jusqu’à disparaître dans un désenchantement généralisé de toute une génération de combats idéologiques, issue des années des indépendances en Afrique.
La distance prise avec les espaces de débat ne signifie pas désertion du champ de bataille. Noureddine Saïl n’est peut-être plus dans le débat mais assurément dans l’action. Dans la pure tradition des road movies, « Le grand voyage » que réalise Mohamed Abderrahmane Tazi, sur un scénario de Noureddine Saïl, marque ce passage à l’acte, un film dont il est également le producteur. « Ibn Assabil », titre original du film qui signifie en traduction littérale « Celui qui est sur la route », se présente, selon le synopsis comme « Variation sur le thème de l’itinéraire balisé, l’histoire de ce jeune camionneur à qui il arrive de nombreuses aventures, échappe à toute classification car s’il s’inscrit au départ dans le néo-réalisme, il bifurque vers la tragi-comédie pour basculer finalement dans la traduction fantasmatique du désespoir ». Et ce n’est pas un hasard si le film se clôt sur une ligne d’horizon : le détroit de Gibraltar, lieu de passage et de blocage, point d’aboutissement et point de départ, est-il encore écrit dans la fiche de présentation du film dont le rôle principal du camionneur est campé par Ali Hassan, présent sur le tournage pour les besoins du son… suite à la découverte que l’acteur choisi pour y tenir le premier rôle ne savait pas conduire !
Mais où est passée la lettre A ?
Les secrets du doublage des acteurs, à part la voix de Ali Hassan qui doublera celle de Ali Hassan, sont révélateurs de l’ambiance « bon enfant » qui a présidé à la réalisation du film Ibn Assabil : Noureddine Saïl assure le doublage de Jilali Ferhati, jeune cinéaste à l’étoile montante, Larbi Skalli (journaliste au long cours, MAP, radio et télé), celle de Larbi Yaâcoubi, Khalid Jamaï (journaliste et ancien rédacteur en chef de L’Opinion), celle du motocycliste… et Khadija Assad prêtera sa voix à l’actrice principale du film, Nadia Atbib, dont il apparaissait que c’était le premier grand rôle au cinéma, dans cette sorte de conte philosophique écrit par Noureddine Saïl et interprété à l’écran par Ali Hassan qui deviendra le complice de celui-ci dans l’émission « Ecran noir », réunissant les cinéphiles devant la télévision une fois par semaine.
Qui aime le cinéma, n’échappe pas à la littérature est l’autre leçon du parcours de Noureddine Saïl… Cinéphile dans l’âme qui occupera des postes de responsabilités à la télévision, dirigera le Centre Cinématographique Marocain, le Festival International du film de Marrakech dont il fut vice-président délégué de la Fondation qui l’organise sous la présidence du prince Moulay Rachid, fondateur du festival de Khouribga consacré au cinéma africain, Noureddine Saïl a publié un seul roman « L’ombre du chroniqueur ».
Cette œuvre unique se fera remarquer par l’absence de la lettre A (en majuscule comme en minuscule), comme ce fut déjà le cas pour la lettre E dans « La disparition » de Georges Perec, un membre du mouvement Oulipo, fondé en 1961 par François Le Lyonnais et Raymond Queneau. Si la lettre « e » est la plus présente dans la langue française, la seconde place est occupée par la lettre S, pour certains, A pour d’autres. Ce procédé littéraire appelé « lipogramme » le place d’emblée non pas dans la littérature mais dans une littérature « potentielle » qui n’a pas encore donné la pleine mesure de ses possibilités, une quête esthétique et révolutionnaire des formes dont il est le précurseur au Maroc… et le second dans le monde.
Abdallah BENSMAÏN