Une nouvelle bataille juridique oppose depuis décembre 2021 Maroc Telecom à Inwi au sujet de la non-mutualisation des infrastructures. Les experts espèrent un dénouement heureux à même de permettre d’amorcer une réelle transition digitale.
La fibre optique gagne du terrain au Maroc, doucement mais sûrement. C’est ce que nous pouvons constater du bilan de l’année 2021 publié par Maroc Telecom le 16 février dernier. Le Groupe a indiqué en effet que le parc Fixe continue de perdre des clients (1,7%) au profit du parc FTTH (fibre optique), en croissance de 47% par rapport à l’année précédente. Des chiffres qui confortent ceux de l’Agence nationale de la réglementation des télécommunications (ANRT) qui a indiqué dans son observation des abonnements à Internet au Maroc que le parc FTTH connaît une augmentation constante, chiffrée à 15,37% au troisième trimestre de l’année écoulée.
L’ADSL est morte, vive la fibre !
La fibre optique est donc de plus en plus prisée par les Marocains, notamment les plus aisés, pour sa qualité et sa rapidité, bien plus efficaces que celles de l’ADSL, encore majoritaire sur l’ensemble du territoire national. La généralisation de la fibre optique demeure une condition sine qua non à la vraie transition digitale que vise le Maroc dans ses différents programmes économiques, et à l’attractivité des investissements étrangers, notamment dans le digital.
Sommes-nous sur la bonne voie ? Pas sûr, au vu du contexte actuel, notamment la non-mutualisation des infrastructures télécoms entre les trois compagnies opérant sur le sol national. Ce qui a poussé Inwi à déposer une nouvelle plainte en décembre dernier contre l’opérateur historique, Maroc Telecom, pour abus de position dominante. Elle lui reproche notamment de monopoliser son réseau cuivre hérité de l’Etat marocain, malgré une première plainte retirée en février 2020 et une amende de 3,3 milliards de dirhams infligée par l’ANRT à Maroc Telecom, un mois plus tôt.
L’union fait la force ?
Les experts le clament haut et fort : il est très difficile de parler de transition digitale réussie tant que chaque opérateur investit tout seul dans ses propres infrastructures. C’est le cas de Khalid Ziani, expert en IT (Technologie de l’information) et en télécommunications.
Pour lui, tant que l’investissement dans les infrastructures représente un coût majeur à l’opérateur, il sera très difficile pour lui de les ouvrir à ses concurrents. Il déplore le fait que le partage des infrastructures n’ait pas été anticipé lors de la rédaction de la loi relative à la poste et aux télécommunications en 2004, une époque où Maroc Telecom avait une position largement dominante sur le marché.
Et d’ajouter que pour le futur, une seule pierre manque à l’édifice : des sociétés intermédiaires qui investissent dans les infrastructures et les mettent à disposition des opérateurs. Il explique : «Il est possible de faire passer sur une même fibre optique trois ou quatre opérateurs, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui où chacun tire sa propre fibre. Il manque un intermédiaire qui investisse dans cela et qui partage l’infrastructure entre les opérateurs. Tant que cette pierre, l’intermédiaire, manque à l’édifice, nous ne pourrons pas parler de mutualisation », insiste-t-il.
L’ajout de cet intermédiaire, qui opérera sous la supervision de l’ANRT, précise notre interlocuteur, permettra aux opérateurs de diviser la facture des coûts et de facto rendre la fibre optique plus accessible aux utilisateurs marocains.
Khalid Ziani regrette également l’absence de chiffres sur la couverture télécom par régions, que ce soit de la part de l’ANRT dans ses observations trimestrielles ou des opérateurs télécoms dans leurs bilans annuels. Il est rejoint par Ahmed Kamal Archane, membre de l’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens et spécialiste des TIC, qui estime que la disparité territoriale dans le numérique est créée à deux niveaux : « Au niveau central, en raison de l’absence de la dimension territoriale dans les plans numériques de 2013 à 2020, et au niveau des régions, le numérique est quasiment absent dans les Programme de Développement Régional (PDR) ».
Mohamed BERRADA
Repères
Combien coûte un abonnement FTTH au Maroc ?
Les trois compagnies télécoms opérant au Maroc offrent des abonnements à la fibre optique aux utilisateurs. Il est cependant nécessaire pour chacun de vérifier si son lieu de résidence est desservi par les câbles, et par quel opérateur. Dans certains quartiers des grandes villes, les trois opérateurs sont présents, tandis que dans d’autres, le choix est limité à un ou deux concurrents. D’autres zones ne sont carrément pas concernées et leurs habitants se contentent de l’ADSL. Maroc Telecom offre uniquement deux types d’abonnements, à 500 dhs/mois pour 100 méga et 1000 dhs pour 200 méga. Inwi dispose de quatre offres allant de 349 dhs/mois pour 50 méga à 649 dhs/mois pour 200 méga. De même pour Orange, dont les offres vont de 249 dhs pour 20 méga à 649 dhs pour 200 méga.
Fibre optique : Quels sont les pays les plus avancés ?
Au Maroc, le rapport de l’ANRT fait sortir que plus de 330.000 utilisateurs sont abonnés à la fibre optique, sans pour autant relativiser ce taux par rapport au nombre d’utilisateurs global d’Internet. En Europe, deux grands pays affichent également un taux relativement faible de 4%, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Les deux pays de la péninsule ibérique affichent des taux respectables, 53% pour le Portugal et presque 70% pour l’Espagne. Selon un rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), c’est la Corée du Sud qui est le pays le plus fibré au monde, avec 83,9% du total des connexions Internet. Elle détient également le premier réseau 5G dans le monde.
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Sociétés intermédiaires
Quel risque de perte de contrôle de l’Etat ?
Il explique : « Si le Maroc n’engage pas ces réformes de manière à rendre accessible I’Internet à haut débit à tous les Marocains et sur tout le territoire, il va y avoir des alternatives auxquelles on ne s’y attend pas, comme le satellite. Des sources de revenus pour l’Etat ou pour les opérateurs vont donc s’évaporer ».
Pire, il craint que le Maroc ne soit pas en mesure de profiter d’une nouvelle niche de métiers qui voit le jour partout dans le monde, faute d’infrastructures solides : « Avec nos moyens actuels, nous ne développons pas tous les métiers digitaux liés à cette connectivité et à accès haut débit. Le cloud computing, par exemple, ne peut être introduit au Maroc que si on développe les télécoms ».
Disparités régionales
Les pistes de solutions
Si une nouvelle ligne ferroviaire ou une nouvelle route est mise en place, le passage des câbles de la fibre peut se faire en parallèle ». Dernier levier : l’adoption d’une tarification sociale aux populations les plus concernées par la cherté des prix d’Internet, comme les étudiants ou les artisans.
« Si cette population n’a pas accès à Internet, elle est de facto exclue de son métier et de son environnement, puisque l’accès à Internet s’impose pour elle comme une nécessité. En finançant ne serait-ce qu’une partie de son abonnement, l’Etat rendra la connexion à Internet accessible à plus de monde, et participera à l’augmentation du revenu moyen par abonné pour les opérateurs, ce qui leur permettra à leur tour d’effectuer de nouveaux investissements ».
Trois questions à Khalid Ziani, expert en IT et en télécommunications
« A ce rythme, la généralisation de la 5G peut prendre dix ans »
- Maroc Telecom justifie, dans son bilan, le ralentissement des activités mobiles au Maroc par le contexte concurrentiel et réglementaire. Cet argument est-il légitime ?
- Le chiffre d’affaires de Maroc Telecom baisse, car les revenus du Mobile sont en baisse, or, ce dernier a toujours été le fer de lance de la croissance des trois opérateurs. L’argument de Maroc Telecom tient la route, mais pas dans l’esprit que l’opérateur tente de le faire croire. Le changement réglementaire a été bénéfique pour l’ensemble du marché, et a rétabli une meilleure concurrence sur le mobile. C’est normal que Maroc Telecom perde des bénéfices dans le Mobile, puisque nous constatons une augmentation chez les deux autres opérateurs.
- La fibre optique gagne du terrain au Maroc, mais demeure toujours inaccessible pour une grande partie de la population. Par quels moyens peut-on réduire les frais d’abonnement à la fibre ?
- La mutualisation des infrastructures est la condition sine qua non pour permettre de disposer d’accès à la fibre au même prix que l’ADSL. Sur la même fibre optique, créée par une société intermédiaire, les trois opérateurs pourront desservir les terminaisons. Il nous manque cette brique, qui permettra de réduire les coûts payés par chaque opérateur. Quand on voit les chiffres Maroc Telecom, 15% des investissements vont vers la 5G. Si l’opérateur continue d’y investir tout seul, il lui sera difficile de rentabiliser son investissement.
- Est-il donc réaliste, au vu de toutes ces données, de parler de 5G au Maroc aujourd’hui ?
- Oui, les investissements sont en cours, elle ne devrait pas tarder à voir le jour. La libération des fréquences a déjà été faite par Maroc Telecom et Orange. Par contre, généraliser la 5G sur l’ensemble du territoire national peut prendre dix années supplémentaires si nous continuons à ce rythme. L’idéal est d’avoir en 2030 uniquement la 4G et la 5G. Pour arriver à cet objectif, il faudra réformer la loi relative à la poste et aux télécommunications et introduire des sociétés d’infrastructures sous le contrôle de l’ANRT.
Recueillis par M. B.