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Interview avec Aziza Nait Sibaha : « Il est temps que les femmes quittent le banc de touche »


Rédigé par Safaa KSAANI Dimanche 20 Mars 2022

Un an après le lancement de la plateforme digitale dédiée au sport au féminin dans la région MENA, la présidente fondatrice de Taja estime qu’il est temps d’arrêter de faire incomber seulement la responsabilité aux hommes. Elle appelle ainsi les femmes à quitter le banc de touche pour jouer pleinement leur rôle au sein de la société.



- Aujourd’hui, la femme marocaine s’affirme de plus en plus sur les scènes politique, sociale et économique. Que signifie le 8 mars pour vous ?

- Pour moi, le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, est une date à retenir comme étant un rappel que le combat pour l’égalité entre les deux sexes continue. Cette journée n’est pas plus qu’une occasion pour faire l’évaluation de ce qu’on a fait et de ce qui nous reste à faire.

Je pense que les femmes marocaines souffrent de plusieurs contraintes, à savoir économiques, culturelles et sociétales. Il y en a celles qui dépendent de la société, des stéréotypes, des mentalités,... qui empêchent la femme de jouir pleinement de ses droits et de jouer son rôle de citoyenne active dans la société.

Il existe également des situations de précarité économique, spécialement quand il s’agit de zones rurales. Ce que je dis aujourd’hui, c’est qu’il y a un plafond de verre qui est imposé par les sociétés, comme il y en a un que les femmes elles aussi s’imposent à force d’intégrer ces stéréotypes auxquels elles doivent faire face.

Aujourd’hui, il faut s’inscrire dans l’action et non plus être uniquement dans l’attente d’avoir nos droits. En effet, même les femmes qui ont réussi à occuper des postes de responsabilité ou à s’affirmer autrement dans la société sont appelées à jouer un rôle crucial dans l’émancipation de cette catégorie. On ne doit pas se contenter de dire que les hommes ne font pas assez, car les femmes ont également leur part de responsabilité, et doivent se battre pour assurer l’égalité des genres et changer les choses. On doit être le changement auquel on aspire, on doit l’incarner et non juste en parler et faire des discours.

Par ailleurs, le fait que les femmes puissent aujourd’hui prendre part au marché du travail n’est plus une question de droits des femmes. C’est une question économique pour les pays. Je voudrais rappeler dans ce cadre qu’au niveau mondial, 75% des femmes touchées par les inégalités pourraient avoir vu leur situation s’améliorer si on fait de vrais efforts pour leur intégration et leur autonomisation économiques. Cela augmenterait le PIB mondial de plus de 12 MM dollars à l’horizon 2025. C’est un scénario réaliste qui a été fait par le cabinet McKinsey. Le monde entier gagnerait à laisser les femmes participer à faire tourner les rouages de l’économie nationale et mondiale. L’autonomisation des femmes est un atout pour l’économie.


- Depuis un an, vous avez lancé Taja, une plateforme digitale dédiée à la pratique sportive féminine dans la région MENA. A quel point le sport peut-il être un moyen d’émancipation des femmes dans nos sociétés ?

- Evidemment, le sport est important pour plusieurs raisons. Nous savons aujourd’hui qu’au-delà des bienfaits physiques du sport, celui-ci doit être un réel outil d’autonomisation des femmes et de développement dans nos sociétés. Il est donc temps que les femmes quittent le banc de touche pour jouer pleinement leur rôle au sein de la société.

Sur un terrain, on est tous des êtres humains. On ne devrait pas parler de genre. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle je ne parle pas de sport féminin puisque le sport n’a pas de genre. C’est la pratique sportive qui est féminine ou masculine. Il permet aussi aux femmes de combattre beaucoup de maladies auxquelles elles sont exposées.

Au-delà de ça, il nous permet de gagner confiance en soi, de s’affirmer et de se dire qu’on est l’égal de l’autre et de reprendre le contrôle de son corps. Le corps de la femme n’est pas une propriété publique dont chacun peut faire ce qu’il veut. Il lui appartient à elle seule. Faire du sport c’est se reconnecter à son corps, l’écouter et s’en occuper sans qu’il devienne un fardeau.


- A quel point cette plateforme médiatique participe-t-elle à mettre l’épanouissement de la gent féminine sur la bonne voie ?

- Taja est un magazine numérique porté par une plateforme digitale bilingue dont le but est de donner un peu de visibilité aux exploits sportifs féminins dans la région et de promouvoir le sport auprès des femmes. Je tiens à rappeler que Taja a été créé le 8 mars 2021. Le choix de cette date n’était pas anodin.

Je voulais montrer que le 8 mars doit être aussi une occasion de lancer des actions qui s’inscrivent dans la durée. Il fallait montrer que les femmes ont la responsabilité d’agir et non pas de participer au brouhaha international pour fêter la journée internationale des femmes.

L’autre point est que je crois en la responsabilité des médias pour montrer ce dont on parle. En fait, d’un côté, on promeut le sport auprès des 220 millions de femmes et de jeunes filles qui sont dans la région MENA, en les invitant à faire du sport, pour les raisons précitées.

On met également en lumière les exploits sportifs féminins qui sont tellement nombreux. Les femmes sont présentes dans tous les sports, dans toutes les compétitions internationales sauf que les médias, les organisations internationales et les sponsors ne s’y intéressent pas suffisamment, hormis pendant le 8 mars où on organise un match de foot féminin ou une compétition avec les femmes. On devrait faire ça toute l’année.

J’espère que demain, des plateformes média qui s’occupent du sport au féminin vont se multiplier dans la région et au Maroc. A l’occasion du premier anniversaire de la plateforme, nous avons lancé une série de capsules vidéo intitulée “Batalate” qui s’adresse à des championnes paralympiques ou handisport pour casser les stéréotypes qui entourent la problématique du handicap et promouvoir le handisport.


- Justement, évoquant le handisport, aucune rubrique n’y est dédiée sur votre plateforme. Comment expliquez-vous cela ?

- C’est parce que nous considérons que le sport n’a pas de genre, et qu’il est le même, qu’il soit handisport ou pas. D’ailleurs, je rappelle que lors des derniers jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, nos par-athlètes ont ramené plus de médailles que les autres athlètes olympiques. Pourtant, ils ont eu moins de place et d’intérêt dans les médias. Beaucoup d’entre elles et d’entre eux souffrent encore d’un manque de financement et de sponsor.


Recueillis par Safaa KSAANI

Portrait


Femmes, je plaide pour vous
 
Aziza Nait Sibaha est l’une des journalistes marocaines en quête d’égalité de genre. Son objectif : valoriser les femmes et déconstruire les préjugés. En charge de deux émissions emblématiques à France 24, Aziza compte à son actif plus de 600 personnalités interviewées. Elle a reçu dans ses émissions des chefs d’Etat, des femmes et hommes politiques, des artistes, des acteurs du monde économique…

Pour elle, aider, assister, défendre, traiter de tous les sujets qui touchent la société et les citoyens, fait pleinement et intégralement partie du métier de journaliste. Une large expérience qui en fait aujourd’hui une intervieweuse et une modératrice de débats, confirmée. Avant de rejoindre France 24, la chaîne française d’information internationale, à sa création en 2006, cette journaliste trilingue (arabe, français, anglais) a été amenée à travailler aussi bien au Maroc, au Canada, au Kenya qu’en France.

En 2018, Aziza Nait Sibaha crée “Lead Up”, un cabinet de conseil et de formation en média training, prise de parole en public et développement de leadership. Inspirée par son passage à Harvard, elle a aussi tenu à mettre en place des modules de formation spécifiquement destinés aux femmes dirigeantes et aux organisations qui veulent renforcer la diversité au sein de leurs équipes. Aziza Nait Sibaha est aussi souvent sollicitée comme modératrice et maîtresse de cérémonie dans de nombreux événements internationaux.

Son trilinguisme et son expérience dans la gestion des débats et des entretiens en font une intervenante confirmée. Elle est d’ailleurs très engagée pour l’égalité femmes-hommes. A ce titre, elle est souvent invitée comme Keynote speaker dans des conférences internationales dédiées aux questions de la diversité. Elle fut l’invitée de la Fondation May Chidiac à la conférence “Women in the Frontlines” en Jordanie, ou encore du premier Forum « Takminds » sur la diversité de genre, au Koweit, comme elle est intervenue à la conférence régionale de l’International Women’s Forum, qui s’était tenue au Maroc.


S. K.
 








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