- La sécurité énergétique, notamment le gaz, est devenue un enjeu majeur pour les Etats. Quels en sont les grands défis (avantages et faiblesses) pour le Maghreb ?
- La sécurité énergétique est un enjeu majeur pour l’ensemble des Etats car l’énergie est essentielle pour tous les pays et toutes les économies nationales. Aucun Etat ne peut donc s’en désintéresser et toutes les politiques énergétiques doivent prendre en compte la sécurité énergétique. Le gaz naturel est important car c’est la troisième source d’énergie dans le monde aujourd’hui après le pétrole et le charbon. En 2020, le gaz représentait environ 25 % de la consommation mondiale d’énergie et la tendance est à la hausse. Le gaz naturel pourrait devenir la seconde source d’énergie dans le monde, donc devant le charbon, au cours de cette décennie.
Il y a de grandes complémentarités énergétiques au sein des pays du Maghreb. L’Algérie et la Libye sont des pays producteurs et exportateurs de gaz, la Tunisie est un petit producteur, le Maroc en produit très peu et la Mauritanie va devenir un important producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) dans les prochaines années.
Malheureusement, les tensions politiques au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), notamment entre l’Algérie et le Maroc, ne permettent pas de concrétiser un potentiel important de coopération énergétique, y compris gazière. Deux exceptions importantes sont deux gazoducs partant de l’Algérie, allant vers l’Union européenne (Italie et Espagne) et transitant respectivement par la Tunisie et par le Maroc. Comme l’énergie est un sujet majeur, il faut beaucoup de confiance entre des pays pour qu’ils coopèrent activement dans ce domaine. Comme la confiance n’est pas forcément au rendez-vous au Maghreb, la coopération énergétique reste très inférieure à ce qu’elle pourrait être.
- Actuellement, un faux débat anime l’actualité dans cette région concernant un éventuel non-renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb-Europe par l’Algérie. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ?
- Le gazoduc Maghreb-Europe relie l’Algérie à la péninsule ibérique en passant par le Maroc. Ce gazoduc est entré en service en 1996 et le contrat avait été signé pour une durée de 25 ans, donc jusqu’en 2021. La dégradation des relations entre le Maroc et l’Algérie avec la rupture des relations diplomatiques est donc une menace potentielle pour la poursuite de cette coopération qui a pourtant bien fonctionné depuis longtemps en dépit des relations difficiles entre ces deux Etats.
- Quelles sont les marges de manoeuvre pour l’Algérie quand on sait que ce renouvellement dépend plus de l’Espagne et du Portugal et au-delà de l’UE qui se positionne comme garante de la sécurité énergétique de l’ensemble de ses pays membres ?
- La question est très importante : l’énergie, en l’occurrence le gaz, sera-t-elle épargnée au milieu de cette crise politique et diplomatique, parce que les deux pays concernés y ont intérêt en termes économiques, ou la rupture des relations diplomatiques entraînera-t-elle un arrêt total ou partiel de cette coopération gazière ?
Pour l’Algérie, l’enjeu clé est la poursuite de ses exportations de gaz vers l’Espagne même si Alger dispose aussi pour cela du gazoduc Medgaz, qui la relie directement à l’Espagne sans passer par un pays tiers. Pour le Maroc, il y a deux enjeux : l’importation de gaz algérien pour la production d’électricité et les recettes de transit.
L’Algérie pourrait ne pas renouveler le contrat pour la vente de gaz au Maroc mais, si elle veut continuer à utiliser ce gazoduc pour exporter du gaz vers l’Espagne, elle devra continuer à payer des droits de transit au Maroc. Par ailleurs, la capacité du Medgaz est en cours d’extension mais cela ne signifie pas que l’Algérie pourrait se passer totalement du gazoduc Maghreb-Europe pour exporter vers l’Union européenne (UE). Ce ne serait pas non plus un bon signal à envoyer à l’UE.
- Justement, le projet du gazoduc Maroc-Nigeria peut-il réduire la dépendance énergétique du Royaume face à ce scénario ?
- Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc s’inscrit dans le long terme, il est d’une ampleur considérable et il implique de nombreux pays africains. En dépit d’un fort soutien politique, son financement n’est pas encore assuré et sa construction n’a pas encore été lancée. Il ne pourrait donc pas répondre aux besoins gaziers du Maroc à court et à moyen terme dans l’hypothèse, non encore vérifiée, où ce pays ne pourrait plus importer du gaz algérien.
- Dans le même cadre, avec les énergies renouvelables le Maroc tend-il vers une baisse drastique de la dépendance énergétique ?
- Sinon, quels sont les voies et moyens envisageables pour y parvenir ? L’une des autres options est l’importation de GNL qui est transporté par bateau (méthanier). Mais le projet d’introduction du GNL au Maroc a été reporté à plusieurs reprises et il est plutôt prévu à présent pour la fin de cette décennie.
En cas de nouvelles découvertes gazières au Maroc, la production nationale pourrait être accrue mais cela dépend des résultats de l’exploration et il n’y a donc aucune certitude dans ce domaine. Il serait aussi possible d’importer plus de produits pétroliers et/ou de charbon, donc des combustibles fossiles, pour des centrales thermiques.
L’environnement et le climat n’y trouveraient pas forcément leur compte mais cela peut être une solution provisoire. Par ailleurs, le développement des capacités de production d’électricité à partir de sources renouvelables se poursuit. L’objectif pour 2030 est que les énergies renouvelables représentent 52% des capacités de production d’électricité du Royaume.
Le Maroc est très dépendant des énergies importées puisque son taux de dépendance était compris entre 91% et 92% en 2019, selon le ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement. Ce taux a cependant baissé au cours des dernières années du fait de la montée en puissance des sources renouvelables. Et il y a également l’impact positif des politiques d’efficacité énergétique, l’une des autres grandes priorités du Maroc. Cela dit, comme toujours en matière d’énergie, il faut du temps pour obtenir une forte réduction de la dépendance énergétique. La direction est bonne mais le chemin est long.
- La sécurité énergétique est un enjeu majeur pour l’ensemble des Etats car l’énergie est essentielle pour tous les pays et toutes les économies nationales. Aucun Etat ne peut donc s’en désintéresser et toutes les politiques énergétiques doivent prendre en compte la sécurité énergétique. Le gaz naturel est important car c’est la troisième source d’énergie dans le monde aujourd’hui après le pétrole et le charbon. En 2020, le gaz représentait environ 25 % de la consommation mondiale d’énergie et la tendance est à la hausse. Le gaz naturel pourrait devenir la seconde source d’énergie dans le monde, donc devant le charbon, au cours de cette décennie.
Il y a de grandes complémentarités énergétiques au sein des pays du Maghreb. L’Algérie et la Libye sont des pays producteurs et exportateurs de gaz, la Tunisie est un petit producteur, le Maroc en produit très peu et la Mauritanie va devenir un important producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) dans les prochaines années.
Malheureusement, les tensions politiques au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), notamment entre l’Algérie et le Maroc, ne permettent pas de concrétiser un potentiel important de coopération énergétique, y compris gazière. Deux exceptions importantes sont deux gazoducs partant de l’Algérie, allant vers l’Union européenne (Italie et Espagne) et transitant respectivement par la Tunisie et par le Maroc. Comme l’énergie est un sujet majeur, il faut beaucoup de confiance entre des pays pour qu’ils coopèrent activement dans ce domaine. Comme la confiance n’est pas forcément au rendez-vous au Maghreb, la coopération énergétique reste très inférieure à ce qu’elle pourrait être.
- Actuellement, un faux débat anime l’actualité dans cette région concernant un éventuel non-renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb-Europe par l’Algérie. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ?
- Le gazoduc Maghreb-Europe relie l’Algérie à la péninsule ibérique en passant par le Maroc. Ce gazoduc est entré en service en 1996 et le contrat avait été signé pour une durée de 25 ans, donc jusqu’en 2021. La dégradation des relations entre le Maroc et l’Algérie avec la rupture des relations diplomatiques est donc une menace potentielle pour la poursuite de cette coopération qui a pourtant bien fonctionné depuis longtemps en dépit des relations difficiles entre ces deux Etats.
- Quelles sont les marges de manoeuvre pour l’Algérie quand on sait que ce renouvellement dépend plus de l’Espagne et du Portugal et au-delà de l’UE qui se positionne comme garante de la sécurité énergétique de l’ensemble de ses pays membres ?
- La question est très importante : l’énergie, en l’occurrence le gaz, sera-t-elle épargnée au milieu de cette crise politique et diplomatique, parce que les deux pays concernés y ont intérêt en termes économiques, ou la rupture des relations diplomatiques entraînera-t-elle un arrêt total ou partiel de cette coopération gazière ?
Pour l’Algérie, l’enjeu clé est la poursuite de ses exportations de gaz vers l’Espagne même si Alger dispose aussi pour cela du gazoduc Medgaz, qui la relie directement à l’Espagne sans passer par un pays tiers. Pour le Maroc, il y a deux enjeux : l’importation de gaz algérien pour la production d’électricité et les recettes de transit.
L’Algérie pourrait ne pas renouveler le contrat pour la vente de gaz au Maroc mais, si elle veut continuer à utiliser ce gazoduc pour exporter du gaz vers l’Espagne, elle devra continuer à payer des droits de transit au Maroc. Par ailleurs, la capacité du Medgaz est en cours d’extension mais cela ne signifie pas que l’Algérie pourrait se passer totalement du gazoduc Maghreb-Europe pour exporter vers l’Union européenne (UE). Ce ne serait pas non plus un bon signal à envoyer à l’UE.
- Justement, le projet du gazoduc Maroc-Nigeria peut-il réduire la dépendance énergétique du Royaume face à ce scénario ?
- Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc s’inscrit dans le long terme, il est d’une ampleur considérable et il implique de nombreux pays africains. En dépit d’un fort soutien politique, son financement n’est pas encore assuré et sa construction n’a pas encore été lancée. Il ne pourrait donc pas répondre aux besoins gaziers du Maroc à court et à moyen terme dans l’hypothèse, non encore vérifiée, où ce pays ne pourrait plus importer du gaz algérien.
- Dans le même cadre, avec les énergies renouvelables le Maroc tend-il vers une baisse drastique de la dépendance énergétique ?
- Sinon, quels sont les voies et moyens envisageables pour y parvenir ? L’une des autres options est l’importation de GNL qui est transporté par bateau (méthanier). Mais le projet d’introduction du GNL au Maroc a été reporté à plusieurs reprises et il est plutôt prévu à présent pour la fin de cette décennie.
En cas de nouvelles découvertes gazières au Maroc, la production nationale pourrait être accrue mais cela dépend des résultats de l’exploration et il n’y a donc aucune certitude dans ce domaine. Il serait aussi possible d’importer plus de produits pétroliers et/ou de charbon, donc des combustibles fossiles, pour des centrales thermiques.
L’environnement et le climat n’y trouveraient pas forcément leur compte mais cela peut être une solution provisoire. Par ailleurs, le développement des capacités de production d’électricité à partir de sources renouvelables se poursuit. L’objectif pour 2030 est que les énergies renouvelables représentent 52% des capacités de production d’électricité du Royaume.
Le Maroc est très dépendant des énergies importées puisque son taux de dépendance était compris entre 91% et 92% en 2019, selon le ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement. Ce taux a cependant baissé au cours des dernières années du fait de la montée en puissance des sources renouvelables. Et il y a également l’impact positif des politiques d’efficacité énergétique, l’une des autres grandes priorités du Maroc. Cela dit, comme toujours en matière d’énergie, il faut du temps pour obtenir une forte réduction de la dépendance énergétique. La direction est bonne mais le chemin est long.
Propos recueillis
par Wolondouka SIDIBE
Bon à savoir
Crédit bancaire Francis Perrin est un Senior Fellow du Policy Center for the New South, spécialisé dans le domaine de l’énergie. Après des études d’économie et de sciences politiques à l’Université Pierre Mendès France (UPMF - aujourd’hui Université Grenoble Alpes) à Grenoble (France), Francis Perrin a travaillé pendant plusieurs années comme journaliste et consultant indépendant sur les ressources énergétiques et minières avant de rejoindre en 1991 le Centre arabe de recherche sur le pétrole (APRC) basé à Paris. Il a été rédacteur en chef d’Arab Oil & Gas (AOG) et de Pétrole et Gaz Arabes (PGA) entre 1991 et 2000 et responsable éditorial des publications de l’APRC de 2001 à fin 2011.
Francis Perrin a créé début 2012 Stratégies et Politiques Energétiques (SPE) et Energy Industries Strategies Information (EISI). Il est aujourd’hui chercheur sur les questions énergétiques. Actuellement, Francis Perrin est chargé de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Il enseigne à l’IRIS (cours sur la sécurité énergétique) et à l’Institut national des sciences et technologies nucléaires (INSTN, lié au Commissariat à l’énergie atomique - CEA…