- Après 35 ans de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), comment évaluez-vous les résultats obtenus par le Maroc à ce jour ?
- Le Maroc a enregistré des progrès notables en matière de lutte contre le sida. C’est un des rares pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à avoir inversé la courbe ascendante du nombre des nouvelles infections. Ainsi, notre pays a réduit les nouvelles infections de 50% entre 2010 et 2022. Le nombre des décès a diminué aussi de 59% sur la même période. Cela dit, beaucoup reste à faire pour améliorer la qualité de la prise en charge des malades, notamment ceux qui n’ont pas de couverture sociale, et lutter efficacement contre la stigmatisation ainsi que la discrimination.
- Les statistiques du ministère disent que 4.767 personnes atteintes du VIH ignorent qu’elles ont contracté le virus. Comment expliquez-vous cela ?
- En 2022, plus d’une personne vivant avec le VIH sur cinq ignorait sa séropositivité. Au moins 760 personnes seraient nouvellement infectées par le VIH durant la même année. La tranche d’âge la plus touchée est celle des 25-34 ans. C’est la raison pour laquelle l’ALCS a décidé de cibler, plus particulièrement, les jeunes lors de la 4ème édition de la Semaine internationale du dépistage qui s’est déroulée du 20 au 26 novembre 2023. Lors de ladite Semaine, les conseillers communautaires du dépistage de l’ALCS ont réussi l’exploit d’effectuer 3064 tests de dépistage du VIH en 7 jours. Résultat : 33 tests étaient positifs.
Cela signifie que le dépistage est la première étape de la lutte contre le sida. En effet, il permet à la personne de connaître son statut sérologique et de bénéficier d’un traitement précoce et gratuit. Il est important de souligner qu’une personne vivant avec le VIH, qui prend son traitement de manière correcte et dont la charge virale est indétectable, ne transmet pas le VIH à son partenaire, même lors de rapports sexuels sans protection. Ainsi, le fait d’intensifier le dépistage et de lever les obstacles, qui entravent l’accès des populations les plus vulnérables au VIH à ce service, est aujourd’hui une priorité.
- La crise du Covid-19 a lourdement perturbé les activités de prévention et de dépistage du VIH. Le Royaume arrive-t-il à s’en sortir 3 ans après cette pandémie ?
- La pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire et économique qui en ont découlé ont accentué l’exclusion et les inégalités qui font le lit du VIH. L’année 2022 a été synonyme de relance. Celle-ci a concerné toutes les activités de l’association dont le dépistage, première étape de la lutte contre le VIH/sida. Nos agents de santé communautaire ont ainsi réalisé 42.380 tests de dépistage du VIH en 2022, contre respectivement 26.754 et 30.239 tests pendant la pandémie de Covid en 2020 et 2021.
- Vous citez le dépistage non médicalisé à base communautaire de l’infection au VIH comme dispositif efficace contre ce fléau. En quoi consiste-t-il et qu’est-ce qui le distingue des autres formes de dépistage ?
- Le dépistage non médicalisé à base communautaire de l’infection au VIH, plus communément appelé dépistage communautaire du VIH, est un service de conseil et de test du VIH volontaire, pratiqué par des intervenants associatifs, non professionnels de santé, formé(e)s à cet effet et utilisant des tests rapides dans le cadre des programmes de prévention combinée auprès des communautés les plus vulnérables à l’infection. À l’ALCS, ces agents de santé communautaires sont appelés conseillers communautaires du dépistage. Ce dépistage communautaire est recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 2015 et son efficacité a été démontrée.
- Justement, ces acteurs sont-ils suffisamment valorisés dans l’écosystème de lutte contre le sida. Que préconisez-vous pour reconnaître à sa juste valeur le travail mené par ces acteurs ?
- En 2022, les conseillères et conseillers communautaires du dépistage de l’association, véritables actrices et acteurs de santé communautaire, ont réalisé près de 66% des tests du VIH effectués dans le milieu associatif et ont été à l’origine de 81% des tests positifs colligés par le même secteur.
Cela dit, alors que l’apport des agents de santé communautaire pour mettre fin au VIH à l’horizon 2030 n’est plus à démontrer, aucun statut ne leur est accordé par l’Etat. L’ALCS le déplore avec vigueur d’autant plus que cette non-reconnaissance risque fortement de perturber l’accélération de la riposte communautaire au VIH pourtant essentielle. C’est la raison pour laquelle l’ALCS rappelle la nécessité de reconnaître à sa juste valeur le travail des agents de santé communautaire impliqués dans la lutte contre le sida.
- Côté recherche, où en est-on par rapport au développement des méthodes de dépistage et de traitement ?
- De grands progrès ont été réalisés, ces dernières années, avec une meilleure espérance de vie pour les personnes vivant avec le VIH et prenant un traitement antirétroviral. Les effets secondaires sont également aujourd’hui minimes. Une personne vivant avec le VIH, qui est sous traitement et qui suit bien son traitement, n’est plus contagieuse ! Mais ce traitement n’éradique toujours pas définitivement le virus et doit être pris à vie. La recherche se poursuit donc pour tenter de trouver des traitements qui guérissent et/ou un vaccin qui protège contre l’infection.
En attendant, l’intensification des actions de prévention et de dépistage ainsi que l’amélioration de la connexion, de l’accompagnement et du maintien dans le soin sont indispensables pour enrayer l’épidémie. Cela exige de lever les barrières qui entravent l’accès des communautés les plus vulnérables à ces services, et ce, en garantissant la généralisation effective de la couverture sanitaire universelle, en réduisant la stigmatisation et la discrimination ou encore en luttant contre les violences basées sur le genre.
- Vous, qui êtes très proche de la population atteinte du VIH, à quel point arrivent-ils à sortir de l’ombre ?
- Grâce à notre programme d’appui psychosocial mis en œuvre dans 14 villes, 7.590 personnes vivant avec le VIH, dont la majorité ne dispose pas d’une couverture sociale ou de revenus stables, ont bénéficié d’un soutien en 2022. Si le bilan du programme est globalement satisfaisant, la pénurie de médecins infectiologues ainsi que la stigmatisation et la discrimination rendent difficile l’accès de ces personnes aux traitements et leur maintien dans le soin.
La discrimination et la stigmatisation liées au VIH sont hélas une réalité. Ainsi, les personnes vivant avec le VIH, qui perçoivent des niveaux élevés de stigmatisation liée au sida, sont 2,4 fois plus susceptibles de retarder leur inscription à des programmes de prise en charge médicale jusqu’à ce qu’elles soient très malades. À l’inverse, là où des programmes ont été mis en place pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination, l’accès aux services de prévention, de dépistage et de traitement du VIH s’est sensiblement amélioré.
- Pour finir, quelles sont vos futures actions dans le cadre du Plan national de lutte lancé par le Royaume ?
- Le 1er décembre dernier, l’ALCS s’est jointe à l’appel de l’ONUSIDA demandant à confier le leadership aux communautés. Notre association, partenaire du ministère de la Santé et de la Protection sociale, continuera donc d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies communautaires dont l’efficacité n’est plus à prouver. Dans cette optique, nous continuerons à plaider pour la reconnaissance du travail des agents de santé communautaire, réduire la stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH et des communautés les plus vulnérables. Il s’agira aussi d’œuvrer en faveur de la généralisation de l’accès aux services de santé, étoffer les services de santé sexuelle. Les actions concerneront aussi le renforcement des dispositifs de prévention virtuelle en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ce sont autant d’actions que l’ALCS mettra en œuvre afin d’accélérer la riposte au VIH.
Recueillis par Mina ELKHODARI