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Interview exclusive avec Fatima Driouech membre du GIEC


Rédigé par Oussama Abaous Dimanche 15 Août 2021

Publié le lundi dernier, le premier volume du 6ème rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se focalise sur les aspects physiques du changement climatique. Qualifié de véritable « alerte rouge pour l’humanité » par le Secrétaire général de L’ONU, le rapport souligne que les changements climatiques récents sont généralisés, rapides et en cours d’intensification. Le phénomène globalisé « sans précédent depuis des milliers d'années » -dont le principal moteur est l’influence des activités humaines- est en train d’affecter toutes les régions de la terre. Mme Fatima Driouech, Vice-présidente du groupe de travail 1 et membre du bureau du GIEC a répondu à nos questions sur la teneur de ce nouveau rapport.



Interview exclusive avec Fatima Driouech membre du GIEC
-Quelles sont les spécificités de ce nouveau rapport du GIEC et quelles en sont les principales conclusions ?

- Le tout récent rapport d’évaluation du GIEC publié cette semaine correspond à la contribution du Groupe de travail I du GIEC au sixième rapport d'évaluation. Il se focalise sur les éléments scientifiques et traite de la compréhension physique la plus récente du système climatique et du changement climatique, rassemblant les dernières avancées de la science du climat et combinant plusieurs sources de preuves issues des paléoclimats, des observations, de la compréhension des processus et des simulations climatiques mondiales et régionales. Plusieurs conclusions scientifiques solides y sont mises en évidence. On peut en citer le fait que les changements climatiques récents sont généralisés, rapides et s'intensifient et ce sans précédent depuis des milliers d'années. Le changement climatique affecte déjà toutes les régions de la terre, de diverses manières et l'influence humaine en est le principal moteur.

De nombreux changements dans le système climatique deviennent plus importants en relation directe avec l'augmentation du réchauffement climatique. Ils comprennent l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des extrêmes de chaleur, des vagues de chaleur marines et des fortes précipitations, des sécheresses dans certaines régions (comme la région Méditerranéenne) et de la proportion de cyclones tropicaux intenses, ainsi que des réductions de la banquise arctique, de la couverture neigeuse et du pergélisol.

Nous vivons déjà partout avec les conséquences du changement climatique, et chaque région connaîtra d'autres changements simultanés et multiples qui s'accentueront avec chaque réchauffement supplémentaire. Chaque petite augmentation du réchauffement entraîne des impacts supplémentaires. Un climat plus chaud intensifiera les saisons et les événements météorologiques et climatiques très humides et très secs, avec des implications pour les inondations ou la sécheresse.

Outre les résultats scientifiques, ce rapport inclut un Atlas interactif, un de ses éléments novateurs, qui permet d'obtenir pour chaque région du monde des données et informations sur l'évolution, sous différents scénarios d'émission de gaz à effet de serre, de nombreux paramètres et phénomènes climatiques au cours du 21ème siècle.

-Quelle a été votre contribution à ce rapport ?

-Ma contribution au rapport vient d’abord de mon rôle en tant que membre du bureau du GIEC et de celui de vice-présidente du Groupe de travail 1. Le Bureau du GIEC fournit des orientations au Groupe sur les aspects scientifiques et techniques de ses travaux et donne des conseils sur la gestion et les questions stratégiques. Parmi ses attributions, il y a le maintien des normes les plus élevées d'excellence scientifique et technique et le conseil des auteurs et des réviseurs des rapports. J’ai ainsi participé à la supervision, suivi et encadrement du processus de l’élaboration du rapport objet de cet entretien depuis la définition de son plan jusqu’à sa finalisation et son adoption passant, entre autres, par la sélection des auteurs et leur encadrement et le suivi du processus de sa révision. Je suis aussi auteur du résumé pour les décideurs et éditeur de lecture (review editor) de l’Atlas climatique.

-Le rapport se focalise sur trois scénarios (1,5°, 2° et 4°). Pensez-vous que le scénario d’un réchauffement à 1.5° soit encore réalisable à la lumière des réalités actuelles ?

-Sur la base de calculs plus sophistiqués, ce rapport montre qu'au cours des 20 prochaines années, la température moyenne mondiale devrait atteindre ou dépasser 1,5 °C au-dessus des niveaux de 1850-1900 ; soit plus tôt que prévu dans le récent rapport spécial sur le réchauffement de 1.5°C. Il souligne qu’à moins qu'il n'y ait des réductions immédiates, rapides et à grande échelle des émissions de gaz à effet de serre, limiter le réchauffement à 1,5°C sera hors de portée. Nous devons commencer à réduire les émissions de GES dès aujourd'hui si nous voulons limiter le réchauffement à 1.5°C, mais ces efforts devront être soutenus pendant des décennies si nous voulons atteindre des émissions nettes zéro de CO2 net vers 2050 et limiter le réchauffement.

-Le scénario d’un réchauffement limité à 2° est-il plus à la portée ?

-Ce rapport confirme qu’il existe une relation quasi linéaire entre les émissions anthropiques cumulées de CO2 et le réchauffement climatique qu'elles provoquent. Chaque 1000 Gt d'émissions cumulées de CO2 est estimée provoquer une augmentation de la température de surface mondiale d’environ 0,45°C. Le rapport estime qu’il est possible de libérer environ 400-500 gigatonnes de plus à l’échelle globale tout en ayant encore une chance de limiter le réchauffement à 1,5°C, ou 1150-1350 gigatonnes pour limiter le réchauffement à 2°C. Cependant, comparé aux émissions annuelles actuelles d'environ 40 gigatonnes, ce total serait atteint en quelques décennies.

Du point de vue des sciences physiques, limiter le réchauffement climatique d'origine humaine à un niveau spécifique nécessite de limiter les émissions cumulées de CO2, en atteignant au moins des émissions nettes zéro de CO2, ainsi que de fortes réductions des autres émissions de gaz à effet de serre. Des réductions fortes, rapides et soutenues des émissions de méthane limiteraient également l'effet de réchauffement résultant de la baisse de la pollution par les aérosols et amélioreraient la qualité de l'air.

-Avec ce nouveau rapport alarmant, pensez-vous que la prochaine COP puisse permettre des avancées notables pour éviter le pire ?

-La prochaine COP est dans moins de 3 mois. Elle constitue une étape importante et une opportunité pour de nouvelles actions. La publication de ce dernier rapport du GIEC arrive donc à point nommé. Il fournit à la prochaine COP la dernière évaluation de la science physique autour du changement climatique, et non seulement donne des preuves puissantes des effets du changement climatique dans le monde, mais également expose à quoi pourrait ressembler notre avenir. Ce sera une contribution précieuse pour aider à la prise de décision. Il s'appuie sur les rapports précédents du GIEC, que les gouvernements utilisent déjà.

-Les phénomènes climatiques extrêmes observés ces dernières années à travers le monde (feux de forêts, inondations notamment en Europe et dans le bassin méditerranéen) sont-ils imputables aux impacts des changements climatiques ?

-Les avancées scientifiques permettent de mieux comprendre l'influence humaine sur le système climatique. Les événements météorologiques extrêmes peuvent être attribués avec une plus grande certitude aux changements climatiques causés par l'homme. Ceci est dû non seulement à l’effet grandissant des impacts des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi au progrès dans les méthodes d’attribution. Outre l’échelle globale, plusieurs changements dans les extrêmes régionaux sont maintenant attribués aux activités humaines. Ils incluent les fortes chaleurs, les sécheresses, les évènements de fortes précipitations.  L'influence humaine a probablement augmenté aussi le risque d'événements extrêmes composés qui consistent en la combinaison de plusieurs facteurs et/ou dangers qui contribuent au risque sociétal ou environnemental. On peut citer à titre d’exemple : les vagues de chaleur et les sécheresses simultanées, les inondations composées (par exemple, une tempête combinée à des précipitations et/ou débit de rivière extrêmes), des conditions météorologiques composées favorables aux incendies (i.e. combinaison de conditions chaudes, sèches et venteuses) ou des extrêmes simultanés à emplacements différents.

La science relativement nouvelle de l'attribution des événements est capable de quantifier le rôle du changement climatique dans la modification de la probabilité et de l'ampleur de certains types d'extrêmes météorologiques et climatiques. Cependant, il reste difficile d'identifier les causes exactes d'un événement extrême particulier.

-À ce stade où seul le premier volume a été publié, est-il encore trop tôt pour tenter d’interpréter la teneur globale du sixième rapport du GIEC?

Les éléments relatifs aux impacts et actions d’adaptation et d’atténuation seront publiés en 2022. La deuxième partie (contribution du Groupe de travail II) qui sera consacrée aux impacts des changements climatiques, à la vulnérabilité et aux mesures d'adaptation sera adoptée en février 2022 et la troisième partie (contribution du Groupe de travail III), consacrée aux mesures d'atténuation en mars. Le rapport de synthèse, transversal, sera publié en septembre 2022. Cela dit, ce premier rapport, dit « Contribution du Groupe de travail I au sixième rapport d'évaluation du GIEC (AR6) » évalue les preuves actuelles sur la science physique du changement climatique, en évaluant les connaissances acquises à partir des observations, des réanalyses, des archives paléoclimatiques et des simulations de modèles climatiques, ainsi que des processus climatiques physiques, chimiques et biologiques. Il fournit les éléments scientifiques de base relatifs au changement climatique. Il fait état de la compréhension de l'état actuel du climat, y compris son évolution et le rôle de l'influence humaine, l'état des connaissances sur les futurs climatiques possibles, les informations climatiques pertinentes pour les régions et les secteurs, et la réduction du changement climatique induit par l’Homme. Les conclusions importantes issues du rapport sur les bases scientifiques du changement climatique sont claires et éloquentes.








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