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Jebel Irhoud : Abdelouahed Ben-Ncer nous dit tout sur l’ouverture au public du site


Rédigé par Oussama ABAOUSS Dimanche 16 Mai 2021

Co-auteur de l’article qui a révélé l’Homme d’Irhoud au monde, Abdelouahed Ben-Ncer a répondu à nos questions sur les projets en cours à Jebel Irhoud et sur le bilan des trois ans qu’il a passés à la tête de l’INSAP.



Le périmètre de Jebel Irhoud, qui a livré en 2017 les ossements du plus ancien Homme moderne découvert à ce jour, est actuellement en cours d’aménagement et de valorisation et sera bientôt doté d’un centre d’interprétation du patrimoine où le public pourra découvrir le potentiel archéologique du site. Pour mieux comprendre tout l’intérêt que représente le chantier en cours à Jebel Irhoud, nous avons interviewé Abdelouahed Ben-Ncer, co-auteur de l’article scientifique publié dans la prestigieuse revue « Nature » et directeur de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP).

- Dans quel contexte intervient le projet de centre d’interprétation en cours de construction à Jebel Irhoud ?

- Ce projet s’insère dans une série d’autres projets structurants qui couvrent l’ensemble des secteurs et dont l’origine émane de la découverte archéologique de l’Homme d’Irhoud. Je pense que ce centre sera un motif de fierté pour tous les Marocains, et notamment pour les gens de la région. Cet établissement permettra d’installer une dynamique régionale propulsée par des activités de recherche et d’animation culturelle et archéologique. Je tiens ici à signaler que le projet est porté par le ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. L’INSAP qui est sous la tutelle du Département de la Culture sera chargé du volet scientifique, comme ce fut le cas pour le programme de recherche développé ces 20 dernières années.
- Les activités de recherche et celles de tourisme peuvent-elles être compatibles à Jebel Irhoud ?
- Le site archéologique d’Irhoud se trouve dans un massif qui domine toute une plaine. Le centre d’interprétation sera pour sa part localisé dans un endroit en aval des zones de fouilles. Toutes les précautions environnementales et paysagères ont été prises pour que ce centre soit bien intégré dans son environnement de sorte à ce qu’il ne dénature pas l’aspect d’origine du site. Il sera par ailleurs la première étape où le visiteur pourra bénéficier de l’ensemble des informations nécessaires avant de passer aux sites où ont été faites les fameuses découvertes. Les fouilles sont provisoirement en arrêt à cause de la pandémie. Cependant, le travail de terrain ne manquera pas de reprendre, car cette région dispose d’un potentiel qui est encore à révéler. Au-delà de son rôle de promotion culturelle et muséal, le centre jouera un rôle important pour garantir de bonnes conditions de travail aux chercheurs en mission puisqu’il hébergera un laboratoire, des ateliers et des hébergements prévus à leur intention.

- Quelles sont les actualités scientifiques depuis la présentation des résultats de découverte de l’Homme d’Irhoud ? Les ossements trouvés demeurent-ils les plus anciens pour l’Homo sapiens ?

- Jusqu’à preuve du contraire, la théorie formulée grâce à notre découverte reste valable. Il y a même eu des actualités de la recherche scientifique qui confortent notre thèse, car, juste après notre découverte, un article scientifique qui porte sur la génétique a situé à 350.000 ans le point de départ de notre espèce Homo sapiens (date de coalescence de l’espèce Homo sapiens). Suite à la découverte de l’Homme d’Irhoud, il y a eu également une accélération du rythme des recherches dans différentes régions du monde pour reprendre les datations qui ont été faites par le passé. Dans le Proche Orient par exemple, les ossements les plus anciens remontaient à 95.000 ans, mais les fouilles entreprises après la découverte d’Irhoud ont révélé des ossements de 200.000 ans. Cette nouvelle datation a été motivée et impulsée par la découverte de l’Homme d’Irhoud. Autrement dit, notre travail a donné un nouvel élan de motivation aux différents chercheurs à travers le monde qui essaient depuis de trouver des découvertes équivalentes.

- Vous avez récemment bouclé trois années à la tète de l’INSAP, quel bilan faites-vous de cette période ?

- Je tiens d’abord à préciser que mes prédécesseurs ont fait un immense travail dont nous avons tenté de poursuivre l’élan et d’améliorer les acquis. Plusieurs initiatives ont ainsi été mises en oeuvre dans divers domaines. Pour l’animation scientifique et culturelle, nous avons mis en place un programme de rencontres scientifiques avec divers objectifs et périodicités. Nous avons par exemple installé la tradition des rencontres scientifiques mensuelles dédiées à la lecture et à l’étude des publications scientifiques d’actualité. C’est également une occasion pour les divers participants de s’ouvrir sur des disciplines voisines comme l’Histoire ou l’Anthropologie. Nous organisons aussi des réunions scientifiques sous forme de tables rondes bi-annuelles dédiées à la recherche fondamentale, une rencontre annuelle où nous invitons des personnalités reconnues dans notre discipline, ou encore ce que nous appelons « les leçons inaugurales » animées au début de l’année universitaire par des spécialistes de renom.

- Qu’en est-il de la diversification des programmes de recherche et d’enseignement ?

- Depuis quelques années, notre institut a développé une nouvelle génération de programmes archéologiques inspirés des meilleures pratiques mondiales et qui relèvent d’un contrat-programme soumis au Département de la Culture et actuellement en phase de trouver des partenaires privés. La mise en oeuvre de ce vaste programme va entraîner une redynamisation du secteur de la recherche. Côté enseignement, nous avons mis en place deux nouveaux Masters afin de former une relève dans certaines disciplines, notamment la préhistoire et l’archéologie préislamique et islamique. Nous avons également un Master - actuellement en phase finale de préparation - dédié à la préservation et la restauration des édifices anciens. L’INSAP vient par ailleurs de boucler la préparation des programmes des cycles de bachelor qui débuteront en 2022, avec divers parcours dont un qui sera dédié à la restauration du mobilier et des artefacts archéologiques. Il existe d’autres initiatives qui ont été lancées afin de favoriser l’ouverture de notre institut sur son environnement et sur d’autres partenaires. Je peux ici évoquer la création du club des étudiants ou encore la convention signée avec plusieurs médias qui implique que l’expertise de l’INSAP soit mise à disposition à des fins de vulgarisation et de promotion scientifique et culturelle.
 

Homme d’Irhoud

Une découverte qui a bousculé les théories sur l’évolution de l’Homme moderne

La découverte de l’Homme d’Irhoud remonte à l’année 2017, quand Jean-Jacques Hublin, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig, et Abdelouahed Ben-Ncer de l’INSAP à Rabat ont annoncé une nouvelle datation du plus ancien ancêtre de l’humain moderne (300.000 ans), dont les restes ont été retrouvés à Jebel Irhoud à 50 km de la ville de Youssoufia, détrônant ainsi Omo I et Omo II, découverts à Omo Kibish en Ethiopie et datés autour de 195.000 ans. La découverte de l’Homme d’Irhoud a ainsi mis à mal l’idée d’une évolution humaine linéaire issue d’Afrique de l’Est privilégiant la thèse selon laquelle l’Homme d’aujourd’hui serait plutôt le fruit de groupes dispersés dans toute l’Afrique. Les autorités marocaines ont par la suite classé le site du Jebel Irhoud comme patrimoine national en 2018. En fin avril 2021, les premiers travaux d’aménagement et de valorisation du site de Jebel Irhoud ont été entamés grâce à un financement multipartite de 135 millions de dirhams. Ce chantier permettra entre autres de construire un centre d’interprétation du patrimoine qui permettra au public de découvrir, dès 2022, la richesse archéologique du site ainsi que les découvertes qui ont été réalisées dans la zone. En plus de sa vocation pédagogique, la valorisation du site de Jebel Irhoud permettra de le doter d’infrastructures pour la recherche in situ. Grâce à la découverte de l’Homme d’Irhoud et à la valorisation du site où ont eu lieu les fouilles, la région bénéficiera également de plusieurs chantiers structurants ainsi que d’un potentiel avéré de développement économique et touristique.