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Culture

La culture est sur le terrain, elle n’est pas dans l’administration

Entretien avec Camille Hoballah, Editeur


Rédigé par Abdallah BENSMAÏN le Samedi 25 Avril 2020

A la tête des éditions Afrique Orient qui représente un catalogue de quelques 900 titres, Camille Hoballah dirige également Atlassi, distributeur et éditeur de livres scolaires. Entretien sur l’action du ministère de la Culture dans le domaine du livre et des rêves de transformation qui bercent les éditeurs.



M. Camille Hoballah
M. Camille Hoballah
Qu’attendez-vous exactement, d’une façon générale, du ministère de la Culture ?

La question est très générale. Donc on peut se permettre de rêver.
Un ministère est une autorité et comme toute autorité, elle a tendance à s’accaparer la politique culturelle selon la personnalité de chaque Ministre qui débarque. Quand le précédent décide le suivant annule pour faire ses marques.
La culture comme l’éducation comme le nouveau modèle de développement sont des sujets stratégiques qui ne peuvent être réduites à un simple Ministère et une équipe de fonctionnaires qui exécutent un travail administratif et qui doivent justifier les dépenses du budget alloué par des actions.
Au Maroc, nous n’avons encore jamais vu un Ministre nouvellement désigné commencer par s’informer lui-même :
  1. S’enfermer pendant le premier mois avec son équipe.
  2. Rencontrer les associations professionnelles de la culture
  3. Faire l’inventaire des institutions de son département
  4. Evaluer les actions de chaque institution, son action, le coût de ses actions et le résultat attendu.
  5. Demander à chaque département de lui faire un rapport sur les objectifs du département, ses actions, les résultats escomptés et les résultats réels.
  6. Même chose pour les  associations et les professionnels.
En fait, contraindre les gens du secteur à réfléchir et prendre du recul par rapport à la routine.

Doit-on se satisfaire de la déclaration gouvernementale de politique générale ou le ministère de la Culture doit-il faire sa propre déclaration, au moins à la presse et milieux culturels ?

Le Ministre nouvellement désigné devrait avoir l’obligation lui aussi de présenter, dans un point de presse, la stratégie qu’il compte instaurer pour développer la culture. C’est une autre façon d’ouvrir le débat et d’élargir la participation aux consultations.
Cette stratégie ne pourrait être personnelle, elle serait le fruit d’un partenariat public-privé sur la base de mini projets où chacun devra s’engager pour les faire réussir.
Lorsque qu’un mini projet réussit on l’améliore, on l’adapte et on en fait un protocole à dupliquer dans chaque commune, etc…
Dans cette démarche, l’implication de la société civile autour des réflexions thématique sur la culture est une nécessité. Il s’agit également de réconcilier la culture populaire avec les classes sociales.
Chez nous la culture est élitiste. Résultat : un roman primé sera vendu à 2 00, 300 exemplaires ou, peut-être, un peu plus mais est ce suffisant.
Est ce cela la culture ? Un prix du Maroc qui passe inaperçu, des prix de la région dont personne n’entend parler ?

Quand vous parler de mini-projet, vous pensez à des actions de quartier, du moins en milieu urbain ?

La vraie culture doit être dans la rue, dans les quartiers, à la maison. La culture de proximité, l’animation culturelle, sont des vecteurs de développement culturel.
Il faut créer une véritable industrie culturelle et des véritables métiers de la culture selon des critères non pas de création d’emplois administratifs mais selon des profils bien précis où le professionnalisme est associé à la compétence, la passion, l’abnégation, le volontariat,
Chaque responsable d’un mini projet doit aller à la recherche des sources de financement et des partenaires sociaux dans son entourage direct, être capable de fédérer les volontaires, surtout des jeunes sous forme de groupes d’actions mixtes du quartier et qui vont animer des actions culturelles chaque week-end en invitant des jeunes autour de thématiques culturelles diverses. L’action de quartier permet des échanges de compétence et de faire valoir celles qui vont apparaitre dans chaque quartier.
Ce ne sont pas les idées qui manquent mais une stratégie de mise en œuvre, une stratégie de déclinaison en actions d’une vision globale, bref politique.

Le ministère de la Culture doit-il financer l’édition générale (littérature, livre d’art) et scientifique (essais, en particulier)?

L’édition culturelle est le parent pauvre de la culture. Le chiffre des publications annuelles est si faible et le nombre de livres lus est encore plus faible. Je dis bien « lus » car le nombre de livres vendus ne correspond pas au nombre de livres lus. Les livres vendus sont à moitié confinés dans les rayons des bibliothèques. La lecture n’est pas ancrée dans notre culture quotidienne.
Cette idée de subvention a fait son chemin. Quel résultat, quel impact ? Très faible.
Le financement de l’édition doit répondre à un process global pour atteindre l’objectif attendu de ce financement.
Le ministère ne devrait plus financer ni l’éditeur ni l’auteur. L’éditeur doit publier le livre à ses frais. Le livre obtiendrait un soutien de label du ministère mais pas de financement direct.
Dans ce process de label, le Ministère s’engage à accompagner la promotion du livre dans toutes les régions du Maroc à travers ses délégations, dans chaque région, à mettre en place des centres d’accueil pour l’hébergement des auteurs, une enveloppe pour les déplacements de l’auteur, des tournées de rencontre à prévoir et organiser entre l’auteur, l’éditeur et les animateurs culturels par région.
Tout éditeur ou auteur qui ne respecterait pas son engagement d’animation culturel perdrait le droit à la subvention.

Pas de subvention à l’auteur et à l’éditeur mais accompagnement de la promotion nationale des livres, c’est une démarche qui vous paraît plus appropriée pour développer une édition de qualité ?

La subvention à l’auteur ou à l’éditeur n’est pas la solution. Il est plus profitable à l’édition nationale que le Ministère de la Culture achète des exemplaires de chaque livre paru auprès de l’éditeur, des exemplaires qui seront mis à la disposition des bibliothèques municipales ou des associations culturelles dans les 12 régions du Royaume.
Des exemplaires seront à distribuer aux chefs de département de littérature ou de la spécialité de l’ouvrage concerné, des universités et grandes écoles, avec obligation d’en faire une lecture par un professeur qui sera distribué aux étudiants lors d’un point lecture organisé chaque mois.
Le département pourrait inviter l’auteur si le sujet présente un intérêt pour le département pour un échange avec les étudiants. C’est ainsi que nous susciterons un intérêt collectif autour du livre et de la culture.
L’auteur serait valorisé. L’éditeur mieux impliqué et encouragé sans être subventionné directement avec des paperasses administratives sans résultat et des livres qui restent dans les cartons.
La parution d’un livre doit devenir un événement. Et comme pour tout événement, les auteurs devront s’appliquer à donner le meilleur car affronter le public suppose apporter une idée et non placer des mots à la suite les uns des autres.
Ce process pousse vers l’excellence et  la contribution de tous. Un process à développer, évidemment, avec d’autres idées, aussi.
A l’étranger, c’est une tout autre réflexion qui devrait s’imposer pour distribuer et promouvoir le livre publié au Maroc.

L'organisation du Siel vous parait-elle suffisante pour faire la promotion du livre?

Evidemment que non. Ce salon est devenu une tradition culturelle nationale. Son défaut, c’est qu’il est copié sur le même calque que la première édition, avec une innovation en cette année 2020 par la présence massive des universités dans des stands bien visibles et animés.
Toutefois la présence des stands comme première tentative collective - car certaines universités ont toujours été présentes – est une initiative à encourager mais à développer, non plus par la promotion des ouvrages publiés par les universités mais par le développement de partenariat public-privé entre les universités et les éditeurs. 
Quand on fait le point du salon, il faut analyser les espaces alloués en rapport avec des paramètres de l’efficience des activités face  aux espaces, aux budgets, au nombre des activités, au taux de remplissage des salles, à l’intérêt suscités par le public aux conférence, aux thématiques, aux auteurs invités, etc… Les programmes sont chargés, les fascicules des programmes imprimés en très grande  quantité et de bonne qualité.
La communication reste néanmoins faible. Le public est le même, aucun effort pour attirer d’autres publics. La grande préoccupation est le décor des stands en première ligne. Peu importe les innovations, on communique sur l’inauguration et ce qui passe à la télé. C’est très beau les premiers jours puis il y a relâchement. Les responsables en dépit de leur très bonne volonté sont dépassés par l’ampleur de la présence d’un public en masse.

Diriez-vous que le concept du Salon International de l’Edition qui a organisé en 2020 à Casablanca sa 26ème édition, est à revoir ?

Le salon est à revoir. Faire des mini-salons plus spécialisés pour attirer un autre public plus spécialisé et petit à petit intégrer ce public dans ce grand salon en regroupant les centres d’intérêt. Quant à la promotion du livre, nous n’avons jamais vu le ministère ou les médias axer leur présence au salon sur les nouveautés du salon, faire un travail en amont du salon, contacter les éditeurs et faire des rencontres quotidiennes avec les auteurs et leurs livres, des tables rondes de 4 à 5 auteurs durant le salon. La radio nationale l’a fait à un moment de l’histoire du SIEL.
Une excellente initiative qui a disparu comme toutes les bonnes initiatives.
Propos recueillis par :
Abdallah Bensmaïn