Avant le déplacement de son siège social à l’avenue Allal El Fassi au quartier administratif de Hay Riad, la Société Nationale d’Etudes du Détroit (SNED), créée en 1981, siégeait au 31, boulevard Al Alaouiyine, au beau milieu du quartier de la Tour Hassan à Rabat.
Ce local austère et constamment vide (que la SNED détient toujours), flanqué d’une grande plaque en cuivre jaune impeccablement et régulièrement lustrée, inspirait aux passants des sentiments mitigés. Le rêve d’un Maroc arrimé à l’opulente Europe par une liaison fixe et définitivement affranchi du carcan d’une insularité géostratégique imposée par un voisinage hostile, y était tempéré par ce scepticisme fataliste dominant en ces années 1980, marquées par la crise économique et le joug des plans d’ajustement structurel. En filigrane de cette ambiance partagée entre rêves de grandeur et réalités amères, résonnaient les sages paroles du défunt Roi Hassan II prononcées à l’occasion du discours du Trône du 3 mars 1986 : «Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées en Afrique mais qui respire par ses feuilles en Europe».
Quarante années après la création de la SNED, au bout d’une longue période cadencée d’effets d’annonce de reprise puis d’abandon du projet de construction d’une liaison ferroviaire et routière fixe entre le Maroc et l’Europe via le détroit de Gibraltar, ce chantier stratégique émerge de l’oubli suite à la relance des études de faisabilité par ces mêmes autorités espagnoles qui nous tournaient jadis le dos.
Une relance qui intervient au moment où le Royaume réalise une percée éclatante dans la stratégie de désenclavement terrestre et maritime de son territoire et de prolongement de son espace vital vers sa profondeur continentale en Afrique, à travers le nettoyage et la fiabilisation du très stratégique passage frontalier d’El Guerguerat.
Vue de l’Est où les succès accumulés par le Maroc suscitent un élan impressionnant de jalousie maladive et d’hostilité, cette liaison fixe avec l’Europe, qui s’inscrit en continuité avec le très étoffé réseau routier, ferroviaire et portuaire marocain, ainsi qu’avec sa voie express en cours de finalisation vers nos provinces du Sud et donc vers l’Afrique subsaharienne, risque fort d’être vécue comme une liaison fatale.