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Loi n° 18.23 : Un « Code du cinéma » pour freiner le monopole ! [INTÉGRAL]


Rédigé par Yassine Elalami Lundi 16 Décembre 2024

Surnommé « Code du cinéma », le projet de loi n° 18.23 incarne la vision réformatrice de l’Exécutif qui promet aux professionnels du secteur de rééquilibrer un marché marqué par les monopoles et d’offrir une transparence accrue à l’écosystème. La mise à jour juridique favoriserait également l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs étrangers, qui prêtent une attention particulière aux règles de bonne concurrence. Eclairage.



Adopté en deuxième lecture à une large majorité, le projet de loi n° 18.23 relatif à l’industrie cinématographique, qui réorganise également le Centre Cinématographique Marocain (CCM), s’apprête à être publié au Bulletin Officiel. Surnommé «Code du cinéma», ce texte ambitieux incarne la vision réformatrice de Mohamed Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, depuis son arrivée à la tête du ministère.

Fruit d’un dialogue approfondi et d’une concertation sans précédent, le projet a nécessité 40 réunions et près de 160 heures de discussions avec le Secrétariat Général du Gouvernement. Il reflète les attentes des professionnels du secteur en intégrant 95% des revendications issues des consultations sectorielles. Une réforme attendue de longue date, comme l’explique Mohamed Khouna, Président de la Commission d’aide à la numérisation et à la modernisation des salles de cinéma au CCM : «La dernière loi sur le cinéma, datant de 1970, n’a jamais été véritablement révisée. Le nouveau texte marque une modernisation essentielle pour adapter l’écosystème cinématographique aux réalités d’aujourd’hui».

Avec une telle portée, ce projet de loi promet d’insuffler une nouvelle bouffée d’air à l’industrie cinématographique marocaine, en réformant ses bases et en stimulant sa dynamique de croissance. «Cette loi va apporter une transparence à tout l’écosystème. Elle permettra également aux investisseurs, notamment les nouveaux, de considérer le Royaume sous un jour différent et plus attractif», souligne Mohamed Khouna.

Exploitation et distribution : Au cœur des réformes
 
Présenté comme un véritable «Code du cinéma», le projet de loi n° 18.23 rassemble pour la première fois l’ensemble des dispositions éparses qui régissaient jusqu’ici l’industrie cinématographique marocaine. Parmi ses innovations majeures figure l’article 23, qui s’attaque à un déséquilibre structurel de longue date dans le marché de la distribution cinématographique Marocaine. Cet article interdit désormais à une société de distribution de films de posséder ou d’exploiter directement des salles de cinéma ou encore de détenir des parts dans des entreprises exploitant ces salles. L’objectif affiché est clair : rétablir une concurrence équitable et redynamiser la chaîne de valeur du secteur.

Parmi les premiers à réagir à cette mesure, le groupe français Megarama, acteur dominant du paysage cinématographique marocain, n’a pas caché ses inquiétudes. Détenant 48 écrans, soit près des deux tiers du parc national, et engrangeant 82% des recettes de billetterie en 2023, Megarama représente une part significative du marché avec 35% des films distribués l’année dernière. Face à ces bouleversements, son président-fondateur, Jean-Pierre Lemoine, se dit, dans une déclaration accordée au quotidien français Le Monde, «sous le choc» et envisage même une cession totale ou partielle de ses salles au Maroc : «Après avoir investi des millions d’euros dans ce pays depuis plus de vingt ans, je me sens traité comme un paria».

Toutefois, cette réforme n’est pas perçue comme une sanction, mais comme une opportunité de rééquilibrage, selon Mohamed Khouna, aussi PDG de Facility Event ainsi que de sa filiale Film Event Consulting active au Maroc, spécialisée dans la distribution des films. «Ce n’est pas une punition pour Megarama ou d’autres acteurs dominants. C’est une réponse nécessaire pour restaurer l’équité dans un écosystème déséquilibré», explique-t-il. Khouna signale que le monopole exercé par certains distributeurs a fortement marginalisé les professionnels marocains, les privant d’opportunités économiques et créatives. «Depuis des années, des distributeurs locaux comme Imane Sbahi ou Mohamed Alaoui ont vu leurs activités s’effondrer, faute de place sur le marché. Ce projet de loi redonne espoir et souffle à ces acteurs en stimulant la diversité et la vitalité du secteur», ajoute-il avec conviction.
 
Une restructuration du CCM axée sur l’exportation internationale
 
Les nouvelles dispositions de la législation semblent avoir trouvé un écho favorable parmi les professionnels. Selon Mohamed Khouna, «la loi a été accueillie à bras ouverts par toute la production». Depuis sa nomination en janvier 2023, Abdelaziz Bouzdaini, directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM), s’est donné pour mission de réorganiser profondément l’institution. Il ambitionne de tourner la page sur des pratiques jugées opaques et d’instaurer une gestion davantage orientée vers la transparence et la performance.

En multipliant les rencontres et les partenariats étrangers, Bouzdaini traduit un changement stratégique : l’exportation du cinéma marocain. En tant que représentant actif lors de grands festivals comme Cannes, la Mostra de Venise ou le festival d’Annecy, il cherche à positionner les productions nationales sur les marchés internationaux, une ambition essentielle pour l’industrie.

Cependant, des obstacles structurels subsistent, comme le souligne Mohamed Khouna : «Lorsque vous avez un film marocain financé, le vrai problème, c’est l’absence de soutien équivalent à celui des autres pays». En effet, au-delà des subventions du CCM et des fonds propres des producteurs, les ressources sont limitées. «À l’international, notamment en France, un film suit un parcours cohérent : diffusion en salles, plateformes VOD, chaînes de télévision... Ce circuit garantit sa longévité. Au Maroc, faute d’une chronologie des médias et de financements adaptés, un film peut disparaître après sa sortie en salle».

L’exportation devient alors un enjeu crucial. «L’accès à des circuits étrangers est essentiel pour valoriser nos œuvres», ajoute Khouna. Ce défi, combiné aux ambitions affichées par Bouzdaini, reflète un moment charnière pour le cinéma marocain : celui de sa réinvention et de son rayonnement au-delà des frontières.
 
Cette réforme ambitieuse, incarnée par le projet de loi n° 18.23, offre à l’industrie cinématographique marocaine un cadre rénové, capable de stimuler la compétitivité, la diversité et l’attractivité du secteur. Si des défis demeurent, notamment en matière de financement et de diffusion des films nationaux, l’impact de ces nouvelles dispositions se fait déjà sentir. Elles redonnent espoir aux acteurs locaux, tout en positionnant le cinéma marocain sur la scène internationale. Le chemin reste encore semé d’embûches, mais cette réorganisation du secteur marque sans doute un tournant décisif pour l’avenir de la production cinématographique au Maroc.

 

Trois questions à Mohamed Khouna

Mohamed Khouna, Président de la Commission d’aide à la numérisation, la modernisation et la création des salles de cinéma au Centre Cinématographique Marocain (CCM) et PDG de Facility Event et sa filiale Film Event Consulting active au Maroc, répond à nos questions.
Mohamed Khouna, Président de la Commission d’aide à la numérisation, la modernisation et la création des salles de cinéma au Centre Cinématographique Marocain (CCM) et PDG de Facility Event et sa filiale Film Event Consulting active au Maroc, répond à nos questions.
 « Le "Code du cinéma", une nouvelle ère pour l'industrie marocaine »
 
  • La loi qui interdit désormais aux exploitants de films d’être également distributeurs marque une étape clé. Pouvez-vous nous en dire plus sur son origine et ses objectifs ?
- Bien sûr. Cette réforme était attendue depuis longtemps. La dernière loi encadrant le secteur remonte à 1970. Depuis, les changements sont intervenus uniquement via des circulaires, ce qui fragmentait les règles. L’objectif de cette nouvelle législation est de moderniser tout l’écosystème du cinéma marocain. Cela inclut les réalisateurs, producteurs, scénaristes et techniciens. En clarifiant les rôles, la loi vise à éviter les conflits d’intérêts et à structurer les métiers. Par exemple, un exploitant n’est plus distributeur, ce qui ouvre le marché et stimule la concurrence saine.
 
  • Quel sera l’impact concret de cette loi sur l’écosystème cinématographique ?
- Le principal impact sera l’assainissement du secteur. Cela passe par une plus grande transparence et des règles mieux appliquées. Cela favorisera aussi l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs étrangers. En limitant les pratiques monopolistiques et en définissant des codes clairs, on met fin à une ère où le Maroc pouvait être perçu comme désorganisé. Ce renouveau est essentiel pour projeter une image positive et compétitive à l’international.
 
  • Certaines critiques, notamment venant du groupe Megarama, suggèrent que cette loi pourrait entraver leur activité. Quelle est votre réponse à ce sujet ?
- Megarama joue un rôle central en tant que leader du marché et continuera à occuper cette place essentielle. Cependant, cette loi n’a pas pour objectif de cibler un acteur spécifique, mais de rééquilibrer le partage des revenus et de limiter les situations de monopole. Par exemple, jusqu’à présent, les recettes étaient souvent réparties à 75 % pour les exploitants et seulement 25 % pour les producteurs. Avec cette réforme, nous pourrons tendre vers une répartition plus équitable, ce qui profitera notamment aux productions locales.

Le texte de loi apporte une vision claire pour moderniser et assainir l’industrie du cinéma marocain à travers des mesures structurantes. À l’échelle internationale, les droits sont négociés dans un cadre où les rôles entre distributeurs et exploitants sont bien définis. La séparation entre l’exploitation des salles et la distribution, longtemps réclamée par les professionnels, est une avancée majeure. Elle permettra d’éviter les conflits d’intérêts et la concurrence déloyale tout en garantissant une programmation plus diversifiée pour le public.

Sous l’encadrement strict du CCM, cette séparation offrira à des acteurs comme Megarama l’opportunité de se concentrer sur leur expertise en matière d’exploitation des salles, tout en collaborant efficacement avec les distributeurs pour promouvoir les œuvres marocaines. Cette réforme vise donc avant tout à dynamiser l’ensemble de la filière et à offrir au cinéma marocain un cadre plus juste et plus compétitif.

Recueillis par Y. E.

Cap sur 150 salles : Une renaissance cinématographique au Maroc

Le Maroc se dote d’une nouvelle dynamique dans l’univers du cinéma avec un ambitieux projet de réouverture et d’inauguration de 150 salles à travers le Royaume. À la tête de cette initiative, Mohammed Khouna, président de la commission dédiée, revient sur les défis et les avancées du secteur.

«À une époque, nous avons perdu plus de 288 salles de cinéma, principalement en raison de l’arrivée des multiplexes et du numérique», explique Khouna. Le passage au numérique a bouleversé l’écosystème, obligeant les exploitants à investir dans des projecteurs modernes, dont le coût dépasse souvent un million de dirhams. Le Centre Cinématographique Marocain (CCM) a heureusement répondu présent en finançant cet équipement essentiel.

En collaboration avec le groupe privé Cinerji, le projet avance à grands pas. «Nous avons déjà ouvert 56 salles, et 50 autres suivront prochainement», annonce Khouna. Ces salles, sous la tutelle du CCM, font l’objet d’une programmation minutieuse et bénéficient d’une inauguration progressive. En 2023, la salle de Tamesna a marqué une étape importante avec son ouverture.

Cependant, le chemin reste parsemé d'épreuves. «La pandémie de Covid-19 a retardé la production et l’acheminement du matériel nécessaire», précise Khouna. Mais il se montre optimiste : «Aujourd’hui, nous sommes sur la bonne voie. Ces salles ne servent pas uniquement à diffuser des films, elles jouent un rôle clé dans la promotion de la cinéphilie et de la culture locale ». Avec cet élan, le Maroc vise à redonner au cinéma une place centrale dans la vie culturelle nationale et à raviver l’intérêt du public pour le grand écran.
 

Défis et enjeux : Une dynamique cinématographique en mutation

La relance du secteur cinématographique marocain s'accompagne de nouveaux défis, dont la formation et l'adaptation aux spécificités régionales. Mohammed Khouna met en lumière ces enjeux.

«Dans une salle de cinéma, il ne faut pas énormément de personnel. Aujourd'hui, une seule personne peut suffire pour lancer le film, car la programmation est supervisée par le Centre Cinématographique Marocain (CCM)», explique-t-il. Pourtant, il préconise une autonomie régionale dans la programmation : «Chaque région est différente. La régionalisation avancée doit aussi s'appliquer au cinéma».

Un autre axe crucial est la communication, notamment à destination des jeunes : «Il faut maîtriser les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram pour rendre le cinéma accessible et séduisant», insiste-t-il.
 
Enfin, Khouna souligne la nécessité de vulgariser les enjeux de l'industrie : «Le cinéphile veut voir un film de qualité à un bon prix, sans se préoccuper des problématiques de production ou de distribution». Un équilibre délicat à trouver pour pérenniser la filière.
 

L’info...Graphie

L’évolution du parc de salles au Maroc (2008-2023)








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