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Culture

Magazine : Médéric Turay, mémoires recomposées


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 30 Octobre 2022

Le solo show de l’artiste, « Éclosion mémorielle », se compose et se décompose en deux parties. La première investissant les murs de l’hôtel Four Seasons de Marrakech, la deuxième prenant le grand air sur plus d’un hectare à l’Oukaimeden. Peintures, sculptures et installation dialoguent intimement, bravant la distance.



Breaking the Red Line, 150 x150 cm, 2022.
Breaking the Red Line, 150 x150 cm, 2022.
L ’Homme, la nature, l’animal, l’imaginaire, l’émotion, le subjectif. Voilà qui caractérise le travail de Turay, au-delà du questionnement perpétuel du sens énigmatique de cette curieuse fresque théâtrale qu’est la vie, aussi minimaliste que monumentale. En dehors de références qui peuvent gratter la paume, Médéric fait du Turay. Africain jusqu’à l’obsession, il use de matériaux et de médiums qui ne s’usent que lorsqu’on ne s’en sert pas.

Ailleurs, il s’en accapare en convoquant l’usure. Et puisque le temps dure longtemps, il apprend à compter jusqu’à toujours, fermant les yeux pour mieux voir. Il se laisse aussi souffrir, pour mieux apprécier le bonheur, une sorte de nirvana qu’on n’atteint que lorsqu’on n’en fait pas une finalité. Avec délicatesse et ferme ouverture, Médéric déroule un tapis sobrement multicolore, au tissage fragile et vulnérable, à une mémoire variablement tatouée. Courtois, Turay est propre sur elle, la mémoire.

Vies mêlées et emmêlées

Cette « Éclosion mémorielle » est un tutoiement à l’anglo- saxonne. YOU pour tout le monde, femme, homme, couple, groupe ou foule. Ce « you », n’est pas un ordre qui se vocifère, plutôt une prière qui se suggère. Médéric caresse l’enfoui, l’appelle à éclore dans différentes sensibilités. Un « combat » acharné écrasant le corps par l’âme et peut-être inversement. Dedans, se juxtaposent théorie et pratique. La peinture de Turay évolue en monologues pour se transformer en conversations, en palabres à bords perdus. Ses personnages, présents ou invités à se manifester, traversent des milieux infinis, gardant une même posture, celle de l’éberlué cherchant des réponses à des questions que le récepteur doit s’inventer. Avec cela, ils sont matures ou pas, allégrement amputés ou mutilés, éventrés. Soulagés de leurs yeux, ils fixent le néant avec subjugation, la bouche béante.

Pourtant, ces silhouettes dans l’expectative sont bien présentes, « vivantes » et titillent le conventionnel. Derrière et alentours s’installe à jamais un brouhaha comme pour raconter des scènes de vie mêlées et emmêlées. Un agrégat de dissonances insondables et largement tapageuses. En fait, les toiles de Médéric Turay manquent de quitter leur cadre pour venir gronder le visiteur, pourquoi pas le chatouiller… Pour les décortiquer, il suffit de s’en éloigner pour mieux les entendre, écouter leurs fracas verbaux à la nuance multiple, aux sons issus de nulle part et à la cadence fusionnelle. Les oeuvres existent, à nous de résister à leurs caprices, même si le sens donné par l’artiste réside ailleurs, dans la capacité de maintenir le cap pour espérer vivre.

Muter ou trépasser

Pour ses peintures et ses totems comme pour l’installation qu’il propose en montagne, Turay fait appel à des matières rageusement naturelles. En se vautrant dans un espace de plus d’un hectare à l’Oukaimeden, il garde les pieds sur terre en humant ce qu’envoie le ciel, le grand air en somme. Ici, il s’invente un univers boursoufflé de métaphores, l’Afrique comme thème nodal, le reste de la terre comme ouverture. L’éphémère y prend ses quartiers dans une approche belle comme la déperdition.

L’esthétique dans ce vaste espace prend forme dans une inattendue et complexe simplicité. Si le verbe y est ample, le discours est concis. Sept chapitres composent ces créations qui englobent la sculpture, apprivoisent des moutons dont la peau est imprimée de la carte de l’Afrique : « En Afrique, on insulte quelqu’un en le taxant de mouton. Ici, je le rappelle en libérant le bovin de cet accusation », dit l’artiste avec finesse.

De par les matériaux, l’usure entend sévir sur les créations, les enlacer avec gourmandise, leur proposant à évoluer ou à dépérir, muter ou trépasser. La vie n’est-elle pas parsemée d’espoirs de longévité et sanctionnée par un départ définitif que la naissance ne peut renseigner ? L’humain vit à travers le regard de l’autre qui est lui-même cet autre. C’est ce que, en filigrane, Médéric Turay met en lumière avec délicatesse.

Un artiste comme lui ne se reproduit pas, ou rarement. C’est pourquoi le comparer à d’autres, à des pointures d’un autre siècle, serait fortuit et ne s’appuyant que sur les connaissances de donnants de la voix ou de la plume.



Anis HAJJAM



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