Et ce cher Kacimi qui nous revient ! Pour claquer quelques bises aux inconditionnels et administrer de généreuses stupéfactions à celles et ceux qui ont raté le fruit de ses années de productions.
Ce garçon, discret, aimant et poète, contribue à l’élévation d’un art qu’on tire en son temps par des bouts de ficelles. Il crée, génère la création, formulant à l’infini le corps écrit. Mohamed Kacimi est cet homme qui ne connait qu’une seule femme, à travers laquelle il invente une flopée de corps qu’il éloigne par intermittence. Ce qui nourrit l’intangibilité corporelle.
Seulement, cette femme qu’idolâtre Kacimi est son éternelle oeuvre, celle qu’il croise nuit et jour, celle qu’il caresse et cajole sans la nommer. Celle plurielle. A défaut d’être bon pour une personne, il choisit d’être bon pour tout le monde. Paradoxalement, Kacimi brille par son effacement, une sorte de discrétion qui élance son oeuvre forte comme sa réminiscence, puissante comme sa troublante tempérance. Kacimi est parti tôt, ce qui ne compromet pas les tardives appréciations.
Lorsque, dans les années 1980, Fouad Bellamine reproche à Kacimi de le copier en lui empruntant des jets d’arcades, le microcosme de la peinture se fend d’incompréhension, riant sous cape, appelant à la retenue. Mais Kacimi passe au-dessus, convoquant l’immédiateté, sa valeur de continuité. Il en rit, avec compassion, à l’endroit de la paranoïa d’un artiste jugé pourtant incontournable.
Lors du vernissage d’une exposition parisienne de Kacimi à l’Institut du monde arabe en 1988, Tayeb Saddiki envoie une pique à l’artiste -bien présent mais en arrière-plan-, qualifiant ses oeuvres de vieilles «derbalas» longtemps portées et finalement accrochées pour montrer un art qui n’en est pas un. A cette époque, Saddiki et Bellamine sont amis de langues dates…
«Une ombre portée sur la toile»
Voilà ce que contenait une partie du texte «Un geste océanique» de l’écrivain Abdelkébir Khatibi rédigé à l’occasion de cet accrochage intitulé «Quatre peintres arabes» : «Y aurait-il une peinture océanique, de telle façon qu’on aurait l’impression, à chaque coup d’oeil, que chaque tableau est le détail d’un autre en devenir ? Là où les couleurs, en se superposant, forment une composition en mouvement scandé ? Marchons selon le rythme de cette question et de cette peinture comme si nous allions découvrir une plage solaire inconnue.
Imaginons d’abord une toile mouillée (l’eau maritime, le ciel, le bleu dans ses métamorphoses viendront après), toile sur laquelle le peintre étale de la couleur qui se dilue ainsi, donnant au peintre un droit de regard sur son oeuvre à venir. L’invention commence par des touches. Imperceptiblement, cette improvisation semble danser à la recherche d’une forme dynamique sur une matière à la technique mixte : colle, peinture, poudre, acrylique. Le peintre se sert de ses doigts, il se sert de pinceaux, ficelles, cartons...qui sont autant de prolongements de la main qu’une exploration de l’imaginaire au coeur de la matière.
Remarques les effets de lignes obtenues par flagellation sur la toile avec une ficelle trempée dans de la couleur. Entre le peintre et la matière il y a toujours le secret initiatique de l’invention. On pourrait considérer toutes les couleurs d’un tableau comme une ombre portée sur la toile. Ombre qui bouge, tremble parfois ou se déchire pour laisser apparaître, par exemple, la forme d’une femme elle aussi océanique, précédée de signes, de touches et d’algues de désirs.
Ce corps n’est ni encadré, ni encerclé par le regard ; mais, comme tout corps, il suit le rythme de la matière. Pure répartition du clair et de l’obscur, il jaillit, ici, dans des postures d’amour. Pourtant, la peinture n’aime qu’elle-même et c’est bien ainsi. De toutes les façons, ce corps n’appartient pas à une peinture ornementale. Il est l’effet plastique du mouvement de couleurs, de leur irradiation.
À propos de sa peinture, et lors de nos entretiens, Kacimi me parle d’une écriture végétale. Mais telle quelle, cette végétation ne renvoie plus à l’arabesque florale. Imaginez plutôt une arabesque intégrée à la matière elle-même, sous elle, comme les motifs de ce tapis qu’on n’aura la chance de voir qu’en le touchant par un regard tout à fait imaginaire. C’est un rêve. Le tapis disparaît sous la toile.» Beau, comme l’approche de l’artiste, Khatibi en témoin oculaire, souvent «en suspens».
La vie, une mort à fragmenter
L’oeuvre de Mohamed Kacimi résume son vécu et les années qu’il n’a pas pu vivre (lire, plus loin, le texte sorti des tripes du plasticien Mohamed El Baz, parti coi de l’exposition).
Un visionnaire qui raconte son présent ? Plutôt un homme fort en thèmes, un esprit fin comme la fragilité, tenu comme la souffrance. Le mélange des deux distille un humain qui accepte l’être dans toute son incongruité. Il rend compte sans juger, constate sans forcément se lamenter. La vie pour lui est une mort à fragmenter. Il la laisse jaser pendant qu’il la rappe. Et un jour le cosmos traverse le corps et récupère le souffle de Dieu.
Ce garçon, discret, aimant et poète, contribue à l’élévation d’un art qu’on tire en son temps par des bouts de ficelles. Il crée, génère la création, formulant à l’infini le corps écrit. Mohamed Kacimi est cet homme qui ne connait qu’une seule femme, à travers laquelle il invente une flopée de corps qu’il éloigne par intermittence. Ce qui nourrit l’intangibilité corporelle.
Seulement, cette femme qu’idolâtre Kacimi est son éternelle oeuvre, celle qu’il croise nuit et jour, celle qu’il caresse et cajole sans la nommer. Celle plurielle. A défaut d’être bon pour une personne, il choisit d’être bon pour tout le monde. Paradoxalement, Kacimi brille par son effacement, une sorte de discrétion qui élance son oeuvre forte comme sa réminiscence, puissante comme sa troublante tempérance. Kacimi est parti tôt, ce qui ne compromet pas les tardives appréciations.
Lorsque, dans les années 1980, Fouad Bellamine reproche à Kacimi de le copier en lui empruntant des jets d’arcades, le microcosme de la peinture se fend d’incompréhension, riant sous cape, appelant à la retenue. Mais Kacimi passe au-dessus, convoquant l’immédiateté, sa valeur de continuité. Il en rit, avec compassion, à l’endroit de la paranoïa d’un artiste jugé pourtant incontournable.
Lors du vernissage d’une exposition parisienne de Kacimi à l’Institut du monde arabe en 1988, Tayeb Saddiki envoie une pique à l’artiste -bien présent mais en arrière-plan-, qualifiant ses oeuvres de vieilles «derbalas» longtemps portées et finalement accrochées pour montrer un art qui n’en est pas un. A cette époque, Saddiki et Bellamine sont amis de langues dates…
«Une ombre portée sur la toile»
Voilà ce que contenait une partie du texte «Un geste océanique» de l’écrivain Abdelkébir Khatibi rédigé à l’occasion de cet accrochage intitulé «Quatre peintres arabes» : «Y aurait-il une peinture océanique, de telle façon qu’on aurait l’impression, à chaque coup d’oeil, que chaque tableau est le détail d’un autre en devenir ? Là où les couleurs, en se superposant, forment une composition en mouvement scandé ? Marchons selon le rythme de cette question et de cette peinture comme si nous allions découvrir une plage solaire inconnue.
Imaginons d’abord une toile mouillée (l’eau maritime, le ciel, le bleu dans ses métamorphoses viendront après), toile sur laquelle le peintre étale de la couleur qui se dilue ainsi, donnant au peintre un droit de regard sur son oeuvre à venir. L’invention commence par des touches. Imperceptiblement, cette improvisation semble danser à la recherche d’une forme dynamique sur une matière à la technique mixte : colle, peinture, poudre, acrylique. Le peintre se sert de ses doigts, il se sert de pinceaux, ficelles, cartons...qui sont autant de prolongements de la main qu’une exploration de l’imaginaire au coeur de la matière.
Remarques les effets de lignes obtenues par flagellation sur la toile avec une ficelle trempée dans de la couleur. Entre le peintre et la matière il y a toujours le secret initiatique de l’invention. On pourrait considérer toutes les couleurs d’un tableau comme une ombre portée sur la toile. Ombre qui bouge, tremble parfois ou se déchire pour laisser apparaître, par exemple, la forme d’une femme elle aussi océanique, précédée de signes, de touches et d’algues de désirs.
Ce corps n’est ni encadré, ni encerclé par le regard ; mais, comme tout corps, il suit le rythme de la matière. Pure répartition du clair et de l’obscur, il jaillit, ici, dans des postures d’amour. Pourtant, la peinture n’aime qu’elle-même et c’est bien ainsi. De toutes les façons, ce corps n’appartient pas à une peinture ornementale. Il est l’effet plastique du mouvement de couleurs, de leur irradiation.
À propos de sa peinture, et lors de nos entretiens, Kacimi me parle d’une écriture végétale. Mais telle quelle, cette végétation ne renvoie plus à l’arabesque florale. Imaginez plutôt une arabesque intégrée à la matière elle-même, sous elle, comme les motifs de ce tapis qu’on n’aura la chance de voir qu’en le touchant par un regard tout à fait imaginaire. C’est un rêve. Le tapis disparaît sous la toile.» Beau, comme l’approche de l’artiste, Khatibi en témoin oculaire, souvent «en suspens».
La vie, une mort à fragmenter
L’oeuvre de Mohamed Kacimi résume son vécu et les années qu’il n’a pas pu vivre (lire, plus loin, le texte sorti des tripes du plasticien Mohamed El Baz, parti coi de l’exposition).
Un visionnaire qui raconte son présent ? Plutôt un homme fort en thèmes, un esprit fin comme la fragilité, tenu comme la souffrance. Le mélange des deux distille un humain qui accepte l’être dans toute son incongruité. Il rend compte sans juger, constate sans forcément se lamenter. La vie pour lui est une mort à fragmenter. Il la laisse jaser pendant qu’il la rappe. Et un jour le cosmos traverse le corps et récupère le souffle de Dieu.
Anis HAJJAM