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Culture

Magazine : Noureddine Bikr, l’art sans fard


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 30 Janvier 2022

Un comédien de fond, une des rares perles du paysage artistique marocain. Il séduit et convainc dans plusieurs registres. Il aime rire et affectionne la vie que quelques «poètes» des réseaux sociaux ont décidé de lui arracher. Retrouvons une personne humainement nantie.



Noureddine Bikr et Mohamed Choubi en 2019 dans le téléfilm «Coeur généreux» de Abdelhai Laraki.
Noureddine Bikr et Mohamed Choubi en 2019 dans le téléfilm «Coeur généreux» de Abdelhai Laraki.
L’homme est un surexcité-né. Une boule de nerfs qui n’abdique que lorsque le sommeil l’envahit. Et encore… On ne sait pas s’il secoue ses rêves, s’il gronde ses cauchemars, s’il s’extrait des deux pour scénariser lui-même sa léthargie. Il rit de tout, certainement pas avec tout le monde, mais rit de tout son être. S’il ne tient pas en place, c’est parce que son fin physique mêlé à un esprit sans cesse en mouvement le lui permettent.

Avec l’ironie qui lui sert de socle. Un amuseur ? Plutôt un comique de caractère, adepte de la médisance des mots et des gestes, l’autodérision en belle position. Et avec cela, une fierté qui ne se dément pas. L’affable personne, amoureuse de la vie et de ceux qui l’irriguent avec passion, n’aspire qu’à une chose : ne jamais trahir son public, nombreux et diversifié. Et puis, la maladie prend ses aises, le mal s’installe.

Couteau suisse

L’enfant du quartier casablancais Derb Soultane est encore adolescent lorsqu’il goûte aux plaisirs des planches. On est en 1967 quand Noureddine Bikr rejoint la troupe Al Oukhouwa Al Arabiya dirigée par Abdeladim Chennaoui. Des balbutiements qui le conduisent plus tard à l’école Tayeb Saddiki à qui on doit l’encadrement de plusieurs futures stars. Le jeune homme séduit et bénéficie de petits rôles qui le propulsent rapidement au-devant de la scène. Avec son «maître» Tayeb, il apprend à faire du théâtre avec exigence.

Farceur inconsolable, il dit devoir son «amour pour le théâtre au cinéma, même s’il m’arrivait, encore enfant, de fréquenter les halqas». Le comédien -et pas acteur !- élargit son expérience à la télévision et au cinéma. Le voici en 1984 dans «Zeft» de l’omni Saddiki et d’autres aventures s’enchaînent.

En vrac, on énumère, entre téléfilms, longs métrages, séries et sitcoms : Assarab, Serb lahmam, Al Moussaboune, Al Haribane, Aândak a Miloud, Hakada ourid, Stagiaire, Saken wmeskoune, Aâmmi, Braquage Bel maghribiya, Coeur généreux…

Au théâtre dans les années 1990, Bikr plafonne en notoriété avec la troupe Masrah El Hay grâce à des pièces fédératrices comme «Cherreh melleh» et «Heb wtben». Mais le comédien peut évoluer tel un couteau suisse pour différentes productions. Son génie lui permet de s’adapter en bluffant professionnels et public. Les accents, il en use avec maestria convoquant ceux du Berbère, de l’Aâroubi, du Marrakchi, du Souiri, du Fassi, avec une éternelle référence à l’héritage vocal de Tayeb Saddiki-encore lui!

Au service de l’Autre

Noureddine Bikr, à qui Mohamed El Jem aurait chapardé la façon de soulever le pantalon vers le nombril sur scène, est un comédien collectif professionnellement et un one-man-show acerbe dans la vie. Dès qu’il se retrouve entouré, il s’arrange pour faire cavalier seul, attirant l’attention même de ceux qui ne l’entourent pas.

Il est ainsi ce trublion, capable de faire rire avant de libérer sa bouche de la moindre phrase assassine. Un tueur vous dit-on ! Un tueur à la retraite, un tueur qui prend de l’âge sans vieillir pour autant. Ce garçon, à qui la vie ne réserve pas que des moments d’extase, rend heureux des millions de ses compatriotes dont une partie le suggère aujourd’hui fini, voire mort.

De par ses multiples rôles, il fait rêver, réfléchir, rire, vivre. Maintenant que son corps perd de sa superbe, voilà qu’on l’annonce enlaçant l’au-delà, le déclarant rejoindre la terre depuis près d’une année. Noureddine en rit et en rira jusqu’à son véritable dernier souffle. A soixante-dix printemps dont plus de cinquante au service de l’art et de l’Autre, il compte vivre en paix jusqu’à ce que son existence actionne le générique de sa fin. Avec l’empreinte indélébile «Made in Morocco».

Bikr, l’homme drôle et émetteur de bonnes ondes, traverse les années en les caressant de sa délicatesse artistique et créative. Les personnages qu’il campe le nourrissent sans discontinuer, lui rappellent qu’il y a un passé, un présent et un futur, la suite étant jonchée de néant. Continue à nous faire plaisir, à nous faire sourire, à nous faire mourir de rire. La vie te le rendra là où tu seras.


Anis HAJJAM



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