Mohammed Khaïr-Eddine dans les locaux de l’Opinion avec notre collaborateur Abdellah Bensmaïn, en 1982 (Photo Brahim Lachgar)
« Si je suis parti de chez moi, c’est pour être poète », dit Mohammed Khaïr-Eddine dans « Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants ». Il évoque dans ce même livre son amitié avec un autre poète, « Nissa ». Il s’agit de Mostafa Nissaboury avec lequel il a signé un manifeste, « Poésie toute », en 1964, année où il créa une revue poétique Eaux vives qui eut une brève existence. Deux ans plus tard, il a été, avec l’auteur de « La mille et deuxième nuits » et Abdellatif Laâbi, derrière la création de la revue Souffles. Il faut dire que pour cette génération d’écrivains marocains, la poésie était primordiale et passait même devant la prose comme mode d’expression. L’oralité qui caractérise la culture marocaine y est probablement pour quelque chose.
La poésie portait l’idéal de la révolution sociale et politique clamée pendant les années soixante à travers le monde. Les émeutes de Casablanca évoquées dans « Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants » datent de cette période. La révolution devait bousculer les formes ; l’écriture poétique doit être elle-même révolutionnaire. C’est ce qui arriva en France, en l’occurrence.
Le rêve d’être poète
Mohammed Khaïr-Eddine voulait être (d’abord) poète. Il en fait l’aveu dans un autre texte, Le temps du refus, Entretiens 1966-1995, réunis et présentés par Abdellatif Abboubi : « le premier moment qui a fait que je suis écrivain, c’est celui où, encore lycéen, j’ai découvert Mohammed Abdelwahhab à travers les poèmes qu’il a chantés. Je les ai lus en arabe… Dans le texte… Et puis, je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse comme a fait Abdelwahhab… Que je chante moimême des poèmes déjà écrits… Et c’est à ce moment-là, précisément, que j’ai commencé à envoyer mes poèmes à un journal marocain qui s’appelle La Vigie marocaine… Il m’a fallu un travail immense pour arriver à trouver, en quelque sorte, ma façon d’écrire, mon style… Et il a fallu, justement, passer par la poésie ». Il peut paraître invraisemblable, connaissant la poésie (et la prose) de Mohammed Khaïr-Eddine, son rattachement à la vocalité et à la culture amazighes, son souffle révolutionnaire, son aridité et sa rugosité à l’image des paysages du Sud marocain, berceau de son enfance, qu’il puisse évoquer le chanteur égyptien comme le déclencheur de sa vocation poétique. Les premiers titres publiés par Mohammed Khaïr-Eddine furent des poèmes : Nausée noire (Londres, 1964), Faune détériorée (Encres vives, Bram, 1966) et Le roi (Jean-Paul Michel, Brive, 1966). En 2009, la collection Poésie/Gallimard publie une nouvelle édition de son recueil Soleil arachnide publié en 1969, présentée par JeanPaul Michel.
Une reconnaissance qui est passée inaperçue. Mohammed Khaïr-Eddine et Tahar Benjelloun demeurent à ce jour les seuls poètes marocains qui figurent dans le catalogue de cette prestigieuse collection.
Le deuxième de son vivant et alors qu’il est devenu auteur aux éditions Gallimard. « Le poète c’est toi qui te perds / en même temps que tout le sang du monde / criblé / blessé » ; « j’allume l’Afrique j’arachnide je mite », écrit-il.
Le poète de géographies plurielles
Cette édition est loin de contenir toute sa poésie. Mohammed Khaïr-Eddine qu’on a réduit parfois à l’amazighité ou au Sud marocain (si au moins on avait compris que le Sud n’est pas une race ni une couleur, mais plusieurs géographies ; qu’il est mobile et qu’il correspond à un destin et à un chant !), se révèle encore mieux dans sa dimension humaine universelle dans La résurrection des fleurs sauvages (Ed. Stouky, 1981) où toutes les misères et les foudres du monde sont chantés : « De Casa à Bogota, de Bogota à Beyrouth, / le sang siffle la précaire / flûte des bergers sicaires qui briment l’enfant, la femme, le vieillard, la ville et même la mer !... / et dont la parole grince sur mon trident… ».
On pourrait parfois prendre la poétique de Mohammed Khaïr-Eddine pour un délire, encore faut-il savoir que certaines formes de délires sont des prouesses de l’esprit, mais il suffit de lire ses entretiens, ses lettres (Mohammed Khaïr-Eddine : lettres et poèmes à sa femme Zhor Jendi et autres écrits épistolaires et littéraires, par Bouazza Benachir, Marsam, 2012), son « Journal d’un moribond » pour se rendre compte que derrière ce « chaos » esthétique il y a une intelligence précise et une pensée lucide, tant politique que poétique, sur soi, sur son pays et sur le monde.
La poésie portait l’idéal de la révolution sociale et politique clamée pendant les années soixante à travers le monde. Les émeutes de Casablanca évoquées dans « Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants » datent de cette période. La révolution devait bousculer les formes ; l’écriture poétique doit être elle-même révolutionnaire. C’est ce qui arriva en France, en l’occurrence.
Le rêve d’être poète
Mohammed Khaïr-Eddine voulait être (d’abord) poète. Il en fait l’aveu dans un autre texte, Le temps du refus, Entretiens 1966-1995, réunis et présentés par Abdellatif Abboubi : « le premier moment qui a fait que je suis écrivain, c’est celui où, encore lycéen, j’ai découvert Mohammed Abdelwahhab à travers les poèmes qu’il a chantés. Je les ai lus en arabe… Dans le texte… Et puis, je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse comme a fait Abdelwahhab… Que je chante moimême des poèmes déjà écrits… Et c’est à ce moment-là, précisément, que j’ai commencé à envoyer mes poèmes à un journal marocain qui s’appelle La Vigie marocaine… Il m’a fallu un travail immense pour arriver à trouver, en quelque sorte, ma façon d’écrire, mon style… Et il a fallu, justement, passer par la poésie ». Il peut paraître invraisemblable, connaissant la poésie (et la prose) de Mohammed Khaïr-Eddine, son rattachement à la vocalité et à la culture amazighes, son souffle révolutionnaire, son aridité et sa rugosité à l’image des paysages du Sud marocain, berceau de son enfance, qu’il puisse évoquer le chanteur égyptien comme le déclencheur de sa vocation poétique. Les premiers titres publiés par Mohammed Khaïr-Eddine furent des poèmes : Nausée noire (Londres, 1964), Faune détériorée (Encres vives, Bram, 1966) et Le roi (Jean-Paul Michel, Brive, 1966). En 2009, la collection Poésie/Gallimard publie une nouvelle édition de son recueil Soleil arachnide publié en 1969, présentée par JeanPaul Michel.
Une reconnaissance qui est passée inaperçue. Mohammed Khaïr-Eddine et Tahar Benjelloun demeurent à ce jour les seuls poètes marocains qui figurent dans le catalogue de cette prestigieuse collection.
Le deuxième de son vivant et alors qu’il est devenu auteur aux éditions Gallimard. « Le poète c’est toi qui te perds / en même temps que tout le sang du monde / criblé / blessé » ; « j’allume l’Afrique j’arachnide je mite », écrit-il.
Le poète de géographies plurielles
Cette édition est loin de contenir toute sa poésie. Mohammed Khaïr-Eddine qu’on a réduit parfois à l’amazighité ou au Sud marocain (si au moins on avait compris que le Sud n’est pas une race ni une couleur, mais plusieurs géographies ; qu’il est mobile et qu’il correspond à un destin et à un chant !), se révèle encore mieux dans sa dimension humaine universelle dans La résurrection des fleurs sauvages (Ed. Stouky, 1981) où toutes les misères et les foudres du monde sont chantés : « De Casa à Bogota, de Bogota à Beyrouth, / le sang siffle la précaire / flûte des bergers sicaires qui briment l’enfant, la femme, le vieillard, la ville et même la mer !... / et dont la parole grince sur mon trident… ».
On pourrait parfois prendre la poétique de Mohammed Khaïr-Eddine pour un délire, encore faut-il savoir que certaines formes de délires sont des prouesses de l’esprit, mais il suffit de lire ses entretiens, ses lettres (Mohammed Khaïr-Eddine : lettres et poèmes à sa femme Zhor Jendi et autres écrits épistolaires et littéraires, par Bouazza Benachir, Marsam, 2012), son « Journal d’un moribond » pour se rendre compte que derrière ce « chaos » esthétique il y a une intelligence précise et une pensée lucide, tant politique que poétique, sur soi, sur son pays et sur le monde.
Abdelghani FENNANE