Omar Kettani, économiste et professeur à l’université Mohamed V-Agdal de Rabat, auteurs de plusieurs ouvrages sur l’économie marocaine, livre sa vision sur les perspectives de la relance de l’économie marocaine dans le contexte de la crise de la pandémie de la Covid-19.
- Vous avez appelé à une politique d’austérité pour financer le plan de relance, êtes-vous sûr de ce choix ?
- La relance économique a un coût qui fut estimé par la CGEM à 80 milliards de dirhams, ce qui équivaut à 7% du PIB pour sauver les entreprises. Dans ce cadre, il convient de rappeler que SM le Roi avait parlé de 120 milliards lors du discours du Trône incluant aussi bien le soutien aux entreprises que l’appui aux ménages. Il faut bien trouver l’argent quelque part pour financer cela. La politique d’austérité dont j’avais parlé repose sur trois mesures, à savoir la lutte contre la rente, la rationalité des dépenses publiques et la rigueur budgétaire.
L’austérité veut dire bannir toutes les dépenses secondaires. Il a été réalisé récemment que la dépense des ménages a baissé d’un tiers, pourquoi les hauts fonctionnaires ne baissent pas leurs revenus de la même proportion? En outre, il faut révoquer les privilèges dont ils disposent sachant qu’ils en ont beaucoup.
À travers cette démarche, 22% du PIB passe par les caisses de l’Etat sous forme de fiscalité, si on baisse de 7 ou 8 points les dépensesde l’Etat sur les 22%, on peut ainsi couvrir une grande partie du coût de la relance. Ceci peut nous faire économiser 7 ou 8 milliards de dhs qui pourront servir à financer le plan de relance de l’économie sans avoir besoin de recourir à la dette extérieure. Ainsi, nous allons couvrir plus des deux tiers de la relance par le budget public. Ceci dit, il faut une puissance publique capable de prendre et d’imposer ce genre de décision qui n’en demeure pas moins difficile, mais nous n’avons pas d’autres alternatives sinon on va se lancer dans l’accentuation de l’endettement, qui est déjà à 90% du PIB.
- Quels sont les secteurs prioritaires qui nécessitent le plus d’attention ?
- Les secteurs du Tourisme et de l’Artisanat semblent avoir besoin, plus que d’autres, de l’attention publique en matière de relance. Ce sont des secteurs socio-économiques qui emploient des milliers de gens, à ma connaissance, le gouvernement n’a pas encore agi efficacement pour redresser le secteur. La Santé doit être également reconsidérée en lui accordant davantage de moyens étant donné que la crise sanitaire est loin d’être terminée. Par ailleurs, la dimension sociale est tout aussi importante dans l’effort de la relance, SM le Roi avait annoncé l’ambition de généraliser la protection sociale pour tous les Marocains, or celle-ci ne pourrait réussir qu’à condition qu’elle soit accompagnée par des investissements dans les services sociaux.
En outre, on a tendance à oublier l’importance de la régionalisation, il faut attribuer plus de moyens aux régions pour qu’elles puissent elles-mêmes investir dans les services sociaux et des projets d’investissement productifs tout en les soumettant à un contrôle strict et engager la responsabilité politique des élus.
- Le Maroc a eu recours à des prêts auprès du FMI et de la Banque Mondiale, le scénario de l’ajustement structurel peut-il se reproduire ?
- Oui, il est probable qu’on revive l’expérience de l’ajustement structurel. Le gouverneur de BankAl-Maghrib a lui-même dit que si les mesures nécessaires ne sont pas prises, on risque de basculer vers des plans de restructuration. D’ailleurs, la première des choses est qu’on sera obligé de procéder à la dévaluation du dirham sous l’appellation de flottement. Ceci ne manquera pas d’avoir des conséquences redoutables sur la souveraineté du Maroc.
Pour réaliser une vraie relance, il faut assurer trois conditions : la volonté politique, la force d’exécution et l’organisation et la capacité de la planification. Il faut donc un gouvernement fort qui puisse conduire une politique forte. Il faut également une régionalisation économique, celle-ci se heurte à une corruption très conséquente, avec un cahier de charges défini selon les priorités d’investissement de chaque région au gré de ses capacités et ses spécificités sectorielles.
- Dans le cadre du nouveau modèle de développement, vous plaidez pour la lutte contre les disparités socio-économiques à travers une politique de nouvelles villes. Vous pouvez expliquer davantage ?
- Tout ce que j’avais mentionné précédemment sont des mesures d’urgence à court terme. Si on veut une vraie politique de relance à long terme, j’avais proposé l’investissement dans le chantier des nouvelles villes au Maroc. Comme vous le savez, le Maroc connaît des inégalités profondes entre les zones urbaines et les zones rurales qui provoque un exode massif vers les villes, à l’origine de grands problèmes sociaux. Ceci est dû au fait que les populations rurales ne sont pas formées et dépendent uniquement de l’agriculture traditionnelle. La seule façon de mettre un terme à cela est de diversifier les activités génératrices de revenus dans les régions défavorisées à travers la transformation des villages en grandes villes en y investissant dans les services publics à caractère social, à savoir l’éducation, la santé et le logement, transport public, services financiers, etc.
Ensuite, l’effet multiplicateur jouera spontanément son rôle de stimulateur de l’activité économique, les nouvelles villes vont absorber l’immigration rurale à l’intérieur des régions, ce qui va alléger la pression sur les grandes métropoles comme Casablanca ou Tanger. L’exemple de Settat qui s’est visiblement mutée en grande ville active en est une preuve. Il faut uniquement la volonté politique.
Pour financer ce chantier, j’ai énuméré 22 sources de financement comme la caisse de la Fondation Mohamed V, le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, etc. Le privé peut également contribuer à cet effort national par le biais de financements participatifs.
- Vous avez appelé à une politique d’austérité pour financer le plan de relance, êtes-vous sûr de ce choix ?
- La relance économique a un coût qui fut estimé par la CGEM à 80 milliards de dirhams, ce qui équivaut à 7% du PIB pour sauver les entreprises. Dans ce cadre, il convient de rappeler que SM le Roi avait parlé de 120 milliards lors du discours du Trône incluant aussi bien le soutien aux entreprises que l’appui aux ménages. Il faut bien trouver l’argent quelque part pour financer cela. La politique d’austérité dont j’avais parlé repose sur trois mesures, à savoir la lutte contre la rente, la rationalité des dépenses publiques et la rigueur budgétaire.
L’austérité veut dire bannir toutes les dépenses secondaires. Il a été réalisé récemment que la dépense des ménages a baissé d’un tiers, pourquoi les hauts fonctionnaires ne baissent pas leurs revenus de la même proportion? En outre, il faut révoquer les privilèges dont ils disposent sachant qu’ils en ont beaucoup.
À travers cette démarche, 22% du PIB passe par les caisses de l’Etat sous forme de fiscalité, si on baisse de 7 ou 8 points les dépensesde l’Etat sur les 22%, on peut ainsi couvrir une grande partie du coût de la relance. Ceci peut nous faire économiser 7 ou 8 milliards de dhs qui pourront servir à financer le plan de relance de l’économie sans avoir besoin de recourir à la dette extérieure. Ainsi, nous allons couvrir plus des deux tiers de la relance par le budget public. Ceci dit, il faut une puissance publique capable de prendre et d’imposer ce genre de décision qui n’en demeure pas moins difficile, mais nous n’avons pas d’autres alternatives sinon on va se lancer dans l’accentuation de l’endettement, qui est déjà à 90% du PIB.
- Quels sont les secteurs prioritaires qui nécessitent le plus d’attention ?
- Les secteurs du Tourisme et de l’Artisanat semblent avoir besoin, plus que d’autres, de l’attention publique en matière de relance. Ce sont des secteurs socio-économiques qui emploient des milliers de gens, à ma connaissance, le gouvernement n’a pas encore agi efficacement pour redresser le secteur. La Santé doit être également reconsidérée en lui accordant davantage de moyens étant donné que la crise sanitaire est loin d’être terminée. Par ailleurs, la dimension sociale est tout aussi importante dans l’effort de la relance, SM le Roi avait annoncé l’ambition de généraliser la protection sociale pour tous les Marocains, or celle-ci ne pourrait réussir qu’à condition qu’elle soit accompagnée par des investissements dans les services sociaux.
En outre, on a tendance à oublier l’importance de la régionalisation, il faut attribuer plus de moyens aux régions pour qu’elles puissent elles-mêmes investir dans les services sociaux et des projets d’investissement productifs tout en les soumettant à un contrôle strict et engager la responsabilité politique des élus.
- Le Maroc a eu recours à des prêts auprès du FMI et de la Banque Mondiale, le scénario de l’ajustement structurel peut-il se reproduire ?
- Oui, il est probable qu’on revive l’expérience de l’ajustement structurel. Le gouverneur de BankAl-Maghrib a lui-même dit que si les mesures nécessaires ne sont pas prises, on risque de basculer vers des plans de restructuration. D’ailleurs, la première des choses est qu’on sera obligé de procéder à la dévaluation du dirham sous l’appellation de flottement. Ceci ne manquera pas d’avoir des conséquences redoutables sur la souveraineté du Maroc.
Pour réaliser une vraie relance, il faut assurer trois conditions : la volonté politique, la force d’exécution et l’organisation et la capacité de la planification. Il faut donc un gouvernement fort qui puisse conduire une politique forte. Il faut également une régionalisation économique, celle-ci se heurte à une corruption très conséquente, avec un cahier de charges défini selon les priorités d’investissement de chaque région au gré de ses capacités et ses spécificités sectorielles.
- Dans le cadre du nouveau modèle de développement, vous plaidez pour la lutte contre les disparités socio-économiques à travers une politique de nouvelles villes. Vous pouvez expliquer davantage ?
- Tout ce que j’avais mentionné précédemment sont des mesures d’urgence à court terme. Si on veut une vraie politique de relance à long terme, j’avais proposé l’investissement dans le chantier des nouvelles villes au Maroc. Comme vous le savez, le Maroc connaît des inégalités profondes entre les zones urbaines et les zones rurales qui provoque un exode massif vers les villes, à l’origine de grands problèmes sociaux. Ceci est dû au fait que les populations rurales ne sont pas formées et dépendent uniquement de l’agriculture traditionnelle. La seule façon de mettre un terme à cela est de diversifier les activités génératrices de revenus dans les régions défavorisées à travers la transformation des villages en grandes villes en y investissant dans les services publics à caractère social, à savoir l’éducation, la santé et le logement, transport public, services financiers, etc.
Ensuite, l’effet multiplicateur jouera spontanément son rôle de stimulateur de l’activité économique, les nouvelles villes vont absorber l’immigration rurale à l’intérieur des régions, ce qui va alléger la pression sur les grandes métropoles comme Casablanca ou Tanger. L’exemple de Settat qui s’est visiblement mutée en grande ville active en est une preuve. Il faut uniquement la volonté politique.
Pour financer ce chantier, j’ai énuméré 22 sources de financement comme la caisse de la Fondation Mohamed V, le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, etc. Le privé peut également contribuer à cet effort national par le biais de financements participatifs.
Recueillis par
Anass MACHLOUKH
Repères
La dette publique marocaine explose
Le Maroc devrait atteindre des niveaux records d’endettement à la fin de l’année 2020 qui peuvent culminer à 91%. Après le choc inopiné de la crise sanitaire, le gouvernement a tenté de sauver l’économie nationale de l’arrêt en recourant à l’endettement extérieur avec un prêt de 3 milliards de dollars du Fonds Monétaire International (FMI), 275 millions de dollars auprès de la Banque Mondiale et 100 millions d’euros auprès de l’Union Européenne. Ceci n’a pas manqué de soulever des craintes quant au recours du gouvernement à l’austérité budgétaire.
Généralisation de la couverture sociale s’ici 2025
Lors du dernier discours du Trône, SM le Roi avait annoncé un plan ambitieux de généralisation de la couverture sociale sur les cinq prochaines années. Le Chantier sera mis en œuvre par le gouvernement dans le cadre du Fonds d’investissement stratégique. Le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, a annoncé deux étapes d’exécution : la première s’étend de 2021 à 2023, dans laquelle est prévue la généralisation de l’AMO et des prestations familiales, tandis que la deuxième s’étend de 2024 à 2025, où il sera procédé à généraliser la retraite et l’assurance chômage.
Prévisions de récession à la fin de 2020
Le blocage de l’économie marocaine suite aux effets de la pandémie de la Covid-19 s’annonce très coûteux, les perspectives économiques de cette année ne sont guère réjouissantes. En effet, le Maroc n’échappera pas à la récession à la fin de l’année courante. Le Centre Marocain de Conjoncture (CMC) a prévu une récession de l’ordre de 6,2%, allant ainsi plus loin que le HCP qui a annoncé 5,8% de baisse de croissance. De son côté, la Banque Mondiale a estimé que l’économie marocaine connaîtra une contraction de 4%.