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Rabat/Ateliers de peinture : Les couleurs s’entrelacent dans l’exiguïté


Rédigé par Achraf EL OUAD le Mercredi 15 Décembre 2021

Juste à côté du castel du père des arts s’alignent des ateliers d’une autre discipline artistique qui n’est pas des moindres, l’art plastique. De l’atelier de Ahmed Abbaki émerge une histoire en couleur, une dominance du gris s’impose.



Photo : Nidal
Photo : Nidal
Entre comédie et tragédie du prestigieux Théâtre national Mohammed V et verdure et fraîcheur du Jardin du triangle de vue, toutes les couleurs s’abritent dans une dizaine de kiosques et petits ateliers de plasticiens marocains qui, quasi-désespérément, continuent à pousser les limites de l’imagination, à creuser dans les puits sans fond de l’art et à laisser danser en harmonie les pinceaux  sur la blancheur des toiles vierges. Né à Fès en 1967, Ahmed Abbaki est artiste né.

Depuis son enfance, il a adoré la peinture, la poésie et la philosophie. Le crayon et le pinceau ne l’ont jamais quitté. N’adhérant pas aux différents courants et tendances artistiques importés de l’Europe, notamment l’art naïf qui, selon lui, ne se base sur aucun fondement scientifique, ou le lettrisme qui consiste en la peinture à travers des lettres alphabétiques sans qu’un sens ne soit visé, cet artiste plasticien conçoit différemment la discipline artistique.

« L’artiste doit être bien instruit dans tous les domaines, développer son talent -s’il existe-. Ce talent est censé être travaillé et l’instinct n’est pas suffisant », nous explique-t-il, ajoutant que « J’ai appris en joignant la lecture à la pratique. Afin de dessiner des êtres vivants il faut avoir un minimum de savoir en anatomie. De même, pour s’intéresser au monde naturel dans ses toiles, il faut connaître ce qu’est la perspective, la géométrie. L’abondance de phénomènes artistiques dans le monde naturel demeure inconcevable et imperceptible pour une personne non avertie sur ces sciences ».

L’art existe dans notre monde avant même que l’être humain ne s’y trouve, son ultime objectif consiste, selon Abbaki, en la transmission d’une philosophie de vie, d’une certaine manière de voir le monde et d’une prise de position idéologique vis-à-vis des phénomènes vécus. La beauté, quant à elle, se trouve dans les petits détails de cet univers, aussi minuscules qu’ils puissent être et le monde n’est qu’une exposition de chefs-d’oeuvre divins et une source d’inspiration inépuisable qui ne nécessite qu’un effort de contemplation et de méditation. Le rêve de faire de l’art a visité toutes ses nuits, l’effort de le réaliser a occupé toutes ses journées.

« J’ai demandé de faire des études en beaux arts au lycée, on me l’a refusé sans même me fournir une explication. J’ai décidé donc d’abandonner les études et de me consacrer pleinement à l’art. Je me suis lancé dans un processus d’autoformation. Mon rêve était de faire de l’art, que ce soit la poésie, la peinture ou autre discipline, ceci est le fruit d’un être humain cultivé », se rappelle-t-il, la nostalgie débordant de ses yeux bordés de rides.

La carrière de cet artiste s’est vraisemblablement mise sur les bons rails – pas très bons en vérité- quand il a organisé sa première exposition en 1986 à Rabat, un événement qui, malgré la déception de Abbaki due à la quasi-absence de médias sollicités à l’époque, restera à jamais gravé dans sa mémoire. 

 

Ph : Nidal
Ph : Nidal
Quelles thématiques et pour quelles raisons

Une fois la porte de son petit atelier d’un mètre et demi de largeur et de deux mètres de longueur franchie, le premier abord révèle une omniprésence de tableaux parlant de la cause palestinienne, vert, rouge, blanc et noir dominent ce petit espace, les mêmes couleurs occupent les pensées de Abbaki, l’exemple de l’artiste engagé.

A ce propos, il nous précise que « l’affaire palestinienne est la cause principale du monde arabe et musulman, et l’artiste, en tant que porte-parole de ces concitoyens doit avoir une cause à défendre ».

Ceci dit, ces toiles traitant de cette thématique connaissent une demande minime de la part des clients qui, selon lui, ne sont pas suffisamment engagés et préfèrent d’autres thèmes, en témoignent certaines toiles qui sont accrochées depuis plus de 10 ans.

De même, pour Abbaki, les créations artistiques avec des versets coraniques ne sont pas très privilégiées dans l’oeuvre artistique, « elles sont quasi-interdites dans le monde de l’art plastique, et ce pour détruire les liens entre les musulmans et leur doctrine, et entre la calligraphie arabe et la culture qui se trouve derrière », a-t-il regretté.

Pour le choix de ses sujets, ce plasticien s’intéresse principalement à trois grands thèmes, à savoir des endroits touristiques de la ville de Rabat, de la calligraphie arabe avec des versets coraniques, et des tableaux défendant la cause palestinienne. En outre, deux tableaux de nébuleuses de tête de cheval et de l’aigle, qui reflètent deux phénomènes astrologiques récemment observés, sont également accrochés au mur blanchâtre du petit kiosque.
 

Ph : Nidal
Ph : Nidal
Enorme valeur spirituelle, un bon gagne-pain ?

« Ce métier, je ne l’ai jamais exercé pour gagner ma vie, j’aurais pu choisir une autre pratique qui me garantira plus d’argent. Moi j’ai un message à transmettre. Je sais très bien ce que le public viendra chercher dans mon petit kiosque mais je ne cède pas à ses envies. Je dessine pour moi-même avant de dessiner pour plaire aux autres. Le public, majoritairement, ne cherche que des portraits, c’est rentable mais je l’ai fait pendant 12 ans et je n’ai plus envie de m’y investir », s’exprime l’homme vétéran à l’esprit jeune.

Entre 1000 et 2000 dirhams varie le prix des tableaux de cet artiste. Certes l’art n’a pas de valeur mais pour vendre ces toiles, il faut avoir des critères capables de déterminer le prix de chaque création. Selon Abbaki, la valeur monétaire de chaque tableau dépend de la matière qui y est utilisée. Généralement, il s’agit de matières professionnelles importées de l’Europe et qui coûtent cher, et ce pour garantir une meilleure qualité.

« La peinture acrylique peut par exemple résister pendant 300 ans si elle est bien travaillée, la peinture à l’huile dure plus de 1000 ans, c’est justement la raison pour laquelle les toiles coûtent des fortunes, vu l’ancienneté de ces chefs-d’oeuvre », nous explique-t-il. Un autre paramètre important lors de la valorisation des tableaux. Il s’agit de l’effort fourni par l’artiste lors de la création de son oeuvre. Abbaki nous révèle qu’ « un paysage est difficile à dessiner s’il contient, à titre d’exemple, plusieurs catégories de plantes nécessitant un énorme travail de documentation ».


Achraf EL OUAD


Une admiration de la calligraphie arabe

« La lettre arabe est extraordinaire et d’une richesse singulière qu’on ne trouve dans nulle autre langue, nos alphabets se définissent d’une manière scientifique », s’est passionnément prononcé Abbaki appelant à mettre la culture arabe entre de bonnes mains.

Appuyant ses propos, il évoque les dires de Picasso qui a affirmé que la calligraphie arabe avait déjà presque atteint l’objectif ultime de l’art ou de Baudelaire qui a qualifié le dessin arabesque du « plus spiritualiste des dessins ». Quant aux autres courants et tendances artistiques, ils sont, selon lui, liés à une période de l’Histoire et à une zone géographique bien définie. « Je suis contre cette idée, l’art est libre et universel. Ce qui compte le plus c’est l’honnêteté et la quête de la perfection ».
 



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