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Reportage : Les chorales en mode moderato crescendo


Rédigé par Rime Taybouta Dimanche 27 Février 2022

Après deux ans de pandémie, l’activité des choeurs reprend timidement. Cependant, les choristes restent confrontés à une batterie de contraintes qui limitent leurs prestations. Reportage.



« Il n’y a pas eu de concert en 2020. Et en 2021, c’est mal parti. On aura perdu deux ans». Ces mots prononcés par Hamid Ben Abdellah, chef du choeur « Choeur et âme », témoignent de la sinistrose qui a envahi l’activité des chorales à cause de la pandémie qui persiste depuis début 2020.

Aujourd’hui, la reprise commence timidement, mais la prudence et la vigilance s’imposent, alerte notre interlocuteur, également professeur de musique à la Faculté des sciences de l’éducation à Rabat. Les quelque cinquante membres de la chorale qu’il dirige -tous privés de séances de répétitions, de concerts et de public depuis deux ans et demi – accueillent aujourd’hui cette reprise à bras ouverts, mais leur activité n’est plus comme avant, nous indique Oussama, trentenaire membre de «Choeur et âme». Le port du masque est désormais obligatoire pendant les répétitions. Une dure épreuve pour les choristes qui sont amenés à doubler d’efforts pour maintenir une respiration normale.

Autre point important : le respect de la distanciation et de l’aération au sein des lieux de répétitions. Les séances d’entraînement sont un ensemble d’essais qui durent de deux à trois heures, rendant le protocole préventif encore plus dur, surtout que la plupart des chorales auraient bien du mal à disposer des moyens financiers leur permettant de louer des espaces de dimensions réglementaires et évoluer dans des conditions optimales. C’est ainsi que ces artistes se sont penchés sur le digital pour amortir les dégâts imposés par la crise sanitaire.

Réunions, répétitions, concerts…tout digital !

«Le recours à Internet et aux réseaux sociaux nous a permis de maintenir la communication avec nos groupes », nous déclare Hamid Ben Abdellah, notant toutefois que dans cette activité, le digital n’est pas viable à long terme. La musique est, par essence, une création artistique qui est réalisée pour être partagée et diffusée en public.

Cependant, les choristes n’ont pas manqué de s’adapter au contexte restrictif en se mettant devant les écrans de leurs ordinateurs et leurs caméras pour donner au public un moment de plaisir, bien que la vocation d’un choeur consiste à réunir ses membres pour chanter ensemble et non avoir des choristes isolés chacun dans son salon.

Cela dit, et malgré les contraintes de la situation épidémiologique, certains choristes pleins de détermination et de courage ont constitué de nouveaux groupes de chants pour éviter que la bougie des choeurs ne s’éteigne. En témoigne l’expérience d’Elexir, un groupe formé de seize choristes, créé pendant le confinement sous la direction de Rémy Pailler, Chef de choeur et musicien professionnel, depuis mai 2021.

« Je dirige et j’organise les répétitions du choeur Elixir à Rabat, à la demande de plusieurs choristes qui ont créé cet ensemble vocal pour le plaisir d’élaborer un répertoire d’oeuvres nouvelles », nous confie le chef de choeur, qui espère une fin éminente des mesures barrières afin de « pouvoir susciter la joie, la communication et l’envie de chanter devant un public marocain. Le chant fait partie de sa culture ».

« J’ai pu rencontrer de jeunes adolescents et adultes qui chantent avec leur coeur et avec conviction sans état d’âme et sans être jugés (…) le Maroc est un pays d’Art», affirme notre interlocuteur.

Cette organisation musicale a pleinement profité du digital et a même réussi à organiser quelques concerts en ligne. YouTube, Facebook, Teams…les plateformes ne manquent pas et, pour les choristes, «l’important c’est de faire parvenir notre voix». « Chacun chez soi, on ne contamine personne et on est protégé ! Juste un travail énorme avec l’espoir de se produire devant du public, très bientôt », ajoute Rémy Pailler. Avec la généralisation du pass sanitaire, cet espoir devient de plus en plus réalisable à court et/moyen termes.

Le statut professionnel fait défaut

Par ailleurs, outre les problèmes liés au Covid, les choristes sont confrontés à d’autres contraintes liées au statut professionnel, ce qui impacte grandement le développement de cette activité au Maroc.

Si quelques choristes bénéficient du statut de l’artiste qui leur permet de bénéficier des conditions de travail adéquates et de la protection sociale prévues par le code du travail marocain et par les dispositions de la loi n° 1-72-184 relative au régime de sécurité sociale, la majorité des autres chanteurs restent non-reconnus.

Cependant, pour Hamid Ben Abdellah, il faut d’abord commencer par la vulgarisation des choeurs auprès de l’ensemble de la population. La pratique vocale est un patrimoine qui doit, à ce titre, être encouragé dès les premières années scolaires en mettant à la disposition des élèves les instruments et outils de base ainsi que des professionnels qui assurent leur encadrement pédagogique. Ceci est tributaire d’une volonté politique mais également de l’engagement des animateurs des métiers culturels.

 
Grâce à une culture de proximité, il sera possible de toucher la corde sensible du public.
 
Le chant, au même titre que la musique, est un stimulant et un vecteur de liens sociaux. Grâce à une culture de proximité, il sera possible de toucher la corde sensible du public pour en faire un acteur. De ce fait, le ministère de la Culture ainsi que celui de l’Education nationale sont sollicités pour encourager l’entrée du chant choral aux écoles afin de sensibiliser la population dès le « jardin d’enfants » au chant, celui-ci étant à même de mettre en valeur le folklore marocain.

Des actions à caractère culturel doivent être développées pour répertorier le chant dans le but de le préserver contre le risque de sa disparition. Un proverbe africain a mis en garde contre cette éventualité en disant qu’en «Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle».


Rime TAYBOUTA

Mesures restrictives


Les théâtres toujours asphyxiés
 
Après un an et demi d’arrêt des activités culturelles et artistiques, le théâtre marocain reprend ses activités à petits pas. Malgré l’assouplissement des mesures restrictives, les grandes manifestations artistiques demeurent suspendues afin d’éviter une recrudescence des contaminations et le déclenchement d’une énième vague épidémique.

Si la plupart des secteurs sont capables de se perpétuer à travers différents modes de communication, ce n’est pas le cas pour le théâtre où les professionnels sont totalement incapables de poursuivre leur travail à cause de ce que le spectacle exige de communication directe avec le public. Cela entraînera des dommages matériels, notamment pour les acteurs, réalisateurs et techniciens.

A noter que l’arrêt du mouvement culturel et artistique dans la société persiste bien que la vie reprend petit à petit son cours. Ceci dit, les artistes de tout genre, notamment les choristes, peuvent désormais louer des salles pour organiser leurs activités artistiques tout en permettant à un nombre limité de public d’assister. Cependant, les professionnels du secteur appellent à un retour imminent des grandes manifestations culturelles, synonyme d’une réelle reprise du secteur.

Chorale à l’école


Un outil stimulant pour l’enfant
 
D’une manière insoupçonnée, le chant choral pourra bien aider toute une génération d’enfants à surmonter les effets, à long terme, d’une pandémie dont on peine encore à estimer l’impact direct et indirect en termes de bien-être affectif et relationnel.

Plusieurs expérimentations ont démontré que le chant est un facteur de cohésion sociale, de mieux-vivre et de réussite scolaire pour les enfants, des propos partagés par Hamid Ben Abdellah et Rémy Pailler, contactés par nos soins.

Un orchestre à l’école permet d’être sensibilisé à la pratique musicale. Selon des études, cette pratique et son apprentissage ont une incidence positive sur les résultats scolaires. Il est à noter que la chorale développe également la mémoire intérieure, l’attention et la concentration.

Le chant à l’école permet à chaque enfant d’apprendre, par une pratique corporelle et sensorielle, à trouver sa place dans un groupe. Et cette expérience individuelle et collective ne laisse pas de place à la compétition, mais surtout à la coopération, l’écoute de l’autre et la découverte d’une dynamique de groupe positive.

Dans le cadre de certains ateliers, l’enfant qui parle peu, ou pas du tout, va chanter. Et, souvent à la grande surprise des parents, l’enfant s’exprime en chantant. Bien entendu, au niveau du développement langagier, plusieurs aspects se manifestent, tels l’expression verbale et le développement du vocabulaire. C’est le début de l’estime de soi.
 

3 questions à Rémy Pailler


Les choeurs sont des victimes collatérales de la crise
 
Rémy Pailler, Chef du Choeur Eléxir, nous parle de l’expérience des choeurs en période du Covid-19.

- La crise sanitaire a mis en pause plusieurs secteurs, notamment celui de la Culture. Comment les choeurs ont-ils vécu l’épisode Covid ?

- Les choeurs sont des victimes collatérales de la crise. Plusieurs parmi eux ont mis les clés sous le paillasson, soit à cause des restrictions imposées par les autorités sanitaires dans la lutte contre la pandémie, soit comme conséquence de la perte de plusieurs de leurs membres - particulièrement des personnes âgées - qui ont rendu l’âme des suites du Covid-19.

Aujourd’hui, les choristes s’adaptent et s’organisent de nouveau de sorte à éviter des scénarios de contaminations. Ainsi, l’aération continue des salles de répétition s’avère primordiale, le port du masque, la distanciation physique…


- Pensez-vous que la reprise de l’activité comblera les déficits enregistrés durant les deux dernières années ?

- Compte-tenu des circonstances exceptionnelles entraînées par la pandémie, personne n’est en mesure actuellement d’assurer si la culture va retrouver son rythme d’antan et sa place dans la vie de demain ou si le public sera disposé à participer aux activités. Ce qui est certain est que tout le monde relève un réel besoin chez les musiciens et les chanteurs de se produire en public. Des concerts avec des jauges limitées ont lieu, sans écarter la possibilité de voir un public masqué parfois au même titre que les musiciens. Les artistes aux instruments à vent seront bien entendu exempts.


- Quelles sont les mesures nécessaires pour le développement des choeurs au Maroc ?

- La proximité et la connexion du public sont des facteurs essentiels qui vont contribuer à relever les défis rencontrés par les choeurs. L’objectif serait d’inviter le grand public à apprendre à chanter dans les écoles et conservatoires, organiser et assister aux concerts.

C’est dans ces espaces où les gens découvrent la joie de chanter, le bien-être, la méditation ou le sport. Il faut donc promouvoir la culture de manière générale et avec un peu de bonne volonté, la chorale suivra naturellement.


Recueillis par R. T.
 



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