Au Maroc, le suspense affole les gens qui s’attendent à une bonne nouvelle d’autant que la vague Omicron ne cesse de reculer après le pic enregistré en janvier. Les rumeurs se multiplient ces derniers jours sur une potentielle fin des restrictions qui subsistent telles que le port du masque, les interdictions de rassemblements, etc.
Le débat s’invite au Comité scientifique
Jusqu’à présent, le débat reste toujours ouvert et les autorités sanitaires ne semblent pas encore résolues à prendre une décision. Contactée par nos soins, une source au sein du Comité scientifique nous a indiqué que le Comité des sages attend une saisine du gouvernement pour pouvoir donner un avis. “Pour l’instant, nous n’avons pas encore entamé le débat au sein du Comité, nous attendons d’être saisis par le gouvernement”, confie notre interlocuteur qui a requis l’anonymat.
En tout cas, ils sont nombreux au sein du Comité à être convaincus que la Covid-19 se transformera fatalement en une endémie telle qu’une grippe saisonnière. Saïd Moutaouakkil, membre du Comité, n’écarte pas cette possibilité, estimant que les perspectives d’évolution de la pandémie prêtent à l’optimisme.
Selon notre interlocuteur, comme les prochains variants seraient moins virulents et vu les avancées de la vaccination, l’humanité peut envisager de cohabiter avec la Covid-19 qui, pense-t-il, perdra bientôt son caractère pandémique. En tout cas, l’optimisme est de mise au sein du Comité d’autant que la courbe épidémiologique est en baisse continue depuis des semaines.
Vers la fin du port du masque et des gestes barrières ?
En prenant acte de cet optimisme, la question qui se pose est de savoir si on peut se permettre le luxe d’une levée des restrictions et des gestes barrières. Du moins les gestes les plus banals tels que le port du masque. Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert en économie, reconnaît qu’il n’est pas avéré que le masque puisse être encore utile à l’extérieur. “Aujourd’hui, il est clairement prouvé que le port du masque n’apporte pas un plus à la lutte contre la pandémie”, a-t-il précisé, citant des études scientifiques telles que celles publiées au” Journal of Infectious diseases» et au “Journal of global health”.
Selon M. Heikel, Omicron a fait passer la Covid-19 d’un stade de pandémie à un stade d’endémie, sachant que ses variants sont si transmissibles que les simples gestes barrières ne sauraient les juguler complètement. “En Europe, on a assisté à une explosion de cas de contaminations sans qu’il y ait de restrictions ni d’imposition du port du masque”, a-t-il argué.
Notre interlocuteur va plus loin en affirmant, sur la base de postulats scientifiques, qu’il n’existe aucune corrélation entre la hausse des contaminations et celle de la mortalité. D’où l’argument que les gestes barrières comme le port du masque ne sont plus si nécessaires qu’avant la progression de la vaccination.
Vaccination : une condition sine qua non ?
Force est de constater que 64% des Marocains ont eu les deux doses, tandis que la dose de rappel demeure peu prise (5,1 millions de bénéficiaires seulement). Raison pour laquelle Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en Politiques de Santé, plaide pour la vaccination comme condition sine qua non à la levée des restrictions.
M. Hamdi croit ardemment que si la population est majoritairement immunisée, les cas graves, qui seraient dans ce cas peu nombreux, ne présentent pas un risque sur le système de santé. Dans ce cas, pense notre interlocuteur, la protection des non vaccinés ne pourra plus être assurée par des mesures restrictives.
Restrictions : une réévaluation s’impose
En tout état de cause, le comité scientifique s’apprête à donner son avis. Un avis censé être positif, compte tenu de l’optimisme de ses membres, dont Azeddine Ibrahimi qui a appelé à coexister avec la pandémie.
Le retour aux restrictions dures telles que le couvre-feu et la fermeture des frontières ne semble plus une option vu leur coût faramineux sur l’économie du pays, qui ne supporte plus aucun choc supplémentaire. Raison pour laquelle le gouvernement place ses espoirs dans la campagne de vaccination.
Pour Jaâfar Heikel, il faut absolument revoir la stratégie de la gestion de la Covid-19, ce qui nécessite, à ses yeux, une évaluation de l’utilité de l’ensemble des restrictions appliquées depuis le début de la pandémie. Une évaluation qui doit prendre en considération aussi bien des indicateurs sanitaires que socio-économiques et psychologiques. Une façon de dire qu’il est temps de coexister avec le virus (Voir trois questions à…)
Anass MACHLOUKH
Repères
Vaccination : le gouvernement intransigeant
Le gouvernement place son espoir sur la vaccination au moment où la campagne nationale continue son marasme. Force est de constater que le Maroc n’a pas dépassé le cap des 24 millions de primo-vaccinés depuis le mois d’octobre dernier sachant que 23,1 sur 36 millions ont eu les deux doses. La dose de rappel demeure également peu administrée sachant que seuls 5,1 millions personnes seulement en ont bénéficié. Prenant acte de cela, le gouvernement emploie toutes ses forces pour relancer la cadence, en durcissant le contrôle du pass vaccinal dans les établissements publics. Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a tenu plusieurs rencontres avec le Patronat, les syndicats et les collectivités territoriales pour les appeler à sensibiliser leurs personnels à se faire vacciner.
Covid-19 : la courbe épidémiologique continue sa chute
Après avoir connu son pic au début du mois de janvier, la troisième vague continue son recul, au point que la moyenne hebdomadaire des contaminations est passée de 7443 cas le 20 janvier à 1081 cas le 14 février. Les cas positifs ont baissé de 34% des contaminations au cours de la semaine dernière du mois de janvier, selon les données du ministère de la Santé. Cette embellie qui s’annonce devrait avoir un impact décisif dans tout avis que devrait prendre le comité scientifique.
L'info...Graphie
Confinement / Couvre-feu
Un simple mauvais souvenir ?
Immunité collective
Chimère ou objectif démodé ?
Après plus d’un an et demi que la campagne nationale dure, cet objectif n’est toujours pas atteint et chaque arrivée d’un nouveau variant provoque une flambée des cas. Force est de rappeler que la finalité de l’immunité collective est de casser la transmission. Ils sont nombreux à s’en douter d’autant que la multiplication de variants, plus contagieux que leurs prédécesseurs, réduit même l’efficacité des vaccins.
D’autres estiment, pour leur part, que les chiffres de contamination ont toujours été beaucoup plus supérieurs que les chiffres annoncés vu l’énorme nombre de personnes qui ne se font pas tester et vu le phénomène de l’automédication.
Compte tenu de ce qui précède, faut-il toujours croire à l’immunité collective ? Réponse négative pour Tayeb Hamdi, qui pense qu’on ne doit plus se contenter d’une infime majorité de personnes vaccinées. L’enjeu, actuellement, est de vacciner l’ensemble de la population puisque la hausse du taux de reproduction du virus avec les nouveaux variants fait qu’il faut viser au-delà de 80% de la population, vu que la transmission du virus est difficile à freiner.
Est-ce que les personnes non-vaccinées peuvent prétendre à une protection via l’immunité collective ? Pas du tout, estime M. Hamdi, arguant que même dans une population majoritairement immunisée, les non-vaccinés encourent le risque de contamination et donc d’hospitalisation, aussi minime soit-il.
“Aujourd’hui, nous avons franchi l’étape de la protection individuelle qu’est la vaccination”, a-t-il expliqué, ajoutant que l’immunité collective n’est plus recherchée. Ceci dit, il ne faut plus compter sur les autres mais sur soi pour se protéger. D’où la nécessité que tout le monde soit complètement vacciné.
Trois questions à Jaâfar Heikel
“Une realpolitik sanitaire s’impose”
- Vous avez plaidé à maintes reprises pour plus de réalisme dans la façon de faire face à la pandémie et de gérer les restrictions, quelles sont vos motivations ?
- Je crois que la Covid-19 nous a appris à coup sûr une leçon d’humilité et il faut absolument retenir les enseignements des échecs. D’où la nécessité de faire une réévaluation des mesures prises depuis le début de la crise. J’insiste sur l’importance d’évaluer les mesures, dont les restrictions, sur la base d’indicateurs sanitaires et socio-économiques.
Plusieurs pays ont pris des mesures fortes et se sont finalement rendu compte qu’elles étaient disproportionnées. D’où l’importance d’évaluer l’impact des restrictions avant de les imposer. N’oublions pas que la pandémie a impacté la prise en charge d’autres pathologies et il est préférable de garder ça en tête. Parfois, la peur de ne pas faire assez fait qu’on tombe dans l’erreur de la sur-réaction.
- Etes-vous pour la levée du port du masque ?
- Selon les données scientifiques, plusieurs études montrent que le masque n’est utile que dans certaines conditions, surtout pour les personnes malades. Il faut prendre en considération l’état actuel des choses, le port du masque n’apporte pas un plus dans la lutte contre la Covid-19, surtout en termes de réduction des hospitalisations.
On a compris, in fine, dans plusieurs pays, que la circulation d’Omicron est telle qu’elle ne peut pas être stoppée et donc on a placé les espoirs dans la vaccination qui réduit le risque des formes graves chez les personnes contaminées. Ainsi, les mesures préventives et les gestes barrières doivent être individuels sans qu’ils soient imposés.
- Pour le reste des restrictions, faut-il envisager une levée totale ?
- Cette décision appartient aux autorités compétentes. Pour ma part, toute décision doit être fondée sur des paramètres épidémiologiques. En tout cas, il faut cesser de prendre le nombre des contagions comme argument pour adopter des mesures restrictives. Nous avons vu que, pendant la vague Omicron, plusieurs pays européens n’ont pas imposé de restrictions bien qu’ils aient enregistré des dizaines de milliers de cas par jour. Nous savons que, depuis le mois de novembre, il n’y a pas de corrélation entre les contaminations et la mortalité, y compris dans le contexte marocain.
Recueillis par A. M.