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Sebta et Mellilia : Après la contrebande, le défi de l’inclusion économique


Rédigé par Abdallah MOUTAWAKIL Jeudi 5 Mai 2022

La fermeture des points de passage de Sebta et Mellilia est durement ressentie par certains habitants des villes du Nord du Maroc. Mais pour la Douane marocaine, cette fermeture est source de recettes supplémentaires. Pour certains acteurs économiques, le Maroc doit développer un schéma global de développement du Nord, qui n’exclut pas Sebta et Mellilia, mais en fait un point d’appui.



C’est un chiffre qui, à lui seul, en dit presque tout sur ce que l’Etat aurait à gagner à instaurer des droits de douane sur le trafic en provenance de Sebta et Mellilia : en 2021, la fermeture des points de passage avec ces deux villes occupées a permis aux douanes marocaines de gagner 4 milliards de dirhams. Il s’agit tout simplement d’un record. L’information a été donnée il y a quelques mois par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects (ADII).

Selon d’autres sources, le volume de la contrebande en provenance de ces présides atteint même le double de ce que la douane marocaine a engrangé comme recettes en quelques mois de fermeture. Ce qui en dit long sur le potentiel à gagner sur le plan fiscal. Depuis la brouille de l’année dernière, le trafic terrestre demeure encore fermé. Mais entre-temps, la réflexion, mais aussi les actions sur « l’encerclement de la contrebande » en provenance de Sebta et Mellilia continuent.

Schéma douanier

« Le plus important, c’est d’abord le fait que l’on ait arrêté ce phénomène de femmes-mulets », se réjouit d’emblée un opérateur économique actif dans la zone Nord. Aujourd’hui, toute la question est de savoir si l’instauration de postes douaniers sur les marchandises en provenance de ces enclaves s’impose.

« Concernant la douane, je pense qu’il n’y a plus rien à ajouter, du moment que l’ADII a mis en place un schéma particulier de la zone économique de Fnideq », se réjouit-on auprès du Club des Opérateurs Economiques Agréés du Maroc (Club OEA), dont les membres sont très dynamiques dans l’animation des activités économiques des régions du Nord du Maroc.

Ce schéma, selon certains observateurs, matérialise presque en grande partie « l’alternative du Maroc face aux flux en provenance de Sebta et Mellilia ». En plus de la lutte contre la contrebande, il s’agit d’un véritablement accompagnement en faveur des opérateurs économiques locaux. « Ces derniers ont même bénéficié de droits et de taxes allégés de la part de l’ADII », nous souffle un opérateur qui a requis l’anonymat.

Outlet Fnideq

Autre action de souveraineté économique mise en place par le Maroc, le vaste chantier de faire de Fnideq, ville mitoyenne de Sebta, un futur centre logistique. « De bonnes choses sont en train d’être faites sur le hub logistique de Fnideq. De façon indirecte, le Maroc va assurer une souveraineté économique sur Sebta et Mellilia. Fini le trafic illicite », se réjouit-on au Club OEA.

Un Outlet est notamment déjà en place près de Fniqed, et accueille des dizaines d’opérateurs qui ont bénéficié de formation et de renforcement des capacités au niveau du Centre Régional des Investissements (CRI) Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Ce qui en dit long en effet sur la stratégie à long terme que le Maroc est en train de développer pour alléger au maximum l’impact de l’intrusion du commerce de contrebande en provenance de Sebta et Mellilia.

Point d’appui

Une chose est partagée : cette partie du pays dépend presque en grande partie de ce commerce pour animer sa vie économique. D’ailleurs, même dans les marchés et souks d’une grande ville comme Tétouan, les commerçants font état d’un renchérissement de leurs marchandises depuis l’arrêt des arrivées directes des cargaisons en provenance de Sebta et Mellilia.

Pour les acteurs économiques de la région du Nord, il est non seulement question de changer cette réalité très vieille via des mesures opérationnelles comme celles citées plus haut, mais il faut aller plus en avant, en essayant d’intégrer Sebta et Mellilia dans un schéma d’ensemble de développement du Nord du Maroc.

« Il faut changer de perception sur Sebta et Mellilia. Nous devons désormais en faire un point d’appui, à l’instar de ce que les Anglais ont fait avec Hong Kong. Le Maroc doit être suffisamment intelligent pour lancer un plan de développement autour de Sebta et Mellilia qui englobe tout le Nord du Maroc. Ainsi, au lieu de subir le développement économique de ces deux enclaves, nous en tirerons les avantages, tout en assurant l’essor des villes environnantes », fait-on savoir auprès du Club OEA.

Et cela, poursuit notre source, est plus que jamais possible avec la nouvelle entente en cours entre Rabat et Madrid. « De la même manière dont on a pu coopérer sur le gaz, il sera possible de trouver une solution win-win sur Sebta et Mellilia », conclut notre interlocuteur.


Abdellah MOUTAWAKIL

Repères

Développement : cap sur les zones industrielles
C’est l’un des accélérateurs de développement privilégiés dans la région Nord du Maroc : l’émergence de zones industrielles et de zones économiques. La région Tanger-Tétouan-Al Hoceima compte actuellement 8 zones industrielles, et entend en construire 14 nouvelles autres dans les prochaines années. Parmi les zones déjà existantes, on peut citer Tanger Med Zones (TMZ), qui comprend 5 zones d’activités, à savoir Tanger Free Zones (TFZ), Tanger Automative City, Tétouan Shore, Tétouan Park, et une zone dédiée au retail et aux services.
 
Nord du Maroc : 2,7 MMDH pour les zones économiques
La Commission Régionale Unifiée de l’Investissement (CRUI) de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima entend dégager un budget de 2,7 milliards de dirhams pour la construction de plusieurs zones industrielles et d’activités économiques. Le tout, pour créer au minimum 88.000 emplois supplémentaires dans la région, qui émerge déjà comme un pôle industriel d’avenir. A Fnideq, la zone d’activité économique ouverte récemment accueille 53 commerçants.

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Développement du Nord


Le coup de pouce du cannabis
 
La légalisation de l’usage licite du cannabis à des fins médicales et thérapeutiques fait l’affaire des villes du Nord du Maroc. Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate font en effet partie des trois zones dans lesquelles il est permis d’autoriser les activités liées à la culture, à la production, à l’implantation et à l’exploitation du cannabis. Ce qui va, à coup sûr, contribuer au développement de ces régions si toutefois les retombées de cette culture se font voir un jour. Pour l’heure, rien n’a véritablement commencé officiellement.

Mais, il faut noter que, selon les données du ministère de l’Intérieur, le nombre d’habitants concernés par la culture illégale du cannabis au Maroc est estimé à 400.000 personnes, soit près de 60.000 familles, résidant en majorité dans le Nord. Avec sa légalisation, le revenu net annuel du cannabis à usage médical pourrait avoisiner les 110.000 DH par hectare, soit une amélioration d’environ 40% par rapport aux recettes actuelles.

 

Maroc - Espagne


Un alliance gagnant-gagnant
 
Après la récente visite du chef du gouvernement espagnol au Maroc, Pedro Sanchez, de nombreuses voix actives dans le secteur économique marocain appellent au renforcement des relations commerciales, en établissant des liens plus solides, voire futuristes.

Sur le plan de transport et de la logistique par exemple, certains professionnels du transport considèrent que les ports de Tanger Med et d’Algésiras doivent désormais sortir de leur logique de concurrence à un véritable partenariat qui ferait d’eux un pôle de domination complète sur le trafic méditerranéen. « Il faut nous libérer de certaines contraintes.

Avec Tanger Med II, on a atteint le seuil critique. En incluant Sebta et Mellilia, Tanger Med et Algésiras peuvent dépasser les 30 millions de conteneurs d’EVP. Ce n’est pas Tanger Med versus Algésiras, mais un bloc qui réunit les deux ports », souffle un professionnel du transport maritime.

Actuellement, les deux ports dépassent les 11 millions de conteneurs par an. En entrant en partenariat, de nombreuses synergies peuvent être trouvées afin de leur permettre de mieux tirer profit de la hausse du trafic maritime sur le Détroit stratégique de Gibraltar.

In fine, il est question d’un schéma intégré dans le domaine des transports. Qu’il s’agisse du portuaire ou du transport terrestre, le Maroc et l’Espagne ont beaucoup plus à gagner à coordonner leurs actions en Méditerranée. Le tout, sans parler bien sûr du rôle considérable que le projet du tunnel de Gibraltar serait appelé à jouer, dans la fluidification du trafic entre les continents africain et européen.

 

3 questions à Driss Aïssaoui, Economiste


« Concernant Sebta et Mellilia, le Maroc a fait le nécessaire»
 
Pour l’économiste Driss Aïssaoui, le Maroc a fait le nécessaire pour rendre ses villes du Nord plus attractives et compétitives face à Sebta et Mellilia. La fin du phénomène des femmes-mulets est en soi une grande avancée. Interview.


- Le Nord du Maroc a connu un développement fulgurant ces dernières années. Mais pourquoi continue-t-on d’envier Sebta et Mellilia ?


- A mon avis, le niveau de développement des villes du Nord du Maroc n’a pas grand-chose à envier à ces deux enclaves occupées par l’Espagne. En plus des plans locaux de développement, le ministère marocain de l’Intérieur a fait un travail considérable pour mettre fin à ces activités de femmes-mulets. Aujourd’hui, elles sont actives dans des coopératives et parviennent à gagner au minimum l’équivalent du SMIG. C’est un pas important.


- Qu’est-il possible de mener comme partenariat avec ces enclaves ?

- Ce sont des présides occupés qui ont aussi un statut de zones franches. Ce qui explique aussi une certaine facilité dans le trafic de marchandises, notamment la contrebande. Aujourd’hui, nous pouvons dire que grâce aux politiques publiques mises en place, tout le Maroc est également devenu une vaste zone franche, surtout dans les villes industrielles. Donc, franchement, peu de choses sont aujourd’hui envisageables à mon avis avec Sebta et Mellilia.


- Mais comment faire en sorte de ne pas énormément subir leur impact dans leur environnement immédiat ?

- Comme je vous l’ai dit plus haut, le Maroc a su développer des alternatives crédibles et pérennes pour autonomiser les activités économiques autour de Sebta par exemple. Il faudra continuer à renforcer la coopération avec Madrid et à renforcer les liens économiques. Mais pour ce qui est de Sebta et Mellilia, je pense que le nécessaire a été fait côté marocain.



Recueillis par A. MOUTAWAKIL
 








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