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Sécheresse : L’espoir d’une pluie bienfaitrice est-il encore de mise ?


Rédigé par Souhail AMRABI Mardi 22 Février 2022

Alors que s’organise le soutien des agriculteurs qui ont subi les dégâts de la sécheresse, l’espoir de pluies salvatrices tardives est toujours d’actualité.



Sa Majesté le Roi a récemment donné Ses Hautes instructions pour débloquer 10 milliards de dirhams afin d’alimenter un programme exceptionnel pour soutenir les agriculteurs.

Reçus mercredi à la Résidence Royale à Bouznika, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Mohamed Sadiki, ont ainsi été invités à prendre « toutes les mesures d’urgence nécessaires pour faire face à l’impact du déficit des pluies sur le secteur de l’agriculture, dans l’espoir que Dieu répande Sa miséricorde sur notre pays et le comble de pluies bénéfiques », souligne le communiqué du Cabinet Royal qui a par ailleurs précisé que « cette audience s’inscrit dans le cadre de la Haute sollicitude royale dont SM le Roi entoure la population du monde rural et toutes les composantes du secteur agricole, notamment au moment où la saison agricole connaît un grand déficit pluviométrique. La moyenne nationale des précipitations a atteint à ce jour 75 mm, enregistrant ainsi un déficit de 64% en comparaison avec une saison normale ».

Un espoir de pluies tardives ?

« Cette situation climatique et hydrique impacte négativement le déroulement de la campagne agricole, particulièrement les cultures d’automne et la disponibilité des pâturages », poursuit la même source.

L’espoir que le Maroc puisse enregistrer des pluies salvatrices est-il pour autant valable ? Contactée par nos soins, la Direction de la Météorologie Nationale n’écarte pas cette possibilité : « Selon les dernières prévisions météorologiques, les prochains jours peuvent connaître l’occurrence des quelques faibles pluies sur le Nord-Ouest du pays ainsi que sur l’Atlas. Au-delà de cette échéance, le Maroc peut toujours connaître des épisodes pluvieux durant les mois de mars, avril et mai prochains. En effet, pendant une année normale, ces mois contribuent en moyenne à 25% des pluies de la saison pluvieuse. N’oublions pas l’année 1992 où les régions situées à l’Ouest des montagnes de l’Atlas ont connu d’importantes précipitations après un début d’année agricole 1991-1992 bien sec similaire à celui de cette saison ».

Une année « très sévère »

Pour l’expert hydrique Redouan Choukr-Allah, des précipitations tardives pourraient bénéficier aux semis tardifs et à la production de fourrage.

« Nous sommes en train de vivre une année très sévère. Heureusement qu’il y a eu assez de récoltes l’année dernière. C’était une année moyenne, mais il y a quand même eu un stock, qui permet actuellement aux agriculteurs de survivre », explique notre interlocuteur qui pointe également certaines bonnes expériences qui permettent actuellement de mitiger les dégâts de la sécheresse en attendant un retour des pluies.

« Dans la région de Rhamna par exemple, des milliers d’hectares ont été plantés avec de l’Atriplex (arbustes qui peuvent être broutés par le bétail, NDLR). Cette initiative réalisée par les Eaux et Forêts et la Direction provinciale de l’Agriculture a permis aux éleveurs de la région d’avoir des parcours pour leurs troupeaux dans ce contexte difficile de sécheresse. Il y a bien sûr un potentiel d’amélioration de la productivité, mais j’estime que c’est une action intéressante qu’il faudrait reproduire », explique l’expert.

Anticipation et bonnes pratiques

La recrudescence des épisodes de sécheresse est par ailleurs une donne qui n’a « rien de surprenant », selon la même source qui appelle à améliorer les efforts proactifs. « Il y a eu un grand nombre d’études et de modèles prédictifs qui établissent cet état de fait. Le Maroc est un pays aride et les solutions pour faire face à cette réalité sont connues. Il faut à mon sens accélérer la mise en oeuvre des projets et stratégies prévues dans ce domaine, mais aussi être encore plus proactif face à la sécheresse qui est structurelle dans notre pays », estime Redouan Choukr-Allah.

L’expert cite l’exemple de pays qui peuvent servir de modèle à suivre dans ce domaine, notamment l’Australie « qui arrive à produire des céréales à partir de 150 mm de pluviométrie ».

« Pour avoir ce genre de résultat, il a fallu du temps et de l’effort aux experts australiens. Je pense qu’il est important pour nous de nous inspirer de ce genre de modèles, mais également de répliquer les bonnes pratiques que nous avons testées et qui ont marché », conclut Redouan Choukr-Allah.


Souhail AMRABI

Repères

Eau et financement climat
Afin d’asseoir un nouveau business model de l’eau à même d’assurer une adaptation aux épisodes de sécheresse, le Royaume devra mettre en place un grand nombre de projets structurants qui nécessitent des financements importants. Afin de pouvoir bénéficier des financements internationaux dédiés aux projets d’adaptation climatique, les projets nationaux devront être « climato-compatibles » en mettant en avant leur dimension d’atténuation et adaptation climatique plutôt que d’être présentés comme des projets de développement local et humain.
 
Eau et décarbonation
Les projets hydriques actuellement programmés doivent, selon Hassan Agouzoul, prendre en considération les exigences des bailleurs de fonds en termes de lien avec les efforts de décarbonation. « Que ce soit pour des projets de dessalement de l’eau de mer ou de réutilisation d’eaux usées, les bailleurs de fonds posent toujours la question de l’alimentation du projet en énergies renouvelables. Il est donc important de veiller à alimenter la nouvelle génération de projets de l’eau par une électricité verte », estime l’expert.

 

L'info...Graphie


Pluviométrie


La sécheresse actuelle est similaire aux épisodes de 1995 ,1993 et 2016
 
Suite à des facteurs climatiques multiples, « notre pays a été sous l’influence de conditions anticycloniques matérialisée par la prédominance et le positionnement de l’anticyclone des Açores sur l’Ouest de la rive méditerranéenne englobant le Maroc et bien d’autres pays. Cette situation a engendré un déficit pluviométrique au niveau du Maroc marqué sur le centre et le Nord-Est du royaume », nous explique la Direction de la Météorologie Nationale (DMN).

Du point de vue climatologique, le Maroc est caractérisé par une variabilité interannuelle marquée par des épisodes de sécheresse, d’années remarquablement humides et d’autres plutôt proches de la normale. « A titre indicatif, on rappelle le déficit pluviométrique qu’a connu notre pays au début des années quatre-vingt entre 1981 et 1986 et également durant la période de 1992 à 1995 », illustre la DMN.

Cela dit, l’épisode que connaît actuellement notre pays n’est pas comparable avec la sècheresse enregistrée durant les années 80. « Jusqu’à fin janvier, l’année 2022 est plutôt similaire aux années 2016, 1995 et 1993 », estime la DMN.
 

Réforme structurelle


Les défis en attente pour réussir la réforme du secteur de l’eau
 
La sécheresse n’est pas une fatalité, estime Hassan Agouzoul, expert en changement climatique qui explique que le diagnostic et les solutions à ce phénomène ont été établis depuis longtemps, notamment par le Nouveau Modèle de Développement (NMD).

« M. Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, a également tracé la voie pour transformer les orientations du NMD en matière de ressources hydriques en actant trois principes : la gestion intégrée des ressources en eau, l’efficacité hydrique dans tous les secteurs de la demande, le recours au dessalement et l’utilisation de nouvelles ressources non-conventionnelles qui vont acter notre autonomie hydrique et neutraliser le lien étroit qui existe actuellement entre les précipitations et l’agriculture, l’alimentation en eau potable et l’économie », estime Hassan Agouzoul.

Ces orientations font évidemment face au défi de la mise en oeuvre dont le succès est lié à la capacité technique de réalisation des projets et à la conscience des diverses parties prenantes concernant le nouveau rôle qu’elles doivent jouer.

« En plus d’un capital humain qualifié dans de nouveaux secteurs comme le dessalement et la réutilisation des eaux, se profile également le défi de la convergence des politiques publiques et de la redéfinition de nouvelles règles de coordination entre les différents acteurs pour arbitrer et affecter la ressource entre les différentes demandes d’usage. Revoir la tarification de l’eau et l’implication du secteur privé dans le financement des projets seront également des facteurs déterminants », explique l’expert.

 

3 questions à Hassan Agouzoul, expert en changement climatique


« Nous avons enregistré durant ces dernières années plusieurs saisons où des épisodes de sécheresse ont été suivis de pluies très fortes… »
 
Hassan Agouzoul répond à nos questions concernant la perturbation de la pluviométrie et les risques liés aux phénomènes extrêmes.

- La sécheresse suivie de pluies tardives est un phénomène qui sera plus récurrent dans l’avenir ?

- Les changements climatiques que nous connaissons et qui sont causés par les activités humaines ont perturbé la régularité de la pluviométrie. Nous avons enregistré durant ces dernières années plusieurs saisons où des épisodes de sécheresse ont été suivis de pluies très fortes qui ont parfois occasionné des dégâts et des inondations puisque la quantité d’eau qui est tombée en une seule journée était équivalente à celle qui tombait habituellement en 6 mois.

Il s’agit là du grand sujet de la résilience face aux effets extrêmes des changements climatiques qui est décliné comme troisième pilier de l’Accord de Paris dont l’objectif est d’atténuer les catastrophes naturelles lorsqu’elles surviennent.


- Le Maroc est-il suffisamment préparé à anticiper et mitiger les menaces posées par ce phénomène ?


- Actuellement, on pourrait croire que la sècheresse pourrait engendrer un effet psychologique de relâchement qui nous empêcherait de bien anticiper le retour de fortes averses qui peuvent causer des catastrophes naturelles et des inondations. Il y a cependant le système de veille et de gestion des catastrophes naturelles qui a été mis en place par le ministère de l’Intérieur.

Ce plan qui couvre la période 2021-2030 a été publié en début 2021. Il établit un dispositif national, régional et local pour anticiper et gérer ce genre de scénario.


- Comment tirer profit de ces averses potentielles de sorte que leurs eaux ne se perdent pas en mer ?

- Il existe plusieurs niveaux de réflexion pour capter ces eaux pluviales. À travers les infrastructures hydrauliques, mais également au niveau de bassins tampons dans les villes, ou encore à travers les efforts de reforestation et d’aménagement d’espaces boisés dans le but d’améliorer le potentiel d’infiltration de ces eaux afin de les mettre à profit pour la recharge des nappes phréatiques.
 


Recueillis par S. A.