Depuis le XVIIIème siècle notamment, le roman cherche à reproduire le monde réel et des évènements plausibles afin de construire des mondes dits possibles 3 qui, si vrais paraissent-ils, n’en sont pas moins des mondes idéalises. Ces emprunts au réel, qui certes contribuent à la fluidité de la lecture, font des lecteurs les habitants limitrophes des contrées du réel et de l’irréel.
C’est en effet le piège que tendent ces sous-genres comme la biographie, l’autobiographie fictive, le roman réaliste ou naturaliste, le roman a clef et le roman historique qui flirtent dangereusement avec le réel jusqu’à attirer le lecteur dans les rets d’un monde illusoire auquel il pourrait s’identifier.
Par ailleurs, le réalisme pose clairement le problème de la relation ambiguë entre ce qui est de l’ordre du factuel, de la réalité telle qu’elle est vécue par les hommes, et ce qui est de l’ordre de l’imaginaire, de l’invention qui relève d’une construction mentale du cerveau humain.
Bien souvent la volonté de plaire passe par une volonté mimétique qui répond à un souci de faire vrai, de montrer le monde tel qu’il est, sans fard ni fioriture. En poussant le souci du détail à l’excès, l’écrivain flirterait avec l’hypotypose ou l’ekphrasis, deux sortilèges qui s’offrent à lui afin d’estomper la frontière entre fait et fiction.
L’hypotypose se veut une figure de style qui aboutit à une description si animée que le lecteur aurait l’impression qu’elle pourrait prendre vie alors que l’ekphrasis consiste en un exercice de style qui ferait accroire au lecteur qu’il serait en présence d’une oeuvre d’art.
Contre la clause d’évitement
Le livre imprimé possède l’avantage sur le numérique en ce sens que les écrans, de par leur architecture éclatée et leur surcharge sémiotique, tendent à disperser l’attention là où la page sobre concentrerait notre attention.
Sans concentration, point de mémorisation ou de compréhension. Le système attentionnel nous permet de nous concentrer sur un élément externe (comme un livre de fiction par exemple) ou interne (une idée) à notre psychè afin d’optimiser l’utilisation de nos capacités cognitives.
Ce système renvoie en creux à la fragilité de l’acte de lecture, toujours menace de rupture – l’anxiété et la fatigue pouvant nuire au maintien de l’attention. C’est la raison pour laquelle l’attention, conformément à son étymologie latine tendre, cherche avant tout à tenir – tenir le lecteur en éveil, le tenir en haleine coute que coute.
Toute attention requiert un éveil (des sens), sinon une légère excitation, que le terme anglais, arousal, synthétise fort bien. Pendant cette phase d’excitation, le sujet est agité autant qu’il agit… une « immersion fictionnelle », que Victor Nell renomme l’extase lectorale. Il existe une attention plus spécifique, celle du lecteur professionnel à l’affut d’indices particuliers dans la fiction. L’écrivain prend soin du plaisir du lecteur, le tient en éveil. Il lutte contre sa distraction, son défaut de concentration. Le souhait d’être toujours ailleurs, ne serait-ce qu’en pensée.
La mission de l’auteur consiste donc à mettre en place des stratagèmes afin de piquer la curiosité de ses lecteurs, d’optimiser leur vigilance et de les maintenir en état d’immersion en les isolant sensoriellement de leur environnement.
Parmi les subterfuges employés, énumérons les quatre principaux centres d’intérêt susceptibles de tenir le lecteur captif : la curiosité, le suspense, l’humour et l’amour. De là à imaginer une typologie des genres fictionnels articulée autour de ces catégories, il n’y a pas loin.
La curiosité sous-tend principalement l’utopie, le fantastique comme toutes les littératures de l’imaginaire, les romans de formation et historiques, le polar (car plus cérébral que le roman noir), pour ne citer qu’eux. Le suspense serait l’ingrédient principal du roman à suspense (le thriller) comme de l’horreur, de la science-fiction, de la dystopie, du roman policier historique, des romans noirs, d’aventure, gothique de cape et d’épée, d’espionnage, d’épouvante, etc.
L’humour regrouperait à l’évidence la comédie, la satire et la parodie, mais aussi la littérature pour midinettes (chicklit, en anglais) dans laquelle l’héroïne égrène l’intrigue de perles humoristiques sur un ton pince-sans-rire et le roman gore ou l’humour, souvent macabre, allège la tension de l’horreur.
L’amour, sous ses facettes les plus diverses, est le ressort des littératures sentimentale, romantique et libertine (érotisme comme pornographie), du roman d’amour, sans oublier le roman de chevalerie qui accorde une place prépondérante à l’amour courtois, ou le roman grunge qui opère une division entre sentiment amoureux et concupiscence.
Il apparait que non seulement l’écrivain est un professionnel de la séduction, mais les situations fictionnelles saturées en affects, conçues afin de canaliser l’attention des lecteurs, sont aussi promptes à ouvrir un espace fantasmatique spéculaire où auteur et lecteur se rencontrent.
C’est en effet le piège que tendent ces sous-genres comme la biographie, l’autobiographie fictive, le roman réaliste ou naturaliste, le roman a clef et le roman historique qui flirtent dangereusement avec le réel jusqu’à attirer le lecteur dans les rets d’un monde illusoire auquel il pourrait s’identifier.
Par ailleurs, le réalisme pose clairement le problème de la relation ambiguë entre ce qui est de l’ordre du factuel, de la réalité telle qu’elle est vécue par les hommes, et ce qui est de l’ordre de l’imaginaire, de l’invention qui relève d’une construction mentale du cerveau humain.
Bien souvent la volonté de plaire passe par une volonté mimétique qui répond à un souci de faire vrai, de montrer le monde tel qu’il est, sans fard ni fioriture. En poussant le souci du détail à l’excès, l’écrivain flirterait avec l’hypotypose ou l’ekphrasis, deux sortilèges qui s’offrent à lui afin d’estomper la frontière entre fait et fiction.
L’hypotypose se veut une figure de style qui aboutit à une description si animée que le lecteur aurait l’impression qu’elle pourrait prendre vie alors que l’ekphrasis consiste en un exercice de style qui ferait accroire au lecteur qu’il serait en présence d’une oeuvre d’art.
Contre la clause d’évitement
Le livre imprimé possède l’avantage sur le numérique en ce sens que les écrans, de par leur architecture éclatée et leur surcharge sémiotique, tendent à disperser l’attention là où la page sobre concentrerait notre attention.
Sans concentration, point de mémorisation ou de compréhension. Le système attentionnel nous permet de nous concentrer sur un élément externe (comme un livre de fiction par exemple) ou interne (une idée) à notre psychè afin d’optimiser l’utilisation de nos capacités cognitives.
Ce système renvoie en creux à la fragilité de l’acte de lecture, toujours menace de rupture – l’anxiété et la fatigue pouvant nuire au maintien de l’attention. C’est la raison pour laquelle l’attention, conformément à son étymologie latine tendre, cherche avant tout à tenir – tenir le lecteur en éveil, le tenir en haleine coute que coute.
Toute attention requiert un éveil (des sens), sinon une légère excitation, que le terme anglais, arousal, synthétise fort bien. Pendant cette phase d’excitation, le sujet est agité autant qu’il agit… une « immersion fictionnelle », que Victor Nell renomme l’extase lectorale. Il existe une attention plus spécifique, celle du lecteur professionnel à l’affut d’indices particuliers dans la fiction. L’écrivain prend soin du plaisir du lecteur, le tient en éveil. Il lutte contre sa distraction, son défaut de concentration. Le souhait d’être toujours ailleurs, ne serait-ce qu’en pensée.
La mission de l’auteur consiste donc à mettre en place des stratagèmes afin de piquer la curiosité de ses lecteurs, d’optimiser leur vigilance et de les maintenir en état d’immersion en les isolant sensoriellement de leur environnement.
Parmi les subterfuges employés, énumérons les quatre principaux centres d’intérêt susceptibles de tenir le lecteur captif : la curiosité, le suspense, l’humour et l’amour. De là à imaginer une typologie des genres fictionnels articulée autour de ces catégories, il n’y a pas loin.
La curiosité sous-tend principalement l’utopie, le fantastique comme toutes les littératures de l’imaginaire, les romans de formation et historiques, le polar (car plus cérébral que le roman noir), pour ne citer qu’eux. Le suspense serait l’ingrédient principal du roman à suspense (le thriller) comme de l’horreur, de la science-fiction, de la dystopie, du roman policier historique, des romans noirs, d’aventure, gothique de cape et d’épée, d’espionnage, d’épouvante, etc.
L’humour regrouperait à l’évidence la comédie, la satire et la parodie, mais aussi la littérature pour midinettes (chicklit, en anglais) dans laquelle l’héroïne égrène l’intrigue de perles humoristiques sur un ton pince-sans-rire et le roman gore ou l’humour, souvent macabre, allège la tension de l’horreur.
L’amour, sous ses facettes les plus diverses, est le ressort des littératures sentimentale, romantique et libertine (érotisme comme pornographie), du roman d’amour, sans oublier le roman de chevalerie qui accorde une place prépondérante à l’amour courtois, ou le roman grunge qui opère une division entre sentiment amoureux et concupiscence.
Il apparait que non seulement l’écrivain est un professionnel de la séduction, mais les situations fictionnelles saturées en affects, conçues afin de canaliser l’attention des lecteurs, sont aussi promptes à ouvrir un espace fantasmatique spéculaire où auteur et lecteur se rencontrent.
Jean-François VERNAY
L’auteur a également publié « Panorama du roman australien des origines à nos jours (Paris : Hermann, 2009) et » Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature (Paris : Complicités, 2013).