El Mahdi Choubbou
La nuit du 29 février 1960, alors que la population musulmane d’Agadir s’attendait au repas du S’hour qui précède le jeûne du troisième jour du Ramadan, les populations juives et européennes se reposaient après une journée caniculaire. De leur côté, les touristes étrangers, répartis sur 18 unités hôtelières qui constituaient l’ensemble de la structure touristique de la ville, avaient rejoint leurs chambres tôt, parés pour une nouvelle journée sur le sable doré dans un climat de printemps précoce, qui arrivait tôt à Agadir avant n’importe où ailleurs. Seule une minorité était restée éveillée à l'extérieur jouant aux cartes dans les cafés ou regardant des films dans les salles obscures qui étaient le seul moyen de distraction disponible à l’époque.
Quelques minutes avant minuit, le désastre s’était produit et son bruit s’était rapidement propagé partout dans la ville. Les bâtiments s’étaient effondrés et réduits en décombres, une poussière dense s'était levée bloquant au passage toute vision. Seuls les gémissements et les hurlements qui émanaient des décombres brisaient le silence d’une nuit qui marquera à jamais l’histoire d’Agadir.
Le lendemain matin, le Maroc, et avec lui le monde entier, s’était réveillé sur la nouvelle du tremblement de terre qui avait détruit la belle métropole du Souss, un évènement qui avait constitué sans aucun doute la plus grande catastrophe naturelle qui avait frappé le Maroc durant son histoire moderne.
Agadir au centre de la scène internationale
Il est souvent dit qu’Agadir avait failli déclencher la Première Guerre Mondiale, avec trois ans d’avance. Le 1er juillet 1911, l’Allemagne avait envoyé sa canonnière Panter sur les rives de la ville, menaçant de la bombarder si la France ne se retirait pas du Maroc. Une crise mondiale avait failli éclater, si la France n’avait cédé à l'Allemagne l’une de ses colonies en Afrique à savoir le Congo.
Selon des documents secrets espagnols, Hitler avait tenté de convaincre Franco pendant la Seconde Guerre Mondiale pour entrer en guerre aux côtés de l'Allemagne. En échange, cette dernière devrait abandonner toute la zone d'influence de la France vaincue au Maroc, à l'exception de deux villes, qu'Hitler tenait à garder clouées dans la couronne du troisième Reich ; Mogador et Agadir !
Les Français ont été les premiers à valoriser la destination Agadir en la surnomm ant « la Miami Afrique du Nord» par simulation à l'icône des plages de Floride sur la rive ouest opposée de l'océan Atlantique.
Dieu a béni Agadir avec un emplacement stratégique de premier ordre. Située dans une baie nautique au bord de l’océan, elle bénéficie d'un climat semi-aride, doux tout au long de l’année avec une température annuelle n’excédant jamais la moyenne de 18°c, rendant son climat idéal pour un hiver chaud et un été modéré avec une faible humidité et une faible force de vent.
Une population vivant en harmonie
Agadir demeure ensoleillée 300 jours par an, ce qui, en plus de la douceur du climat, permet aux visiteurs de profiter d'une plage qui s'étend sur plus de quatre kilomètres de sable fin et doré, bordés d’eucalyptus, de pins et de tamaris, une caractéristique qui lui avait permis d’être classée deuxième plus belle plage de sable du monde, après celle de Copacabana, à Rio de Janeiro au Brésil.
Après la Seconde Guerre mondiale, la ville d’Agadir s'était développée rapidement grâce, non seulement au tourisme, mais aussi à la richesse de ses côtes aux ressources marines. Son port a été classé comme le deuxième port le plus actif pour la pêche à la sardine au monde, un facteur qui avait contribué à la diffusion des conserveries qui poussaient comme des champignons pour former le noyau d'une industrie agro-alimentaire qui a été renforcée par la mise en conserve de jus de fruits qui bénéficiaient de la qualité des agrumes fournis par les domaines disséminés à 44 kilomètres à l'est de la ville.
Durant les années 50, Agadir atteignit le sommet de l'urbanisation, influencée par sa diversité démographique et culturelle. Elle disposait d'un circuit automobile, on y organisait un tournoi de tennis et une course cycliste, elle vivait des jours pleins de joie et de fêtes. Agadir tenait « la fête de la mer » avec ses activités et ses compétitions nautiques et celle de la sardine, parrainées par les propriétaires des conserveries qui couronnaient la fin de la compagne de pêche. Deux ans avant le séisme, les fêtes de l’orange s’étaient tenues en présence du Prince Moulay El Hassan, l’évènement avait vu l’organisation d’un carnaval et un concours pour choisir Miss Orange !
A la date des faits, vivait à Agadir une population constituée d’une majorité musulmane, suivie de chrétiens européens qui avaient préféré rester après l'indépendance, puis de citoyens juifs. Tous vivaient en harmonie, faisant d'Agadir l'un des rares lieux au monde où les trois religions monothéistes coexistaient en parfaite harmonie, incarnant de façon glorieuse l’esprit de tolérance à son état le plus pur.
Du fait de l'attraction touristique de la station balnéaire et du port de pêche actif, la population d'Agadir avait progressé à une vitesse fulgurante, atteignant, selon le premier recensement officiel de la population et des logements 37.744 personnes. Les estimations parlaient d'un chiffre voisinant 45.000 personnes à la date de la catastrophe.
Sismologie d'une catastrophe
La ville d'Agadir se situe dans une zone de forte activité sismique due à l’influence de la zone sismique alpine, qui s'étend du rocher de Gibraltar à la l’Indonésie. Avant la secousse dévastatrice d'Agadir et au cours du seul XXe siècle, la zone sismique alpine avait connu plus de dix séismes dévastateurs qui ont touché les pays du Portugal ; Algérie ; Italie ; Grèce ; Turquie, Iran et Afghanistan.
Selon les études géologiques, la région d'Agadir est située dans l'un des principaux axes sismiques du Maroc, qui s'étend du sud-ouest au nord-est (d'Agadir en direction d'Oujda).
Les sources historiques n’ont pas rapporté l’exposition de la ville aux séismes destructeurs, sauf ce qui a été consigné par des sources assez imprécises que la ville a été frappée par un tremblement de terre dévastateur en 1731.
Avant la secousse dévastatrice, la population d’Agadir avait ressenti deux secousses prémonitoires ; la première a eu lieu le 23 février 1960 à 12 h 16, et la seconde le 29 février 1960 à 11 h 45, et alors que la première secousse était légère et à peine ressentie, la seconde a déplacé certains meubles et fait chuter d’autres. Les Marocains n'ont pas été très sensibles à la gravité de la situation liée à ces deux secousses. Certains étrangers qui avaient vécu des expériences sismiques en Grèce, en Italie et en Algérie étaient terrifiés, et à ce jour, chaque nouvelle secousse rappelle de mauvais souvenirs aux survivants qui s'attendaient à ce que le pire se produise. En effet, beaucoup d'entre eux dormaient à l'extérieur de leurs maisons comme cela s'était produit durant la secousse de début des années quatre-vingt lorsque le bord de mer a été transformé en camp à ciel ouvert.
Vint alors la secousse principale, à 23h41m14s. Elle dura entre 12 à 14 secondes, les trépidations s’exerçaient à la fois dans le sens horizontal et dans le sens vertical pour s’achever par une espèce de coup de boutoir en direction du sol. Un grondement de tonnerre l’accompagna, prolongé par le fracas des immeubles qui s’écroulaient et se réduisaient en décombres. Un énorme nuage de poussière recouvrait la ville dans une obscurité totale. L'électricité, l'approvisionnement en eau potable, les liaisons téléphoniques ont été tous coupés, la ville avait perdu toute liaison avec le monde extérieur.
La plupart des stations sismiques à travers le monde avaient localisé la secousse déterminée à une magnitude de 5.75 sur l’échelle de Richter, une force qui devait normalement classer la secousse d’Agadir parmi les séismes modérés qui ne devaient généralement pas causer de lourdes pertes en vies humaines et en biens. Cependant, c’est le contraire qui s’était produit avec une destruction massive qui avait placé la secousse d’Agadir parmi les séismes les plus féroces du XX siècle.
Décalage entre la magnitude et l’effet du séisme
Le manque de proportion entre la magnitude du séisme et ses effets était dû à quatre facteurs principaux :
I- La situation de l’épicentre dans la zone peuplée de la ville. A l’époque, Agadir ne disposait pas d’une station sismique, la plus proche était à 350 kilomètres, ce qui avait rendu pratiquement difficile la détermination de l’épicentre du séisme avec exactitude. Cependant, les géologues et les sismologues qui avaient visité les lieux avaient convenu à l’unanimité de déterminer l’épicentre dans la zone qui avait connu une destruction quasi –totale qui s’étendait de la Kasbah d’Agadir Oufella, en passant par le quartier des pêcheurs de Founti, puis le quartier animé de Talborjt jusqu’au bout du village pittoresque d’Yachech. Le brillant sismologue J-P.Rothé avait déterminé le point moyen de la zone «pléistoséiste » à un kilomètre environ au Nord du faubourg d’Yachech considérant que ce point représentait l’épicentre avec une approximation de l’ordre d’un kilomètre. Un autre témoignage vint renforcer cette pondération de la part des experts relative à la proximité de l’épicentre de la mer. Les équipages des navires qui étaient à quelques kilomètres d’Agadir avaient senti des saccades comme si leurs navires avaient heurté des corps solides.
II- L’immensité des dégâts s’explique également par l’emplacement du foyer de séisme presque superficiel localisé par la plupart des études menées sur place de 2 à 3 kilomètres de profondeur. On sait maintenant que plus le foyer est superficiel plus il cause d’énormes dégâts, tant en termes de vies que de biens.
III- La structure géologique de la région : Agadir se situe dans une charnière géologique entre le Haut Atlas et la plaine du Souss, ses sols sont considérés comme mous et vulnérables à la fragilité due à l’érosion et à la fonte des roches. Habituellement, les installations bâties sur des sols mous sont trois fois plus sensibles à la force des séismes que celles construites sur des collines rocheuses.
IV- La nature des constructions et la composition des matières qui y sont utilisés. Si l’on prend en compte la construction de la ville d’Agadir dans une zone connue pour avoir une forte activité sismique, les normes de construction antisismique étaient censées être adoptées. Les spécialistes en déduisent que les zones où les normes de construction antisismique étaient absentes étaient celles qui avaient subi une destruction presque totale tandis que les constructions de la nouvelle ville construite en 1947 avaient pu résister au séisme grâce à l’adoption de certaines normes antisismique sans prétention aucune de la part des bâtisseurs.
Plusieurs témoignages avaient rapporté avoir vu une boule de feu sortir de la mer et s’éteindre au-dessus de la citadelle d’Agadir Oufella, un phénomène pour lequel les spécialistes n’avaient pas trouvé d’explication scientifique. Les phénomènes qui pourraient indiquer un épicentre en mer n’étaient pas observés, comme un raz-de-marée accompagné de hautes vagues ou l’échouement de poissons sur le rivage. En conséquence, la plupart des interprétations avaient attribué le phénomène à des coups de circuit qui avaient suivi la secousse ce qui avait pu surgir à la suite d’un incendie survenu dans une droguerie de la nouvelle ville.
En revanche, il n’y avait pas d’éléments qui prédisaient que le séisme était né d’une activité volcanique, de sorte que le séisme d’Agadir reste un séisme tectonique classique.
La secousse dévastatrice avait provoqué une grande destruction qui anéantit les trois quarts de la ville. Les pourcentages approximatifs montrent le taux de destruction selon les quartiers de la ville : la Kasba 100% ; Yachech 100% ; Founti 100% ; Talborjt 90% ; le quartier administratif 70% ; le front de mer 60% ; la ville nouvelle 50 à 60% ; le quartier industriel 20 à 30 ; Anza 00 à 10 %, en sus de dix villages au nord montagneux de la ville ont été détruits faisant près de 300 morts.
L'opération de sauvetage, une leçon des plus marquantes
Il est difficile dans l’espace réservé à cet article, de relater tous les récits du séisme avec leurs tragédies et leurs « miracles ». Les ouvrages publiés sur la tragédie relatant des témoignages en contiennent déjà assez. Ils ne sont à la fin que des expériences humaines propres à leurs auteurs.
Cependant, la leçon la plus marquante de la catastrophe reste l'opération de sauvetage, qui a été difficile et amère, dans la mesure où certains de ceux qui l'avaient vécue avaient soumis une proposition à l'Assemblée générale des Nations Unies pour créer une organisation internationale de secours destinée à porter secours aux victimes des catastrophes naturelles afin que la tragédie d'Agadir ne se reproduise plus.
Dans les quelques minutes qui avaient suivi la secousse, les autorités locales n'ont pas été en mesure de réagir rapidement, les lignes téléphoniques étant coupées. Le gouverneur d’Agadir Mohamed El Bouaamrani a été isolé dans sa demeure endeuillée par les victimes dans les rangs de sa famille. La caserne militaire de Founti a été endommagée paralysant les capacités des Forces Armées Royales comme celles de la Gendarmerie Royale. Quant aux policiers, la plupart d'entre eux étaient chez eux au moment du sinistre envahis par les décombres.
À sept kilomètres du site, au sud de Bensergao, se trouvait une base militaire française mixte qui comprenait des forces navales et aériennes. C'était l'une des dernières bases françaises à rester au Maroc, comme si elle était destinée à rester pour fournir assistance et soutien aux victimes d'Agadir. Tous les survivants conviennent que la base aéronavale française de Bensergao avait joué un rôle héroïque dans les opérations de sauvetage pendant les premiers instants de la catastrophe et durant les jours qui suivent.
Le rôle décisif de la base militaire française
La secousse a également été ressentie au niveau de cette base militaire. Les dommages étant mineurs, la base avait pu redémarrer l'électricité grâce à ses générateurs de secours. En quelques minutes, ses camions se tenaient sur les décombres pour porter assistance aux sinistrés. Le commandant de la base, Thorett, avait ordonné de préparer les hangars pour recevoir les survivants, de faire fonctionner des fours pour préparer de la nourriture et de mobiliser des médecins et des infirmières pour recevoir les premières vagues de blessés. Il avait aussi coordonné avec le gouverneur de la ville pour créer des patrouilles de marins aidant les policiers marocains restants afin d'assurer la sécurité et de mettre un terme aux pillages qui avaient commencé sous le couvert de l'obscurité. Au dispensaire de la base, les victimes avaient reçu les premiers soins, ses puits ont été la principale source d'eau potable pendant les premiers jours de la catastrophe.
Trois heures plus tard, les premières équipes de secours ont été acheminées de Casablanca, Rabat, Essaouira, Safi et Taroudant.
L'hôpital principal, Mohammed V (anciennement Lyautey), avait subi de graves dommages qui l'avaient rendu inapproprié pour l'accueil des blessés dont le nombre ne cessait d'augmenter, ce qui avait forcé leur transfert à l'hôpital de Taroudant. Mais face à la capacité limitée de ce dernier, ils étaient dirigés par avion vers les hôpitaux de Marrakech, Meknès et Rabat, et surtout à Casablanca dont l'hôpital Ibn Rochd avait abrité la plus grande partie de blessés.
La famille Royale à la rescousse d’Agadir
A l’aube, le Roi Mohammed V accompagné de Son Altesse Royale, la Princesse Lalla Aicha, présidente de l’Entraide nationale, et Abdullah Ibrahim, président de Conseil des ministres, gagnaient la cité dévastée. Sur place, le Monarque, connu pour sa tendresse et son sens humain, sera surpris par l'ampleur des dégâts causés par la catastrophe. Le soir du même jour, il annonça depuis Rabat la désignation de la Princesse Lalla Aicha pour veiller sur la collecte des dons et l’organisation de l’assistance aux sinistrés, et le Prince héritier Moulay El Hassan, chef d'état-major des Forces Armées Royales, pour diriger les opérations de sauvetage.
Le Prince Moulay El Hassan avait installé son camp dans les jardins du Riad Al-Qaid Al-Kasimi dans la ville d'Inezgane, à 12 kilomètres du site du séisme. Un groupe de travail a été mis en place comprenant notamment le Colonel Mohamed Oufkir, membre du Cabinet militaire du Roi, le Colonel Idriss Ben Omar, qui était nommé coordonnateur des efforts de sauvetage, et Dr Mohamed Benhima, secrétaire général du ministère de la Santé, qui a été chargé de coordonner les opérations d'assistance médicale. Paul Clos, ingénieur en chef de la commission régionale des travaux publics était chargé de diriger les opérations de secours. L'équipe comprenait également d'autres techniciens français, notamment Dr Sentucci, expert en épidémiologie.
Le premier jour, les opérations de sauvetage ont été lentes, mais qu'est-ce que pouvaient bien faire les marteaux et les pics devant des tonnes de décombres de différentes compositions et de dureté variable ?
Des ordres ont été donnés aux grandes entreprises de travaux dans les régions voisines pour diriger leurs bulldozers et leurs engins lourds vers Agadir. Depuis Casablanca, les engins de remblayage et de forage ont été dirigés et expédiés par voie terrestre, mais la pénurie de grues à décombres, vitales dans de telles situations, était restée aiguë.
Les équipes de secours comprenaient plus de dix mille membres, pour la plupart issus des forces publiques marocaines, en particulier des Forces Armées Royales, en plus des 1500 soldats de la base aéronavale française, et des marins néerlandais qui étaient en mer ou dans le port au moment de la catastrophe. Le commandement américain avait donné l'ordre aux membres de son armée de l'air, stationnés dans ses bases de Ben Guerir, Nouaceur et Benslimane, de se rendre à Agadir pour contribuer aux opérations de sauvetage.
Le lendemain, des équipes espagnoles s’étaient jointes, et il y avait eu une moindre contribution de l'Italie, en plus d'une contribution significative de la République fédérale d'Allemagne avec du matériel et des équipements médicaux. De nombreux civils s’étaient portés volontaires dans les opérations de sauvetage motivés par le sentiment de solidarité ou la recherche d'un proche ou d'un être cher sous les décombres.
Le ministère de la Marine française avait donné l'ordre à ses troupes proches de l'océan Atlantique de se rendre à Agadir pour participer aux efforts de secours. Ainsi, le croiseur « Colbert » et le porte-avions « Lafayette » s’étaient déplacés de Las Palmas et fournirent une prestation remarquable dans le sauvetage et l'évacuation des blessés ce qui avait contribué sensiblement à atténuer les pertes humaines.
Les équipes de secours avaient travaillé toute la journée. La nuit, le travail de dégagement se poursuivait à la lumière des lampes à arc ou des phares de voitures dans une lutte acharnée contre la montre. Plus le temps passait, moins il y avait d'espoir de trouver des survivants sous les décombres.
Cordon : 3500 soldats autour d’Agadir
Dans la journée du 29 février et les jours suivants, Agadir était sous un soleil de feu, la température variait entre 30 et 41 degrés dans une météo familière à ce genre de catastrophe, ce qui précipitait la décomposition des cadavres. Le troisième jour, mercredi 2 mars, de mauvaises odeurs envahissaient la ville alertant du risque de propagation des épidémies.
Les experts sur les lieux redoutaient la transmission des épidémies par plusieurs voies, y compris les mouches et les rats qui salissaient les cadavres, et les chacals qui entraient dans la ville la nuit en provenance des villages et des forêts voisins, attirés par l'odeur des cadavres. Les risques du choléra et de la peste étaient faibles car aucun précédent n'avait été enregistré dans la ville avant le séisme, mais les épidémiologistes redoutaient plus la propagation de deux épidémies dangereuses : la typhoïde, et surtout le redoutable typhus épidémique.
Pendant ce temps, une partie de la population entrait et sortait des zones de décombres soit pour rechercher des personnes disparues ou piégées sous les débris, soit pour récupérer quelques objets personnels. Entre ces deux catégories s’infiltraient les pilleurs de décombres qui prétendaient se porter volontaires pour porter main aux secours, attendant des occasions de piller les morts.
La présence de ces civils entravait le travail des équipes de secours. C’était pour cette raison, conjuguée à la possibilité d'exposition aux épidémies, que le Prince Moulay El Hassan avait ordonné l’évacuation de tous les habitants, et avait lancé un cordon autour de la ville de 3500 soldats qui empêchaient l'accès à la ville à l'exception des sauveteurs, des professionnels de la santé et des membres des forces publiques.
Le monde solidaire avec Agadir
Au début, des camps aléatoires se formaient dans des parcs et des terres nues. Les rescapés, qui dépassaient plus de 20.000 personnes, ont été logés dans des camps organisés sous la supervision des forces publiques, de l'administration territoriale et du Croissant-Rouge marocain. Ces camps étaient concentrés dans les régions d'Anza, Ait Melloul et Amsernat, tandis que les plus éloignés étaient à 25 kilomètres de la ville.
La tragédie avait déclenché une large vague de solidarité mondiale qui avait permis de fournir toute l'aide nécessaire aux rescapés, y compris de l'argent, des denrées alimentaires, des couvertures, des médicaments et du matériel médical. Des centaines de médecins civils et militaires étaient également arrivés au Maroc pour participer aux opérations d’assistance médicale.
Les médias officiels avaient rapporté l'arrivée de l'aide de la France, de l'Espagne, de l'Italie, de la Suisse, de l'Union soviétique, de la Yougoslavie, des États-Unis d'Amérique, de l'Allemagne fédérale, de la Norvège, du Danemark, de la Chine, de la Turquie, de la République arabe unie, de l'Irak, du Liban, de l'Iran, de la Belgique, des Pays-Bas, de la Guinée, de la Tunisie, de l'Éthiopie, de l'Arabie saoudite, de l'État du Koweït, ainsi que d'autres pays. La radio officielle belge avait pu enregistrer le plus grand geste humanitaire à travers une émission radiophonique dans laquelle 7000 appelants avaient exprimé leur volonté d'accueillir des enfants d'Agadir pendant différentes périodes, et 350 familles belges avaient exprimé leur volonté d'adopter de manière permanente les enfants orphelins du séisme.
Au fil du temps, la sécurité des sauveteurs était devenue une préoccupation majeure. Jeudi 3 mars, après une conférence de presse présidée par le Prince Moulay Hassan, il a été décidé de recourir aux bulldozers pour dégager plus rapidement les corps en décomposition ensevelis sous les ruines. La ville était divisée en deux parties, l'une dans laquelle il n'y avait plus aucun espoir de retrouver des survivants, et l'autre, comme Talborjt, le quartier administratif et la nouvelle ville, où les appels au secours se faisaient encore entendre, il fallait donc prendre soin de traiter les décombres pour ne pas infecter les survivants.
L’épineuse question de l'enterrement des morts
Dès le premier jour, le problème de l'enterrement des morts a été soulevé, celui-ci a même été trop retardé, en raison de la lenteur du processus d'identification des morts et de délivrance des certificats de décès, mission confiée aux agents de l'état civil marocains et aux fonctionnaires consulaires étrangers pour leurs citoyens. Ceci avait conduit à la décomposition des corps, notamment à cause des températures élevées. En raison du nombre croissant de décès, il était nécessaire de recourir à l’inhumation dans des fosses communes bien fermées et aspergées de chlorure de chaux pour prévenir les épidémies.
Il est difficile de donner le nombre réel ou approximatif de victimes. Toutes les sources parlent d'un nombre approximatif de l'ordre de 15.000, dont plus de 2000 étrangers. Certains avancent même le chiffre de 20.000 ou plus, la raison en est que de nombreuses familles avaient enterré leurs morts sans les déclarer. Certaines avaient emporté leurs morts vers leurs villages natals afin de les enterrer chez eux, et un grand nombre de morts inconnus ont été engloutis sous les décombres sans être identifiés et dénombrés, ni même déclarés disparus.
Vendredi 4 mars, une décision sera prise par ordre royal d'arrêter les opérations de recherche en raison de la diminution des chances de retrouver des survivants sous les décombres. Cette décision était régie par la volonté de préserver la vie des sauveteurs qui avaient travaillé les deux derniers jours avec des masques dans une atmosphère où régnait des odeurs désagréables résultant de la décomposition des corps. Mais afin de ne pas interrompre l'espoir des survivants de trouver leurs proches assiégés sous les décombres, il a été annoncé que le sauvetage se poursuivra dans les bâtiments où il y avait espoir de retrouver des survivants.
Avec l’annonce de la suspension des opérations de sauvetage, des informations émanant d'une dépêche de l’agence United Press avaient rapporté que le gouvernement marocain avait demandé à son homologue américain la disposition d’une certaine quantité de napalm. Cette quantité serait répandu sur les ruines et brûlerait les cadavres qui y étaient enfouis ; solution finale pour arrêter toute possibilité de propagation d'épidémies dans de tels cas, mais le gouvernement avait démenti cette information insistant sur le caractère sacré des morts dans les trois religions monothéistes.
La désinfestation des décombres, une nécessité
La désinfestation des décombres était devenue nécessaire pour éviter un désastre sanitaire et environnemental de sorte que des centaines de tonnes de chlorure de chaux ont été pulvérisées sur les décombres, pendant plusieurs jours des camions et des avions parcouraient la ville déversant des tonnes de D.D.T et H.C.H (insecticides agricoles) afin de stériliser les gravats et éliminer les facteurs d'épidémies, après que la ville ait été mise en quarantaine.
Le dimanche 06 mars, le Roi Mohammed V se rendra de nouveau à Agadir accompagné des membres du corps diplomatique accrédités à Rabat. Il s'arrêtera sur les rares endroits où œuvraient les dernières équipes de déblaiement, et visitera les camps affectés pour loger les rescapés. Devant des représentants du corps diplomatique et de la presse internationale, il annoncera au monde la détermination du Maroc de reconstruire la ville martyre avec une phrase célèbre immortalisée par les Marocains par un monument érigé devant l’hôtel de ville avec une écriture koufi exquise dans un bloc de béton armé conçu par l'architecte Claude Verdugo : « Si le destin a décidé la destruction d’Agadir, sa reconstruction dépend de notre foi et de notre volonté ».
Agadir renait de ses cendres
La tragédie d'Agadir avait suscité l'intérêt des géologues et des sismologues, et nombre d'entre eux s’étaient rendus sur place lors de visites de terrain ce qui avait eu un grand impact sur la compréhension de ce qui s'était passé et sur la détermination du sort de certaines parties de la ville. Parmi ce qui était exigé des spécialistes - en plus d'étudier la sismicité de la région – l’obligation de rendre compte de la géographie pour la reconstruction de la ville.
Robert Ambroggi (ingénieur géologue), Ray William Clough (expert en génie sismique et professeur à l'Université de Californie, Brookley), et John Pierre Rothé (professeur à l'Université de Strasbourg et directeur du Bureau central international de séismologie) avaient convenu que la construction devrait être abandonnée dans la zone de destruction quasi-totale au nord-ouest de l'Oued Tildien, en raison de sa forte activité sismique. Pour cela, la zone a été condamnée à être transformée en espaces verts où la construction sera interdite. Quant à la ville nouvelle et au front de mer, ils pouvaient être reconstruits à condition que des systèmes de construction antisismiques soient adoptés.
Quant au nouveau site d'Agadir, les experts avaient recommandé la prudence de se retirer à deux kilomètres au sud du centre des dommages pour commencer les travaux de reconstruction. Etant donné que le tremblement de terre ne frappera pas forcément à nouveau dans le même centre et que le centre évolue constamment dans diverses directions, il était impératif d’adopter les normes antisismiques dans la construction de toute la ville.
Après avoir recueilli les avis des géologues, vint le tour des urbanistes. Le Corbusier, l'urbaniste le plus célèbre du XXe siècle, a été invité, entre autres, à donner ses recommandations sur l’aménagement urbain d'Agadir. Il avait pu discuter avec le Prince héritier Moulay El Hassan à Rabat sans que les deux hommes ne soient parvenus à un accord. Le Corbusier avait une tendance idéaliste, il voulait carte blanche des Marocains pour la réalisation de cette conception comme en France, en Inde, au Japon et dans certains pays d'Amérique du Sud. A l'opposé, le Prince Moulay El Hassan était réaliste, contraint par le budget et les ressources limitées du Maroc.
Lorsque Le Corbusier avait contemplé le site, il trouva à Agadir un lieu idéal pour incarner ses théories sur l'architecture moderne. Soucieux du confort de la population, il proposa la construction d'Agadir verticalement sur le modèle du théâtre romain, pour que chacun profite d’une vue sur les montagnes de l'Atlas à l'arrière et une autre sur la mer côté ouest, tout comme il l'avait réalisé dans sa Cité radieuse à Marseille en France.
Le Roi Mohammed V de nouveau à Agadir
Le 30 juin, quatre mois s’étaient écoulés depuis la catastrophe, le Roi Mohammed V décida une nouvelle fois de se rendre à Agadir pour lancer la grande opération de déblaiement de près d'un million de mètres cubes de débris en vue de préparer le terrain pour la reconstruction.
Pendant ce temps, deux projets se disputaient la tâche de préparer le plan d’aménagement du nouvel Agadir. Un groupe d'ingénieurs marocains et français au service de l’urbanisme au ministère des Travaux publics, et des ingénieurs américains profitant d’un don du gouvernement des États-Unis d'Amérique. Le Roi avait finalement choisi le projet local car il était plus convaincant, réaliste et adapté à la géographie et à la topographie du lieu.
Le plan d’aménagement avait désigné le site de la construction du nouvel Agadir dans la zone située entre oued Tildi et oued Lahawar sur une distance d'environ 1000 hectares, dans l’emplacement qui a été confirmé comme étant moins exposé au risque séismique.
Puis vint l'arsenal juridique pour encadrer le processus de reconstruction. Le Haut-Commissariat à la Reconstruction d'Agadir a été créé le 29 juin 1960, placé sous l'autorité directe du Prince héritier. L’institution a été investie de larges pouvoirs pour superviser et diriger les opérations de reconstruction.
Pour fournir les ressources financières nécessaires à ce processus, un compte a été ouvert au niveau du budget de l'État sous la rubrique « Reconstruction d’Agadir ». Une taxe de solidarité nationale a été imposée et constitutionalisée plus tard dans l’article 18 de la Constitution de 1962 stipulant que « Tous supportent solidairement les charges résultant des calamités nationales ». Pour mobiliser l’assiette foncière, le Dahir du 17 janvier 1961 a été promulgué instituant une procédure particulière d'expropriation des terrains nécessaires à la reconstruction de la ville d'Agadir, processus qui avait permis l'expropriation de 400 hectares de terrain dont les propriétaires ont été indemnisés selon les critères et normes prévus par le Dahir précité.
Parmi les mesures importantes prises par les autorités compétentes figurait le recensement des bâtiments non touchés, les bâtiments à démolir et les bâtiments qui seront conservés où restaurés. Une documentation très complète a été recueillie sur la façon dont les divers bâtiments avaient plus ou moins bien résisté. Cette documentation avait servi de base pour l'établissement de normes techniques pour la construction antisismique à imposer dans la ville et ses environs.
Le Corbusier et Agadir, une histoire sans fin ?
Tout au long de la décennie des années 1960, Agadir a été un grand chantier de construction. Le Corbusier n'avait pas travaillé sur le grand projet comme les Gadiris l'avaient espéré, mais ses étudiants et ses disciples de jeunes architectes avaient appliqué nombre de ses théories sur l'architecture moderne à Agadir.
Lorsque le visiteur se promène dans le quartier administratif et la nouvelle ville, son attention sera attirée par la forte présence de béton brut dans les édifices, souvent sous sa forme apparente et rugueuse, des divisions et des lignes strictes loin de l'esthétique classique qui envisagent la beauté et réalisent l'harmonie entre les éléments du bâtiment. Les édifices ont été construits verticalement dans un style d'architecture fonctionnelle avec un accent sur l'éclairage et la ventilation, en recherchant le confort et la commodité pour les utilisateurs.
Les architectes de la phase de reconstruction avaient réalisé des joyaux architecturaux qui avaient tous honorés l'architecture moderne et s’étaient éloignés du style mauresque dominant l'architecture Marocaine et n'avaient pas cherché à représenter le style architectural marocain dans sa forme artisanale. Agadir était devenue alors une pépinière expérimentale pour l'architecture moderne, qui à l'époque semblait être le choix officiel de l'État en matière de l’urbanisme. Tout cela était apparu dans plusieurs ouvrages, dont la poste centrale, la caserne des pompiers, des écoles et des logements de fonction par Jean-François Zevaco ; l’immeuble A par Louis Rioux et Henri Tastemain ; l'hôtel de ville par Emile Duhon ; la délégation de la sante à Talborjt et le tribunal de sadad (actuel tribunal administratif) par Elie Azagury ; le marché de gros et sa coupole et le marché municipal par Claude Verdugo…
Dissolution du Haut-commissariat à la Reconstruction
A partir de janvier 1972, le Haut-commissariat à la Reconstruction d'Agadir sera dissout, marquant la fin des opérations de reconstruction. Après la charte communale de 1976, l’urbanisme est devenu une responsabilité partagée entre les élus et l'administration territoriale relevant du ministère de l'Intérieur et de l'autorité gouvernementale en charge de l’urbanisme et l’habitat, sans pour autant permettre le maintien du même niveau de réalisation que les premiers bâtisseurs, tâche qui n’a pas été facile dans la plupart des cas.
Au cours de la phase où la ville est ressuscitée, Agadir a connu une croissance rapide. Victime de son succès, l'expansion démographique qu'elle devait atteindre en l'an 2000, elle l’avait franchie peu après la Marche Verte, à la fin des années soixante-dix.
Aujourd'hui la perle précieuse qui ornait le cœur du Souss, que ce soit dans sa forme avant le séisme ou durant les premières années de la phase de la reconstruction, n'est plus qu’un beau souvenir. Quant aux habitants de la ville, ils luttent pour la qualité de vie, tout comme leurs homologues aux différentes métropoles du Maroc, et à chaque nouvelle secousse ou à l'annonce d'un tremblement de terre ici ou ailleurs, les souvenirs du désastre surgissent aussitôt, les cicatrices demeureront à jamais gravées dans la mémoire de la ville.
Quelques minutes avant minuit, le désastre s’était produit et son bruit s’était rapidement propagé partout dans la ville. Les bâtiments s’étaient effondrés et réduits en décombres, une poussière dense s'était levée bloquant au passage toute vision. Seuls les gémissements et les hurlements qui émanaient des décombres brisaient le silence d’une nuit qui marquera à jamais l’histoire d’Agadir.
Le lendemain matin, le Maroc, et avec lui le monde entier, s’était réveillé sur la nouvelle du tremblement de terre qui avait détruit la belle métropole du Souss, un évènement qui avait constitué sans aucun doute la plus grande catastrophe naturelle qui avait frappé le Maroc durant son histoire moderne.
Agadir au centre de la scène internationale
Il est souvent dit qu’Agadir avait failli déclencher la Première Guerre Mondiale, avec trois ans d’avance. Le 1er juillet 1911, l’Allemagne avait envoyé sa canonnière Panter sur les rives de la ville, menaçant de la bombarder si la France ne se retirait pas du Maroc. Une crise mondiale avait failli éclater, si la France n’avait cédé à l'Allemagne l’une de ses colonies en Afrique à savoir le Congo.
Selon des documents secrets espagnols, Hitler avait tenté de convaincre Franco pendant la Seconde Guerre Mondiale pour entrer en guerre aux côtés de l'Allemagne. En échange, cette dernière devrait abandonner toute la zone d'influence de la France vaincue au Maroc, à l'exception de deux villes, qu'Hitler tenait à garder clouées dans la couronne du troisième Reich ; Mogador et Agadir !
Les Français ont été les premiers à valoriser la destination Agadir en la surnomm ant « la Miami Afrique du Nord» par simulation à l'icône des plages de Floride sur la rive ouest opposée de l'océan Atlantique.
Dieu a béni Agadir avec un emplacement stratégique de premier ordre. Située dans une baie nautique au bord de l’océan, elle bénéficie d'un climat semi-aride, doux tout au long de l’année avec une température annuelle n’excédant jamais la moyenne de 18°c, rendant son climat idéal pour un hiver chaud et un été modéré avec une faible humidité et une faible force de vent.
Une population vivant en harmonie
Agadir demeure ensoleillée 300 jours par an, ce qui, en plus de la douceur du climat, permet aux visiteurs de profiter d'une plage qui s'étend sur plus de quatre kilomètres de sable fin et doré, bordés d’eucalyptus, de pins et de tamaris, une caractéristique qui lui avait permis d’être classée deuxième plus belle plage de sable du monde, après celle de Copacabana, à Rio de Janeiro au Brésil.
Après la Seconde Guerre mondiale, la ville d’Agadir s'était développée rapidement grâce, non seulement au tourisme, mais aussi à la richesse de ses côtes aux ressources marines. Son port a été classé comme le deuxième port le plus actif pour la pêche à la sardine au monde, un facteur qui avait contribué à la diffusion des conserveries qui poussaient comme des champignons pour former le noyau d'une industrie agro-alimentaire qui a été renforcée par la mise en conserve de jus de fruits qui bénéficiaient de la qualité des agrumes fournis par les domaines disséminés à 44 kilomètres à l'est de la ville.
Durant les années 50, Agadir atteignit le sommet de l'urbanisation, influencée par sa diversité démographique et culturelle. Elle disposait d'un circuit automobile, on y organisait un tournoi de tennis et une course cycliste, elle vivait des jours pleins de joie et de fêtes. Agadir tenait « la fête de la mer » avec ses activités et ses compétitions nautiques et celle de la sardine, parrainées par les propriétaires des conserveries qui couronnaient la fin de la compagne de pêche. Deux ans avant le séisme, les fêtes de l’orange s’étaient tenues en présence du Prince Moulay El Hassan, l’évènement avait vu l’organisation d’un carnaval et un concours pour choisir Miss Orange !
A la date des faits, vivait à Agadir une population constituée d’une majorité musulmane, suivie de chrétiens européens qui avaient préféré rester après l'indépendance, puis de citoyens juifs. Tous vivaient en harmonie, faisant d'Agadir l'un des rares lieux au monde où les trois religions monothéistes coexistaient en parfaite harmonie, incarnant de façon glorieuse l’esprit de tolérance à son état le plus pur.
Du fait de l'attraction touristique de la station balnéaire et du port de pêche actif, la population d'Agadir avait progressé à une vitesse fulgurante, atteignant, selon le premier recensement officiel de la population et des logements 37.744 personnes. Les estimations parlaient d'un chiffre voisinant 45.000 personnes à la date de la catastrophe.
Sismologie d'une catastrophe
La ville d'Agadir se situe dans une zone de forte activité sismique due à l’influence de la zone sismique alpine, qui s'étend du rocher de Gibraltar à la l’Indonésie. Avant la secousse dévastatrice d'Agadir et au cours du seul XXe siècle, la zone sismique alpine avait connu plus de dix séismes dévastateurs qui ont touché les pays du Portugal ; Algérie ; Italie ; Grèce ; Turquie, Iran et Afghanistan.
Selon les études géologiques, la région d'Agadir est située dans l'un des principaux axes sismiques du Maroc, qui s'étend du sud-ouest au nord-est (d'Agadir en direction d'Oujda).
Les sources historiques n’ont pas rapporté l’exposition de la ville aux séismes destructeurs, sauf ce qui a été consigné par des sources assez imprécises que la ville a été frappée par un tremblement de terre dévastateur en 1731.
Avant la secousse dévastatrice, la population d’Agadir avait ressenti deux secousses prémonitoires ; la première a eu lieu le 23 février 1960 à 12 h 16, et la seconde le 29 février 1960 à 11 h 45, et alors que la première secousse était légère et à peine ressentie, la seconde a déplacé certains meubles et fait chuter d’autres. Les Marocains n'ont pas été très sensibles à la gravité de la situation liée à ces deux secousses. Certains étrangers qui avaient vécu des expériences sismiques en Grèce, en Italie et en Algérie étaient terrifiés, et à ce jour, chaque nouvelle secousse rappelle de mauvais souvenirs aux survivants qui s'attendaient à ce que le pire se produise. En effet, beaucoup d'entre eux dormaient à l'extérieur de leurs maisons comme cela s'était produit durant la secousse de début des années quatre-vingt lorsque le bord de mer a été transformé en camp à ciel ouvert.
Vint alors la secousse principale, à 23h41m14s. Elle dura entre 12 à 14 secondes, les trépidations s’exerçaient à la fois dans le sens horizontal et dans le sens vertical pour s’achever par une espèce de coup de boutoir en direction du sol. Un grondement de tonnerre l’accompagna, prolongé par le fracas des immeubles qui s’écroulaient et se réduisaient en décombres. Un énorme nuage de poussière recouvrait la ville dans une obscurité totale. L'électricité, l'approvisionnement en eau potable, les liaisons téléphoniques ont été tous coupés, la ville avait perdu toute liaison avec le monde extérieur.
La plupart des stations sismiques à travers le monde avaient localisé la secousse déterminée à une magnitude de 5.75 sur l’échelle de Richter, une force qui devait normalement classer la secousse d’Agadir parmi les séismes modérés qui ne devaient généralement pas causer de lourdes pertes en vies humaines et en biens. Cependant, c’est le contraire qui s’était produit avec une destruction massive qui avait placé la secousse d’Agadir parmi les séismes les plus féroces du XX siècle.
Décalage entre la magnitude et l’effet du séisme
Le manque de proportion entre la magnitude du séisme et ses effets était dû à quatre facteurs principaux :
I- La situation de l’épicentre dans la zone peuplée de la ville. A l’époque, Agadir ne disposait pas d’une station sismique, la plus proche était à 350 kilomètres, ce qui avait rendu pratiquement difficile la détermination de l’épicentre du séisme avec exactitude. Cependant, les géologues et les sismologues qui avaient visité les lieux avaient convenu à l’unanimité de déterminer l’épicentre dans la zone qui avait connu une destruction quasi –totale qui s’étendait de la Kasbah d’Agadir Oufella, en passant par le quartier des pêcheurs de Founti, puis le quartier animé de Talborjt jusqu’au bout du village pittoresque d’Yachech. Le brillant sismologue J-P.Rothé avait déterminé le point moyen de la zone «pléistoséiste » à un kilomètre environ au Nord du faubourg d’Yachech considérant que ce point représentait l’épicentre avec une approximation de l’ordre d’un kilomètre. Un autre témoignage vint renforcer cette pondération de la part des experts relative à la proximité de l’épicentre de la mer. Les équipages des navires qui étaient à quelques kilomètres d’Agadir avaient senti des saccades comme si leurs navires avaient heurté des corps solides.
II- L’immensité des dégâts s’explique également par l’emplacement du foyer de séisme presque superficiel localisé par la plupart des études menées sur place de 2 à 3 kilomètres de profondeur. On sait maintenant que plus le foyer est superficiel plus il cause d’énormes dégâts, tant en termes de vies que de biens.
III- La structure géologique de la région : Agadir se situe dans une charnière géologique entre le Haut Atlas et la plaine du Souss, ses sols sont considérés comme mous et vulnérables à la fragilité due à l’érosion et à la fonte des roches. Habituellement, les installations bâties sur des sols mous sont trois fois plus sensibles à la force des séismes que celles construites sur des collines rocheuses.
IV- La nature des constructions et la composition des matières qui y sont utilisés. Si l’on prend en compte la construction de la ville d’Agadir dans une zone connue pour avoir une forte activité sismique, les normes de construction antisismique étaient censées être adoptées. Les spécialistes en déduisent que les zones où les normes de construction antisismique étaient absentes étaient celles qui avaient subi une destruction presque totale tandis que les constructions de la nouvelle ville construite en 1947 avaient pu résister au séisme grâce à l’adoption de certaines normes antisismique sans prétention aucune de la part des bâtisseurs.
Plusieurs témoignages avaient rapporté avoir vu une boule de feu sortir de la mer et s’éteindre au-dessus de la citadelle d’Agadir Oufella, un phénomène pour lequel les spécialistes n’avaient pas trouvé d’explication scientifique. Les phénomènes qui pourraient indiquer un épicentre en mer n’étaient pas observés, comme un raz-de-marée accompagné de hautes vagues ou l’échouement de poissons sur le rivage. En conséquence, la plupart des interprétations avaient attribué le phénomène à des coups de circuit qui avaient suivi la secousse ce qui avait pu surgir à la suite d’un incendie survenu dans une droguerie de la nouvelle ville.
En revanche, il n’y avait pas d’éléments qui prédisaient que le séisme était né d’une activité volcanique, de sorte que le séisme d’Agadir reste un séisme tectonique classique.
La secousse dévastatrice avait provoqué une grande destruction qui anéantit les trois quarts de la ville. Les pourcentages approximatifs montrent le taux de destruction selon les quartiers de la ville : la Kasba 100% ; Yachech 100% ; Founti 100% ; Talborjt 90% ; le quartier administratif 70% ; le front de mer 60% ; la ville nouvelle 50 à 60% ; le quartier industriel 20 à 30 ; Anza 00 à 10 %, en sus de dix villages au nord montagneux de la ville ont été détruits faisant près de 300 morts.
L'opération de sauvetage, une leçon des plus marquantes
Il est difficile dans l’espace réservé à cet article, de relater tous les récits du séisme avec leurs tragédies et leurs « miracles ». Les ouvrages publiés sur la tragédie relatant des témoignages en contiennent déjà assez. Ils ne sont à la fin que des expériences humaines propres à leurs auteurs.
Cependant, la leçon la plus marquante de la catastrophe reste l'opération de sauvetage, qui a été difficile et amère, dans la mesure où certains de ceux qui l'avaient vécue avaient soumis une proposition à l'Assemblée générale des Nations Unies pour créer une organisation internationale de secours destinée à porter secours aux victimes des catastrophes naturelles afin que la tragédie d'Agadir ne se reproduise plus.
Dans les quelques minutes qui avaient suivi la secousse, les autorités locales n'ont pas été en mesure de réagir rapidement, les lignes téléphoniques étant coupées. Le gouverneur d’Agadir Mohamed El Bouaamrani a été isolé dans sa demeure endeuillée par les victimes dans les rangs de sa famille. La caserne militaire de Founti a été endommagée paralysant les capacités des Forces Armées Royales comme celles de la Gendarmerie Royale. Quant aux policiers, la plupart d'entre eux étaient chez eux au moment du sinistre envahis par les décombres.
À sept kilomètres du site, au sud de Bensergao, se trouvait une base militaire française mixte qui comprenait des forces navales et aériennes. C'était l'une des dernières bases françaises à rester au Maroc, comme si elle était destinée à rester pour fournir assistance et soutien aux victimes d'Agadir. Tous les survivants conviennent que la base aéronavale française de Bensergao avait joué un rôle héroïque dans les opérations de sauvetage pendant les premiers instants de la catastrophe et durant les jours qui suivent.
Le rôle décisif de la base militaire française
La secousse a également été ressentie au niveau de cette base militaire. Les dommages étant mineurs, la base avait pu redémarrer l'électricité grâce à ses générateurs de secours. En quelques minutes, ses camions se tenaient sur les décombres pour porter assistance aux sinistrés. Le commandant de la base, Thorett, avait ordonné de préparer les hangars pour recevoir les survivants, de faire fonctionner des fours pour préparer de la nourriture et de mobiliser des médecins et des infirmières pour recevoir les premières vagues de blessés. Il avait aussi coordonné avec le gouverneur de la ville pour créer des patrouilles de marins aidant les policiers marocains restants afin d'assurer la sécurité et de mettre un terme aux pillages qui avaient commencé sous le couvert de l'obscurité. Au dispensaire de la base, les victimes avaient reçu les premiers soins, ses puits ont été la principale source d'eau potable pendant les premiers jours de la catastrophe.
Trois heures plus tard, les premières équipes de secours ont été acheminées de Casablanca, Rabat, Essaouira, Safi et Taroudant.
L'hôpital principal, Mohammed V (anciennement Lyautey), avait subi de graves dommages qui l'avaient rendu inapproprié pour l'accueil des blessés dont le nombre ne cessait d'augmenter, ce qui avait forcé leur transfert à l'hôpital de Taroudant. Mais face à la capacité limitée de ce dernier, ils étaient dirigés par avion vers les hôpitaux de Marrakech, Meknès et Rabat, et surtout à Casablanca dont l'hôpital Ibn Rochd avait abrité la plus grande partie de blessés.
La famille Royale à la rescousse d’Agadir
A l’aube, le Roi Mohammed V accompagné de Son Altesse Royale, la Princesse Lalla Aicha, présidente de l’Entraide nationale, et Abdullah Ibrahim, président de Conseil des ministres, gagnaient la cité dévastée. Sur place, le Monarque, connu pour sa tendresse et son sens humain, sera surpris par l'ampleur des dégâts causés par la catastrophe. Le soir du même jour, il annonça depuis Rabat la désignation de la Princesse Lalla Aicha pour veiller sur la collecte des dons et l’organisation de l’assistance aux sinistrés, et le Prince héritier Moulay El Hassan, chef d'état-major des Forces Armées Royales, pour diriger les opérations de sauvetage.
Le Prince Moulay El Hassan avait installé son camp dans les jardins du Riad Al-Qaid Al-Kasimi dans la ville d'Inezgane, à 12 kilomètres du site du séisme. Un groupe de travail a été mis en place comprenant notamment le Colonel Mohamed Oufkir, membre du Cabinet militaire du Roi, le Colonel Idriss Ben Omar, qui était nommé coordonnateur des efforts de sauvetage, et Dr Mohamed Benhima, secrétaire général du ministère de la Santé, qui a été chargé de coordonner les opérations d'assistance médicale. Paul Clos, ingénieur en chef de la commission régionale des travaux publics était chargé de diriger les opérations de secours. L'équipe comprenait également d'autres techniciens français, notamment Dr Sentucci, expert en épidémiologie.
Le premier jour, les opérations de sauvetage ont été lentes, mais qu'est-ce que pouvaient bien faire les marteaux et les pics devant des tonnes de décombres de différentes compositions et de dureté variable ?
Des ordres ont été donnés aux grandes entreprises de travaux dans les régions voisines pour diriger leurs bulldozers et leurs engins lourds vers Agadir. Depuis Casablanca, les engins de remblayage et de forage ont été dirigés et expédiés par voie terrestre, mais la pénurie de grues à décombres, vitales dans de telles situations, était restée aiguë.
Les équipes de secours comprenaient plus de dix mille membres, pour la plupart issus des forces publiques marocaines, en particulier des Forces Armées Royales, en plus des 1500 soldats de la base aéronavale française, et des marins néerlandais qui étaient en mer ou dans le port au moment de la catastrophe. Le commandement américain avait donné l'ordre aux membres de son armée de l'air, stationnés dans ses bases de Ben Guerir, Nouaceur et Benslimane, de se rendre à Agadir pour contribuer aux opérations de sauvetage.
Le lendemain, des équipes espagnoles s’étaient jointes, et il y avait eu une moindre contribution de l'Italie, en plus d'une contribution significative de la République fédérale d'Allemagne avec du matériel et des équipements médicaux. De nombreux civils s’étaient portés volontaires dans les opérations de sauvetage motivés par le sentiment de solidarité ou la recherche d'un proche ou d'un être cher sous les décombres.
Le ministère de la Marine française avait donné l'ordre à ses troupes proches de l'océan Atlantique de se rendre à Agadir pour participer aux efforts de secours. Ainsi, le croiseur « Colbert » et le porte-avions « Lafayette » s’étaient déplacés de Las Palmas et fournirent une prestation remarquable dans le sauvetage et l'évacuation des blessés ce qui avait contribué sensiblement à atténuer les pertes humaines.
Les équipes de secours avaient travaillé toute la journée. La nuit, le travail de dégagement se poursuivait à la lumière des lampes à arc ou des phares de voitures dans une lutte acharnée contre la montre. Plus le temps passait, moins il y avait d'espoir de trouver des survivants sous les décombres.
Cordon : 3500 soldats autour d’Agadir
Dans la journée du 29 février et les jours suivants, Agadir était sous un soleil de feu, la température variait entre 30 et 41 degrés dans une météo familière à ce genre de catastrophe, ce qui précipitait la décomposition des cadavres. Le troisième jour, mercredi 2 mars, de mauvaises odeurs envahissaient la ville alertant du risque de propagation des épidémies.
Les experts sur les lieux redoutaient la transmission des épidémies par plusieurs voies, y compris les mouches et les rats qui salissaient les cadavres, et les chacals qui entraient dans la ville la nuit en provenance des villages et des forêts voisins, attirés par l'odeur des cadavres. Les risques du choléra et de la peste étaient faibles car aucun précédent n'avait été enregistré dans la ville avant le séisme, mais les épidémiologistes redoutaient plus la propagation de deux épidémies dangereuses : la typhoïde, et surtout le redoutable typhus épidémique.
Pendant ce temps, une partie de la population entrait et sortait des zones de décombres soit pour rechercher des personnes disparues ou piégées sous les débris, soit pour récupérer quelques objets personnels. Entre ces deux catégories s’infiltraient les pilleurs de décombres qui prétendaient se porter volontaires pour porter main aux secours, attendant des occasions de piller les morts.
La présence de ces civils entravait le travail des équipes de secours. C’était pour cette raison, conjuguée à la possibilité d'exposition aux épidémies, que le Prince Moulay El Hassan avait ordonné l’évacuation de tous les habitants, et avait lancé un cordon autour de la ville de 3500 soldats qui empêchaient l'accès à la ville à l'exception des sauveteurs, des professionnels de la santé et des membres des forces publiques.
Le monde solidaire avec Agadir
Au début, des camps aléatoires se formaient dans des parcs et des terres nues. Les rescapés, qui dépassaient plus de 20.000 personnes, ont été logés dans des camps organisés sous la supervision des forces publiques, de l'administration territoriale et du Croissant-Rouge marocain. Ces camps étaient concentrés dans les régions d'Anza, Ait Melloul et Amsernat, tandis que les plus éloignés étaient à 25 kilomètres de la ville.
La tragédie avait déclenché une large vague de solidarité mondiale qui avait permis de fournir toute l'aide nécessaire aux rescapés, y compris de l'argent, des denrées alimentaires, des couvertures, des médicaments et du matériel médical. Des centaines de médecins civils et militaires étaient également arrivés au Maroc pour participer aux opérations d’assistance médicale.
Les médias officiels avaient rapporté l'arrivée de l'aide de la France, de l'Espagne, de l'Italie, de la Suisse, de l'Union soviétique, de la Yougoslavie, des États-Unis d'Amérique, de l'Allemagne fédérale, de la Norvège, du Danemark, de la Chine, de la Turquie, de la République arabe unie, de l'Irak, du Liban, de l'Iran, de la Belgique, des Pays-Bas, de la Guinée, de la Tunisie, de l'Éthiopie, de l'Arabie saoudite, de l'État du Koweït, ainsi que d'autres pays. La radio officielle belge avait pu enregistrer le plus grand geste humanitaire à travers une émission radiophonique dans laquelle 7000 appelants avaient exprimé leur volonté d'accueillir des enfants d'Agadir pendant différentes périodes, et 350 familles belges avaient exprimé leur volonté d'adopter de manière permanente les enfants orphelins du séisme.
Au fil du temps, la sécurité des sauveteurs était devenue une préoccupation majeure. Jeudi 3 mars, après une conférence de presse présidée par le Prince Moulay Hassan, il a été décidé de recourir aux bulldozers pour dégager plus rapidement les corps en décomposition ensevelis sous les ruines. La ville était divisée en deux parties, l'une dans laquelle il n'y avait plus aucun espoir de retrouver des survivants, et l'autre, comme Talborjt, le quartier administratif et la nouvelle ville, où les appels au secours se faisaient encore entendre, il fallait donc prendre soin de traiter les décombres pour ne pas infecter les survivants.
L’épineuse question de l'enterrement des morts
Dès le premier jour, le problème de l'enterrement des morts a été soulevé, celui-ci a même été trop retardé, en raison de la lenteur du processus d'identification des morts et de délivrance des certificats de décès, mission confiée aux agents de l'état civil marocains et aux fonctionnaires consulaires étrangers pour leurs citoyens. Ceci avait conduit à la décomposition des corps, notamment à cause des températures élevées. En raison du nombre croissant de décès, il était nécessaire de recourir à l’inhumation dans des fosses communes bien fermées et aspergées de chlorure de chaux pour prévenir les épidémies.
Il est difficile de donner le nombre réel ou approximatif de victimes. Toutes les sources parlent d'un nombre approximatif de l'ordre de 15.000, dont plus de 2000 étrangers. Certains avancent même le chiffre de 20.000 ou plus, la raison en est que de nombreuses familles avaient enterré leurs morts sans les déclarer. Certaines avaient emporté leurs morts vers leurs villages natals afin de les enterrer chez eux, et un grand nombre de morts inconnus ont été engloutis sous les décombres sans être identifiés et dénombrés, ni même déclarés disparus.
Vendredi 4 mars, une décision sera prise par ordre royal d'arrêter les opérations de recherche en raison de la diminution des chances de retrouver des survivants sous les décombres. Cette décision était régie par la volonté de préserver la vie des sauveteurs qui avaient travaillé les deux derniers jours avec des masques dans une atmosphère où régnait des odeurs désagréables résultant de la décomposition des corps. Mais afin de ne pas interrompre l'espoir des survivants de trouver leurs proches assiégés sous les décombres, il a été annoncé que le sauvetage se poursuivra dans les bâtiments où il y avait espoir de retrouver des survivants.
Avec l’annonce de la suspension des opérations de sauvetage, des informations émanant d'une dépêche de l’agence United Press avaient rapporté que le gouvernement marocain avait demandé à son homologue américain la disposition d’une certaine quantité de napalm. Cette quantité serait répandu sur les ruines et brûlerait les cadavres qui y étaient enfouis ; solution finale pour arrêter toute possibilité de propagation d'épidémies dans de tels cas, mais le gouvernement avait démenti cette information insistant sur le caractère sacré des morts dans les trois religions monothéistes.
La désinfestation des décombres, une nécessité
La désinfestation des décombres était devenue nécessaire pour éviter un désastre sanitaire et environnemental de sorte que des centaines de tonnes de chlorure de chaux ont été pulvérisées sur les décombres, pendant plusieurs jours des camions et des avions parcouraient la ville déversant des tonnes de D.D.T et H.C.H (insecticides agricoles) afin de stériliser les gravats et éliminer les facteurs d'épidémies, après que la ville ait été mise en quarantaine.
Le dimanche 06 mars, le Roi Mohammed V se rendra de nouveau à Agadir accompagné des membres du corps diplomatique accrédités à Rabat. Il s'arrêtera sur les rares endroits où œuvraient les dernières équipes de déblaiement, et visitera les camps affectés pour loger les rescapés. Devant des représentants du corps diplomatique et de la presse internationale, il annoncera au monde la détermination du Maroc de reconstruire la ville martyre avec une phrase célèbre immortalisée par les Marocains par un monument érigé devant l’hôtel de ville avec une écriture koufi exquise dans un bloc de béton armé conçu par l'architecte Claude Verdugo : « Si le destin a décidé la destruction d’Agadir, sa reconstruction dépend de notre foi et de notre volonté ».
Agadir renait de ses cendres
La tragédie d'Agadir avait suscité l'intérêt des géologues et des sismologues, et nombre d'entre eux s’étaient rendus sur place lors de visites de terrain ce qui avait eu un grand impact sur la compréhension de ce qui s'était passé et sur la détermination du sort de certaines parties de la ville. Parmi ce qui était exigé des spécialistes - en plus d'étudier la sismicité de la région – l’obligation de rendre compte de la géographie pour la reconstruction de la ville.
Robert Ambroggi (ingénieur géologue), Ray William Clough (expert en génie sismique et professeur à l'Université de Californie, Brookley), et John Pierre Rothé (professeur à l'Université de Strasbourg et directeur du Bureau central international de séismologie) avaient convenu que la construction devrait être abandonnée dans la zone de destruction quasi-totale au nord-ouest de l'Oued Tildien, en raison de sa forte activité sismique. Pour cela, la zone a été condamnée à être transformée en espaces verts où la construction sera interdite. Quant à la ville nouvelle et au front de mer, ils pouvaient être reconstruits à condition que des systèmes de construction antisismiques soient adoptés.
Quant au nouveau site d'Agadir, les experts avaient recommandé la prudence de se retirer à deux kilomètres au sud du centre des dommages pour commencer les travaux de reconstruction. Etant donné que le tremblement de terre ne frappera pas forcément à nouveau dans le même centre et que le centre évolue constamment dans diverses directions, il était impératif d’adopter les normes antisismiques dans la construction de toute la ville.
Après avoir recueilli les avis des géologues, vint le tour des urbanistes. Le Corbusier, l'urbaniste le plus célèbre du XXe siècle, a été invité, entre autres, à donner ses recommandations sur l’aménagement urbain d'Agadir. Il avait pu discuter avec le Prince héritier Moulay El Hassan à Rabat sans que les deux hommes ne soient parvenus à un accord. Le Corbusier avait une tendance idéaliste, il voulait carte blanche des Marocains pour la réalisation de cette conception comme en France, en Inde, au Japon et dans certains pays d'Amérique du Sud. A l'opposé, le Prince Moulay El Hassan était réaliste, contraint par le budget et les ressources limitées du Maroc.
Lorsque Le Corbusier avait contemplé le site, il trouva à Agadir un lieu idéal pour incarner ses théories sur l'architecture moderne. Soucieux du confort de la population, il proposa la construction d'Agadir verticalement sur le modèle du théâtre romain, pour que chacun profite d’une vue sur les montagnes de l'Atlas à l'arrière et une autre sur la mer côté ouest, tout comme il l'avait réalisé dans sa Cité radieuse à Marseille en France.
Le Roi Mohammed V de nouveau à Agadir
Le 30 juin, quatre mois s’étaient écoulés depuis la catastrophe, le Roi Mohammed V décida une nouvelle fois de se rendre à Agadir pour lancer la grande opération de déblaiement de près d'un million de mètres cubes de débris en vue de préparer le terrain pour la reconstruction.
Pendant ce temps, deux projets se disputaient la tâche de préparer le plan d’aménagement du nouvel Agadir. Un groupe d'ingénieurs marocains et français au service de l’urbanisme au ministère des Travaux publics, et des ingénieurs américains profitant d’un don du gouvernement des États-Unis d'Amérique. Le Roi avait finalement choisi le projet local car il était plus convaincant, réaliste et adapté à la géographie et à la topographie du lieu.
Le plan d’aménagement avait désigné le site de la construction du nouvel Agadir dans la zone située entre oued Tildi et oued Lahawar sur une distance d'environ 1000 hectares, dans l’emplacement qui a été confirmé comme étant moins exposé au risque séismique.
Puis vint l'arsenal juridique pour encadrer le processus de reconstruction. Le Haut-Commissariat à la Reconstruction d'Agadir a été créé le 29 juin 1960, placé sous l'autorité directe du Prince héritier. L’institution a été investie de larges pouvoirs pour superviser et diriger les opérations de reconstruction.
Pour fournir les ressources financières nécessaires à ce processus, un compte a été ouvert au niveau du budget de l'État sous la rubrique « Reconstruction d’Agadir ». Une taxe de solidarité nationale a été imposée et constitutionalisée plus tard dans l’article 18 de la Constitution de 1962 stipulant que « Tous supportent solidairement les charges résultant des calamités nationales ». Pour mobiliser l’assiette foncière, le Dahir du 17 janvier 1961 a été promulgué instituant une procédure particulière d'expropriation des terrains nécessaires à la reconstruction de la ville d'Agadir, processus qui avait permis l'expropriation de 400 hectares de terrain dont les propriétaires ont été indemnisés selon les critères et normes prévus par le Dahir précité.
Parmi les mesures importantes prises par les autorités compétentes figurait le recensement des bâtiments non touchés, les bâtiments à démolir et les bâtiments qui seront conservés où restaurés. Une documentation très complète a été recueillie sur la façon dont les divers bâtiments avaient plus ou moins bien résisté. Cette documentation avait servi de base pour l'établissement de normes techniques pour la construction antisismique à imposer dans la ville et ses environs.
Le Corbusier et Agadir, une histoire sans fin ?
Tout au long de la décennie des années 1960, Agadir a été un grand chantier de construction. Le Corbusier n'avait pas travaillé sur le grand projet comme les Gadiris l'avaient espéré, mais ses étudiants et ses disciples de jeunes architectes avaient appliqué nombre de ses théories sur l'architecture moderne à Agadir.
Lorsque le visiteur se promène dans le quartier administratif et la nouvelle ville, son attention sera attirée par la forte présence de béton brut dans les édifices, souvent sous sa forme apparente et rugueuse, des divisions et des lignes strictes loin de l'esthétique classique qui envisagent la beauté et réalisent l'harmonie entre les éléments du bâtiment. Les édifices ont été construits verticalement dans un style d'architecture fonctionnelle avec un accent sur l'éclairage et la ventilation, en recherchant le confort et la commodité pour les utilisateurs.
Les architectes de la phase de reconstruction avaient réalisé des joyaux architecturaux qui avaient tous honorés l'architecture moderne et s’étaient éloignés du style mauresque dominant l'architecture Marocaine et n'avaient pas cherché à représenter le style architectural marocain dans sa forme artisanale. Agadir était devenue alors une pépinière expérimentale pour l'architecture moderne, qui à l'époque semblait être le choix officiel de l'État en matière de l’urbanisme. Tout cela était apparu dans plusieurs ouvrages, dont la poste centrale, la caserne des pompiers, des écoles et des logements de fonction par Jean-François Zevaco ; l’immeuble A par Louis Rioux et Henri Tastemain ; l'hôtel de ville par Emile Duhon ; la délégation de la sante à Talborjt et le tribunal de sadad (actuel tribunal administratif) par Elie Azagury ; le marché de gros et sa coupole et le marché municipal par Claude Verdugo…
Dissolution du Haut-commissariat à la Reconstruction
A partir de janvier 1972, le Haut-commissariat à la Reconstruction d'Agadir sera dissout, marquant la fin des opérations de reconstruction. Après la charte communale de 1976, l’urbanisme est devenu une responsabilité partagée entre les élus et l'administration territoriale relevant du ministère de l'Intérieur et de l'autorité gouvernementale en charge de l’urbanisme et l’habitat, sans pour autant permettre le maintien du même niveau de réalisation que les premiers bâtisseurs, tâche qui n’a pas été facile dans la plupart des cas.
Au cours de la phase où la ville est ressuscitée, Agadir a connu une croissance rapide. Victime de son succès, l'expansion démographique qu'elle devait atteindre en l'an 2000, elle l’avait franchie peu après la Marche Verte, à la fin des années soixante-dix.
Aujourd'hui la perle précieuse qui ornait le cœur du Souss, que ce soit dans sa forme avant le séisme ou durant les premières années de la phase de la reconstruction, n'est plus qu’un beau souvenir. Quant aux habitants de la ville, ils luttent pour la qualité de vie, tout comme leurs homologues aux différentes métropoles du Maroc, et à chaque nouvelle secousse ou à l'annonce d'un tremblement de terre ici ou ailleurs, les souvenirs du désastre surgissent aussitôt, les cicatrices demeureront à jamais gravées dans la mémoire de la ville.
El Mahdi Choubbou