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Ahmed Balafrej : Père fondateur de la diplomatie marocaine


Rédigé par Amine ATER Dimanche 24 Avril 2022

C’est un héritage considérable qu’a laissé Ahmed Balafrej au Royaume, résistant de la première heure, sherpa du mouvement national, fondateur de la diplomatie marocaine…



Ahmed Balafrej : Père fondateur de la diplomatie marocaine
I l y a trente-deux ans s’éteignait Ahmed Balafrej. Résistant de la première heure, fondateur de la première école marocaine non coloniale bilingue, rédacteur historique du manifeste de l’Indépendance, premier secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, fondateur et premier rédacteur en chef du quotidien Al Alam, négociateur dans l’ombre de l’indépendance, premier chef de la diplomatie et président du Conseil du premier et unique gouvernement intégralement istiqlalien, Balafrej fait incontestablement partie des Pères fondateurs du Maroc moderne post-colonial.

Parcours académique marquant

Descendant des hornacheros musulmans d’Estrémadure qui trouvèrent refuge à Rabat après la Reconquista en 1610, Ahmed Balafrej est né en 1908, dans la médina de Rabat, dans une famille de notables. Un lignage qui lui permettra d’intégrer l’école des notables de Bab Laâlou, avant d’intégrer le Collège musulman de Rabat qui deviendra le lycée Moulay Youssef où il poursuit des études secondaires. Protectorat oblige, il se voit obligé de s’exiler tôt en France pour décrocher son baccalauréat au Lycée Henri-IV de Paris.

Une fois le précieux sésame décroché, il s’établit au Caire en 1927 où il approfondit ses études arabes sur les bancs de l’Université Fouad Ier du Caire, avant de revenir à Paris où il rejoint la Sorbonne pour y décrocher une licence ès lettres et un diplôme de sciences politiques entre 1928 et 1932. Une période charnière pour Balafrej où il construit sa conscience nationale et pose la base de son engagement futur. Balafrej fonde dès 1926 la Société des amis de la vérité à Rabat, un club de débat politique qui fera partie des premières organisations nationalistes du Royaume.

Une année plus tard, il participera à la création à Paris de l’Association des étudiants musulmans nordafricains en France (AEMNAF) avec Mohamed Hassan Ouazzani. Ils y seront rejoints par la suite par d’autres figures emblématiques comme Mohamed El Fassi et Abdelkhalek Torres. A l’image d’un bon nombre de militants pour l’indépendance, l’épisode du Dahir berbère en 1930 représente un point de bascule pour Ahmed Balafrej. Bien qu’établi en France au moment des faits, il profitera justement de cet éloignement pour servir de porte-voix à l’international du mouvement de protestation qui battait son plein au Maroc, notamment dans les mosquées.

Diplomate officieux

En plus de représenter l’une de ses premières actions diplomatiques, cet épisode lui permettra d’entrer en contact avec l’émir Chekib Arsalan, figure emblématique de la Nahda établit en Suisse. Le courant passe tout de suite entre le jeune militant marocain et l’émir druze, qui se lieront d’amitié. Arsalan devient rapidement l’un des principaux soutiens à l’international du mouvement de protestation contre le Dahir berbère et l’un des architectes de l’union entre nationalistes des zones Nord et Sud du Royaume. Balafrej crée dans la foulée, avec Mohamed Lyazidi, la section rbatie du Comité d’action marocain (CAM). Le CAM qui regroupe des jeunes nationalistes urbains sera le noyau du futur mouvement nationaliste marocain.

Il devient secrétaire général du réseau du CAM en février 1937, avant son interdiction par les autorités coloniales quelques mois plus tard. Une réaction du protectorat qui n’empêche pas Balafrej d’organiser, en avril de la même année, le congrès clandestin du « Parti National ». 1937 représente, par ailleurs, l’année où la rupture totale sera consommée entre protectorat et nationalistes. Ces derniers visent dorénavant la fin de l’occupation étrangère et l’indépendance totale du Royaume et abandonnent l’option d’un partage du pouvoir avec les autorités coloniales, notamment suite à l’arrestation et le bannissement de cadres du mouvement, à l’image de l’exil forcé de Allal El Fassi au Gabon durant 9 ans.

Deux années plus tard, le déclenchement de la Seconde guerre mondiale puis l’effondrement de la France devant le Blitzkrieg allemand en 1940 viennent balayer le statu quo et ébranler considérablement l’équilibre des puissances coloniales. Etabli à Tanger durant la Bataille de France, il assiste à l’invasion de la ville sous statut international par le régime franquiste qui profite du chaos en Europe pour compléter le contrôle sur la côte méditerranéenne en juin 1940. Celui qui sera le futur ministre des Affaires étrangères s’oppose très tôt à toute alliance avec le régime nazi.

Quatre ans plus tard, voyant venir le mouvement de décolonisation et la fin de l’ère des empires, Balafrej passe à l’action et rédige le Manifeste de l’indépendance qui sera signé le 11 janvier 1944 par 67 autres leaders nationalistes. Un événement historique qui représente l’acte fondateur du Parti de l’Istiqlal dont Balafrej devient le premier secrétaire général. Soumis dans la foulée au Sultan Mohammed V, le Manifeste entraînera son arrestation par les autorités coloniales, puis son envoi en exil en Corse en mai 1944.

Il sera amnistié à la fin de la guerre et sera autorisé à rentrer au Maroc en juin 1946. Trois mois plus tard, il fonde le quotidien Al Alam, dont il est le premier rédacteur en chef. Une année plus tard, il reprend son bâton de pèlerin, s’installe à Madrid d’où il défend la cause de l’indépendance en menant une campagne diplomatique aux Etats Unis, en Suisse, en France et en Espagne.

L’un de ses principaux faits d’arme reste la mise en place du « Bureau marocain d’Information et de Documentation » à New York. Cette antenne américaine permettra à Balafrej de mettre en oeuvre un intense effort de lobbying pour convaincre Washington de pousser Paris et Madrid à abandonner leur protectorat. L’un des principaux défis qu’a su relever avec brio le diplomate officieux est de convaincre les autorités américaines des capacités d’un pouvoir marocain indépendant à défendre leurs intérêts dans le détroit de Gibraltar, en pleine guerre froide.

A l’indépendance, c’est tout naturellement qu’il devient le premier ministre des Affaires étrangères du Royaume. Fondateur de la diplomatie marocaine, il commence par dissocier le MAE de toute influence du Quai d’Orsay avec la signature de la convention franco-marocaine du 20 mai 1956. Balafrej sera également à la manoeuvre lors des tractations pour la libération de Tarfaya et le retour de Tanger sous souveraineté marocaine.

Le défi de l’indépendance

Il s’attelle par la suite à la création du réseau d’ambassades et de consulats marocains et à intégrer le Royaume dans les grandes organisations internationales (ONU, Ligue des Etats Arabes et Organisation de l’Unité Africaine) en juillet 1956. Deux ans plus tard, il succède à M’barek Bekkaï, en tant que Président du Conseil et dirige le premier et unique gouvernement 100% istiqlalien. Jusqu’à sa démission en décembre 1958, il redouble d’effort pour poser les bases d’une monarchie constitutionnelle au Maroc.

Après un passage à vide, il revient à la tête du MAE en 1962 avant d’être nommé de 1963 à 1972 représentant personnel du Roi. À la suite de l’arrestation de l’un de ses enfants sur ordre du Général Oufkir en 1972, Ahmed Balafrej démissionne de l’ensemble de ses fonctions officielles et se retire de la vie politique, avant de s’éteindre en mai 1990 à Rabat.


Amine ATER



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