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Anguille du Maroc : Une filière aquacole aussi florissante que convoitée


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 21 Septembre 2021

Protégée par la loi, l’anguille marocaine est convoitée par un marché international en croissance. Depuis quelques années, une filière locale s’est structurée pour alimenter légalement et durablement ce marché.



Dans les eaux du Sebou, vit une espèce fascinante qui fait l’objet d’une convoitise internationale. Quelques vidéos qui ont circulé dernièrement sur les réseaux sociaux ont mis en évidence les images de petits poissons allongés et frétillants en soulignant que certains pays asiatiques sont prêts à payer des sommes faramineuses pour pouvoir en importer.

Ces poissons sont des aiguillettes, c’est-à-dire des anguilles juvéniles, à mi-chemin entre la phase d’alevin (civelle) et adulte. S’il n’existe pas au Maroc de recette populaire pour un « tagine d’anguille », il n’en demeure pas moins que la consommation de cette espèce par les Marocains se fait de plus en plus à travers des restaurants gastronomiques ou de sushis. L’exportation internationale (et légale) d’anguilles marocaines est également une activité qui connaît une tendance croissante.

« Nous sommes installés au Maroc dès 2006. Nous avions à l’époque signé un contrat avec le gouvernement marocain pour pouvoir pêcher la civelle pour ensuite en faire l’élevage pour l’export et le repeuplement des rivières », raconte Gérôme Gurruchaga, directeur général de « Noune Maroc ».

Une nouvelle niche économique

L’implantation de la société, affiliée au groupe international Nijvis, a coïncidé avec une décision de l’Union Européenne d’interdire l’importation et l’exportation de l’anguille sur son territoire.

« Suite à l’inscription de l’anguille en annexe 2 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), l’anguille est également devenue une espèce dont le commerce doit être réglementé. C’était d’autant plus nécessaire pour nous les professionnels, car l’espèce fait souvent l’objet de trafics », explique le fondateur de Noune Maroc.

La pêcherie liée à l’anguille dans le territoire marocain est cependant très artisanale comparativement avec d’autres régions dans le monde et notamment à l’Europe. L’absence d’un véritable marché local de l’anguille et sa présence encore importante dans le Sebou ont permis le développement d’une petite industrie nationale dédiée principalement à l’export. « Au Maroc, le quota de pêche de la civelle est de 1500 kg par an, tous professionnels confondus. Noune Maroc a droit à 1200 kg alors qu’une autre petite entreprise a le droit à 300 kg », précise la même source.

Une industrie florissante

« On n’atteint jamais notre quota annuel puisque nous pêchons environ 1000 kg de civelle par an, car notre station est dimensionnée pour cette quantité. Sachant qu’un kilo de civelle représente 3000 alevins d’anguilles, nous prélevons 100 kg de civelle chaque an pour produire environ 300.000 aiguillettes que nous relâchons par la suite en amont des barrages de l’oued Sebou pour contribuer à la conservation de l’espèce », précise Gérôme Gurruchaga.

Le reste de la civelle pêchée par la société fait ensuite l’objet d’un élevage en circuit fermé qui utilise « une technologie qui contrôle 100% la production, et met en oeuvre une maîtrise sanitaire qui évite l’utilisation de pesticides ou antibiotiques ».

Les investissements de la société appuyés par le labeur de près de 220 employés marocains ont permis d’atteindre en 2021 une production annuelle de 500 tonnes d’anguilles destinées principalement à l’export, pour un chiffre d’affaires de 100 millions de dirhams. « Aujourd’hui, on vend des anguilles Made In Morocco, à Séoul, à Tokyo, ou encore à New York. Nous vendons des anguilles adultes et vivantes de 300 à 500 g », confie le professionnel.

Lutte contre le trafic

Il y a quelques années, plusieurs sources avaient rapporté l’existence de filières de trafic international de la civelle implantées au Maroc et qui proposaient jusqu’à 10.000 dirhams pour le kilo de civelle.

« En effet, la civelle vivante est très convoitée dans certains pays asiatiques qui la cherchent pour alimenter leurs stations d’élevage. À Hong-Kong, ce produit peut atteindre jusqu’à 4000 euros le kilo. Il y a trois ou quatre ans, nous avons pu collaborer avec les autorités pour démanteler des réseaux chinois, coréens et espagnols », raconte le PDG de Noune Maroc.

Grâce aux 200 pêcheurs de Noune Maroc déployés sur le terrain de janvier à juin, la société a permis d’identifier des « acheteurs » dont le signalement a été relayé aux autorités.

« Les douanes marocaines étaient également alertées parce que la civelle ne peut sortir que vivante, à travers les aéroports. Les trafiquants asiatiques transportent généralement la civelle en voyageant en première classe, en utilisant des compartiments de valises où sont agencés des sacs remplis d’eau et d’oxygène », explique Gérôme Gurruchaga. Après une période qui a été marquée par le démantèlement de plusieurs réseaux, le professionnel confie que ce genre d’activité a actuellement disparu.

 
Oussama ABAOUSS

Anguilles et barrages
Contrairement aux idées reçues, une partie non-négligeable de grands barrages marocains disposent de passes destinées aux poissons migrateurs comme l’anguille. La civelle n’arrive cependant pas à remonter malgré ces aménagements, principalement à cause des courants trop forts pour des alevins de petite taille. Une anguille adulte peut, pour sa part, faire de véritables prouesses pour remonter le cours d’eau : elle peut sortir hors de l’eau et se mouvoir dans la boue sur plusieurs dizaines de mètres pour contourner un obstacle.
 
Anguille du Maroc et d’ailleurs
L‘anguille qu’on trouve au Maroc est la même que celle d’Europe (Anguilla anguilla). Elle n’a que deux autres « cousines » : l’anguille japonaise (Anguilla japonica) et l’anguille américaine (Anguilla rostrata). L’anguille européenne est une espèce de poisson migrateur « amphihalin » : au cours de sa vie, elle passe par des milieux de salinité différente. Bien qu’encore présente au Maroc, l’anguille fait face à plusieurs menaces : la pollution et la destruction de ses habitats, le trafic et certaines maladies parasitaires comme l’anguillicolose.

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Les scientifiques ont suspecté une migration de l’anguille qui se déroulait sur plusieurs milliers de kilomètres.
Les scientifiques ont suspecté une migration de l’anguille qui se déroulait sur plusieurs milliers de kilomètres.

Ecologie


La mystérieuse épopée migratoire de l’anguille marocaine
 
Certains naturalistes qualifient la migration de l’anguille de plus « impressionnante migration du Règne animal ». Cela est dû au fait que des théories scientifiques avançaient une hypothèse selon laquelle l’anguille effectuait un voyage de plusieurs milliers de kilomètres pour pouvoir se reproduire.

Pendant sa période de reproduction, une anguille marocaine ferait, selon cette théorie, le voyage jusqu’à la mer des Sargasses avant de rebrousser chemin. Les professionnels de l’élevage de l’anguille ont pour leur part un son de cloche différent qui a par ailleurs été étayé par des études réalisées par des scientifiques français en 2010. 600 anguilles femelles avaient alors été équipées de traceurs GPS puis relâchées avant leur migration.

« Cette expérience a confirmé l’hypothèse à laquelle nous avons toujours cru nous les professionnels, à savoir que ces anguilles n’atteignent pas la mer des Sargasses, mais qu’elles se reproduisent au niveau des premières profondeurs du plateau continental, c’est-à-dire à un maximum de 200 km de la côte », précise Gérôme Gurruchaga.

 

Menace


L’anguillicolose, une maladie parasitaire à suivre de très près
 
Une des plus importantes menaces qui pèsent sur la population marocaine d’anguilles est une maladie connue sous le nom d’anguillicolose. Causée par un parasite d’origine asiatique, cette maladie provoque des troubles qui conduisent à une diminution de la capacité de migration de l’anguille vers l’aire de ponte.

Dès les années 90, l’anguillicolose a été détectée en Italie avant de se répandre dans d’autres pays européens. Au Maroc, cette maladie a été diagnostiquée la première fois en 1991. Selon une étude réalisée par Ahmed Yahyaoui, de la Faculté des Sciences de Rabat, l’anguillicolose a depuis rapidement colonisé différents sites au Maroc. Afin de lutter contre ce « fléau », le scientifique estime que les activités liées au repeuplement ou à l’anguilliculture devraient être entreprises seulement à partir des populations d’anguilles indemnes.

Ahmed Yahyaoui recommande également « de renforcer les contrôles parasitaires des anguilles ou d’autres poissons infestés et leurs trafics, destinés soit à l’élevage, soit au repeuplement ». Ces recommandations ont manifestement été prises en considération par les responsables de Noune Maroc qui ont mis en place les mesures sanitaires nécessaires.

« La civelle est indemne parce qu’elle est à un stade où elle n’a pas encore développé d’estomac alors que le parasite se niche justement au niveau de cet organe. Pour les aiguillettes, un dispositif de prévention, de veille et de suivi sanitaire très rigoureux nous permet de nous assurer que les individus sont tous indemnes », rassure Gérôme Gurruchaga, président de Noune Maroc.

 

3 questions à Gérôme Gurruchaga, PDG de Noune Maroc


« La station marocaine est dotée d’une technologie très avancée »

 
Professionnel depuis plus de 30 ans et fondateur de la société Noune Maroc qui s’active depuis plus de 15 ans dans l’élevage et l’export de l’anguille, Gérôme Gurruchaga répond à nos questions.


- Comment se classe la station marocaine de Noune Maroc comparativement à d’autres usines équivalentes dans le monde ?

- À ce jour, Noune Maroc a investi près de 10 millions d’euros pour mettre en place une station de 6000 m² où sont aménagés 120 bassins. Il existe actuellement aux États-Unis et en Europe du Nord quelques élevages du même type qui sont en cours de construction. Cela dit, la station marocaine est dotée d’une technologie très avancée qui en fait une structure unique en son genre dans la région.
 

- Comment contribuez-vous à l’amélioration des connaissances scientifiques sur l’anguille au Maroc ?
 
- Nous participons à la recherche en contribuant au budget qui finance un bureau d’étude que le Maroc a contracté pour faire le suivi scientifique des populations d’anguilles. Chaque aiguillette que nous destinons au repeuplement est par ailleurs marquée de sorte à ce que l’on puisse générer des données sur sa croissance, sa migration en effectuant des pêcheries spécialement destinées à ce genre de suivi. À noter que le groupe Najvis auquel appartient Noune Maroc dispose d’un laboratoire en Hollande où les compétences d’une trentaine de scientifiques du monde entier sont mises à contribution pour comprendre et élucider les mystères scientifiques de l’anguille. Notre volonté a toujours été de contribuer activement à la sauvegarde et à l’étude de cette espèce.

 
- 15 ans après votre implantation au Maroc, quel bilan faites-vous de votre expérience ?

- Sincèrement, le bilan est très positif. Nous sommes très contents d’être au Maroc parce que c’est un pays qui nous a très bien accueillis et où nous avons pu développer beaucoup de synergies et de solutions innovantes.

 
Recueillis par O. A.

 








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