- Quel regard portez-vous sur l’état des lieux des entreprises sociales au Maroc aujourd’hui ?
- L’entreprise sociale au Maroc souffre d’un défaut de caractérisation. Elle est souvent assimilée à certains statuts juridiques de l’économie sociale et solidaire comme les coopératives et les associations. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que l’entrepreneuriat social est une forme organisationnelle hybride.
Cette hybridité se traduit au niveau de son modèle d’affaires (business model) qui véhicule une double mission économique et sociale. Dès lors, la forme juridique n’est qu’un « habillage » qu’on choisit parmi les statuts existants en fonction de sa capacité à « protéger » et à encadrer la singularité de ce modèle d’affaires.
Malheureusement, dans le contexte marocain, les choix en matière de cadres juridiques de l’entrepreneuriat, notamment social, sont limités. Nous avons, ainsi, les formes SARLAU et autoentrepreneur pour l’entrepreneuriat social de type individuel et les formes SARL et coopérative pour l’entrepreneuriat social de type collectif.
- L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) connaît un développement remarquable au Maroc, est-ce qu’il y a un cadre législatif pour l’encadrer ?
- L’Économie Sociale et Solidaire est classiquement identifiée par ses composantes organisationnelles : coopératives, associations et mutuelles, ainsi que par ses principes et valeurs prônant la participation et la solidarité. De nombreuses pratiques et initiatives pouvant être assimilées à l’ESS sont ancrées dans la culture marocaine. Néanmoins, c’est avec l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) que l’ESS a pris vraiment de l’élan.
En effet, l’INDH voyait dans les coopératives un espace prometteur d’insertion socio-économique des populations défavorisées. Certes, cela a contribué à la visibilité de l’ESS, mais en même temps a contribué à faire valoir une représentation de l’ESS comme une « Économie de la misère ».
Si, aujourd’hui, le Maroc dispose de cadres juridiques spécifiques encadrant le fonctionnement de chacune des organisations traditionnelles de l’ESS, il existe un grand besoin pour une loi-cadre spéciale pour l’ESS. Un premier projet de loi a vu le jour en 2016, à l’initiative du ministère de l’Artisanat et de l’ESS de l’époque. Ce projet de loi est en cours d’actualisation avec le concours de l’Agence Française de Développement. Nous espérons que, cette fois-ci, il suivra le processus de validation jusqu’au bout.
- Quelle est la responsabilité sociale des entreprises marocaines ?
- Pour toutes les entreprises, aussi bien privées que publiques, il est important aujourd’hui d’afficher un engagement sociétal, vis-à-vis de leurs collaborateurs, de leur communauté, et/ou de leur environnement de manière plus large. Cela relève en quelque sorte du « politiquement correct », et ce, depuis le début des années 2000. Les entreprises marocaines, particulièrement celles de grande taille, ont développé des pratiques variées dans ce sens. La Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) a créé un « label RSE ».
Ce label, dont la validité est de trois ans, est octroyé à la suite d’une évaluation des pratiques des entreprises dans les neuf domaines d’action constituant la Charte de responsabilité sociétale de la CGEM : les droits de l’Homme ; les relations et conditions de travail ; l’environnement ; la prévention de la corruption ; la saine concurrence ; la gouvernance de l’entreprise; les intérêts des clients et des consommateurs ; les questions relatives aux fournisseurs et sous-traitants ; l’engagement envers la communauté en conformité avec les objectifs universels RSE.
Globalement, dans le contexte marocain, on note une vraie conscientisation des entreprises par rapport aux responsabilités qu’elles ont vis-à-vis de la société, en général, et des salariés, en particulier.
- Le Centre Marocain des Études et des Recherches sur l’Entreprise Sociale (CMERES) a plusieurs axes d’intervention allant de la recherche jusqu’à l’incubation, quels effets sont escomptés ?
- Le CMERES véhicule une vision assez singulière sur le changement. Pour nous, le changement s’entreprend pro-activement. L’entrepreneuriat peut offrir des solutions à de nombreuses problématiques sociales. Notre logique d’intervention est holistique et systémique. La recherche- action nous permet d’appréhender les phénomènes dans leur milieu naturel, nous permettant à la fois de qualifier l’existant et d’en faire la restitution.
Ce type de recherche est nécessaire pour mener des plaidoyers construits sur des bases scientifiques et pour bien comprendre les besoins de nos différentes cibles, que nous accompagnons tout au long de leur processus entrepreneurial dans les phases de pré-création et de post-création en déployant une approche centrée sur les capabilités.
- Comment renforcer l’autonomisation des jeunes en matière économique grâce à l’entrepreneuriat social ?
- Quand on parle d’entrepreneuriat social, on est d’abord en présence d’entrepreneuriat, donc de création de valeur ajoutée économique. Certes, la logique de lucrativité limitée prévaut à la place de la profitabilité outrancière, pour permettre à l’entreprise de servir durablement la mission sociale. Pour un (une) jeune, se lancer dans une aventure entrepreneuriale de ce type permettra à la fois d’assurer sa propre insertion économique et celles des autres jeunes qu’il (elle) sera amené (e) à embaucher.
- Concernant les programmes de soutien à l’entrepreneuriat des jeunes comme Intelaka, est-ce qu’il faut les orienter également vers les entreprises sociales ?
- Aujourd’hui, dans l’écosystème entrepreneurial, il existe de nombreux programmes dédiés à l’accompagnement et au financement des jeunes entrepreneurs et porteurs de projet (Intelaka, INDH 3…). Il n’existe pas de traitement de faveur, ni de discrimination visà- vis de l’entreprise sociale. Il suffit pour un jeune de prouver que son entreprise (ou projet) est viable. L’innovation est aussi une dimension qui est bien recherchée dans ces programmes. Cependant, le financement offert dans le cadre de ces programmes est souvent plafonné. Il peut suffire à lancer un projet mais pas en changer l’échelle.
- Quelles sont les mesures à prendre pour encourager l’entreprise sociale ?
- Il y a encore beaucoup de contraintes à lever afin de permettre le développement de l’entreprise sociale. Une première mesure importante serait de créer un (ou des) statut (s) juridique (s) adapté (s) à la singularité de la mission de ce type d’entreprise. Une autre mesure consisterait à développer, tout en l’encadrant bien comme il faut, un écosystème d’accompagnement et de financement propre à l’entrepreneuriat social.
En considérant, bien entendu, toutes les phases de développement de l’entreprise ; de l’amorçage au changement d’échelle. Enfin, une mesure non moins importante consiste à corriger (via la sensibilisation et l’éducation) les représentations dominantes que les gens ont de ce type d’entrepreneuriat, le considérant comme un entrepreneuriat de nécessité dont la viabilité n’est pas acquise.
- L’entreprise sociale au Maroc souffre d’un défaut de caractérisation. Elle est souvent assimilée à certains statuts juridiques de l’économie sociale et solidaire comme les coopératives et les associations. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que l’entrepreneuriat social est une forme organisationnelle hybride.
Cette hybridité se traduit au niveau de son modèle d’affaires (business model) qui véhicule une double mission économique et sociale. Dès lors, la forme juridique n’est qu’un « habillage » qu’on choisit parmi les statuts existants en fonction de sa capacité à « protéger » et à encadrer la singularité de ce modèle d’affaires.
Malheureusement, dans le contexte marocain, les choix en matière de cadres juridiques de l’entrepreneuriat, notamment social, sont limités. Nous avons, ainsi, les formes SARLAU et autoentrepreneur pour l’entrepreneuriat social de type individuel et les formes SARL et coopérative pour l’entrepreneuriat social de type collectif.
- L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) connaît un développement remarquable au Maroc, est-ce qu’il y a un cadre législatif pour l’encadrer ?
- L’Économie Sociale et Solidaire est classiquement identifiée par ses composantes organisationnelles : coopératives, associations et mutuelles, ainsi que par ses principes et valeurs prônant la participation et la solidarité. De nombreuses pratiques et initiatives pouvant être assimilées à l’ESS sont ancrées dans la culture marocaine. Néanmoins, c’est avec l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) que l’ESS a pris vraiment de l’élan.
En effet, l’INDH voyait dans les coopératives un espace prometteur d’insertion socio-économique des populations défavorisées. Certes, cela a contribué à la visibilité de l’ESS, mais en même temps a contribué à faire valoir une représentation de l’ESS comme une « Économie de la misère ».
Si, aujourd’hui, le Maroc dispose de cadres juridiques spécifiques encadrant le fonctionnement de chacune des organisations traditionnelles de l’ESS, il existe un grand besoin pour une loi-cadre spéciale pour l’ESS. Un premier projet de loi a vu le jour en 2016, à l’initiative du ministère de l’Artisanat et de l’ESS de l’époque. Ce projet de loi est en cours d’actualisation avec le concours de l’Agence Française de Développement. Nous espérons que, cette fois-ci, il suivra le processus de validation jusqu’au bout.
- Quelle est la responsabilité sociale des entreprises marocaines ?
- Pour toutes les entreprises, aussi bien privées que publiques, il est important aujourd’hui d’afficher un engagement sociétal, vis-à-vis de leurs collaborateurs, de leur communauté, et/ou de leur environnement de manière plus large. Cela relève en quelque sorte du « politiquement correct », et ce, depuis le début des années 2000. Les entreprises marocaines, particulièrement celles de grande taille, ont développé des pratiques variées dans ce sens. La Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) a créé un « label RSE ».
Ce label, dont la validité est de trois ans, est octroyé à la suite d’une évaluation des pratiques des entreprises dans les neuf domaines d’action constituant la Charte de responsabilité sociétale de la CGEM : les droits de l’Homme ; les relations et conditions de travail ; l’environnement ; la prévention de la corruption ; la saine concurrence ; la gouvernance de l’entreprise; les intérêts des clients et des consommateurs ; les questions relatives aux fournisseurs et sous-traitants ; l’engagement envers la communauté en conformité avec les objectifs universels RSE.
Globalement, dans le contexte marocain, on note une vraie conscientisation des entreprises par rapport aux responsabilités qu’elles ont vis-à-vis de la société, en général, et des salariés, en particulier.
- Le Centre Marocain des Études et des Recherches sur l’Entreprise Sociale (CMERES) a plusieurs axes d’intervention allant de la recherche jusqu’à l’incubation, quels effets sont escomptés ?
- Le CMERES véhicule une vision assez singulière sur le changement. Pour nous, le changement s’entreprend pro-activement. L’entrepreneuriat peut offrir des solutions à de nombreuses problématiques sociales. Notre logique d’intervention est holistique et systémique. La recherche- action nous permet d’appréhender les phénomènes dans leur milieu naturel, nous permettant à la fois de qualifier l’existant et d’en faire la restitution.
Ce type de recherche est nécessaire pour mener des plaidoyers construits sur des bases scientifiques et pour bien comprendre les besoins de nos différentes cibles, que nous accompagnons tout au long de leur processus entrepreneurial dans les phases de pré-création et de post-création en déployant une approche centrée sur les capabilités.
- Comment renforcer l’autonomisation des jeunes en matière économique grâce à l’entrepreneuriat social ?
- Quand on parle d’entrepreneuriat social, on est d’abord en présence d’entrepreneuriat, donc de création de valeur ajoutée économique. Certes, la logique de lucrativité limitée prévaut à la place de la profitabilité outrancière, pour permettre à l’entreprise de servir durablement la mission sociale. Pour un (une) jeune, se lancer dans une aventure entrepreneuriale de ce type permettra à la fois d’assurer sa propre insertion économique et celles des autres jeunes qu’il (elle) sera amené (e) à embaucher.
- Concernant les programmes de soutien à l’entrepreneuriat des jeunes comme Intelaka, est-ce qu’il faut les orienter également vers les entreprises sociales ?
- Aujourd’hui, dans l’écosystème entrepreneurial, il existe de nombreux programmes dédiés à l’accompagnement et au financement des jeunes entrepreneurs et porteurs de projet (Intelaka, INDH 3…). Il n’existe pas de traitement de faveur, ni de discrimination visà- vis de l’entreprise sociale. Il suffit pour un jeune de prouver que son entreprise (ou projet) est viable. L’innovation est aussi une dimension qui est bien recherchée dans ces programmes. Cependant, le financement offert dans le cadre de ces programmes est souvent plafonné. Il peut suffire à lancer un projet mais pas en changer l’échelle.
- Quelles sont les mesures à prendre pour encourager l’entreprise sociale ?
- Il y a encore beaucoup de contraintes à lever afin de permettre le développement de l’entreprise sociale. Une première mesure importante serait de créer un (ou des) statut (s) juridique (s) adapté (s) à la singularité de la mission de ce type d’entreprise. Une autre mesure consisterait à développer, tout en l’encadrant bien comme il faut, un écosystème d’accompagnement et de financement propre à l’entrepreneuriat social.
En considérant, bien entendu, toutes les phases de développement de l’entreprise ; de l’amorçage au changement d’échelle. Enfin, une mesure non moins importante consiste à corriger (via la sensibilisation et l’éducation) les représentations dominantes que les gens ont de ce type d’entrepreneuriat, le considérant comme un entrepreneuriat de nécessité dont la viabilité n’est pas acquise.
Recueillis par Hiba CHAKER
Portrait
Diani, une professeur-chercheur plaidant pour l’ESS
Asmae Diani est professeure de management et d’entrepreneuriat à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et chercheure associée à l’Institut de Recherche en Gestion (Université Paris Est). Elle est présidente co-fondatrice du Centre Marocain des Études et des Recherches sur l’Entreprise Sociale (www.cmeres.org).
Le CMERES s’intéresse à toutes les problématiques permettant de faire avancer les débats sur la caractérisation du champ de l’entrepreneuriat social au Maroc, d’examiner dans quelle mesure on peut l’étendre à d’autres structures que celles de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) dont il porte la marque de naissance, de s’interroger sur sa capacité à conserver sa spécificité tout en s’insérant dans l’économie de marché et d’étudier dans quelle mesure la logique de maximisation de profit est compatible avec la dimension sociale de l’entreprise.
Désirant de faire évoluer autant les pratiques des acteurs sur le terrain que les réflexions théoriques animant le champ de l’entrepreneuriat social, le centre de Diani opte pour la recherche-action afin de conduire ses projets de recherche.
Le CMERES s’intéresse à toutes les problématiques permettant de faire avancer les débats sur la caractérisation du champ de l’entrepreneuriat social au Maroc, d’examiner dans quelle mesure on peut l’étendre à d’autres structures que celles de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) dont il porte la marque de naissance, de s’interroger sur sa capacité à conserver sa spécificité tout en s’insérant dans l’économie de marché et d’étudier dans quelle mesure la logique de maximisation de profit est compatible avec la dimension sociale de l’entreprise.
Désirant de faire évoluer autant les pratiques des acteurs sur le terrain que les réflexions théoriques animant le champ de l’entrepreneuriat social, le centre de Diani opte pour la recherche-action afin de conduire ses projets de recherche.