Le Maroc, en tant que partenaire clé dans la région, s’inscrit dans les négociations en cours pour un accord de libre-échange avec l’EAEU, aux côtés d’autres pays, tels que l’Indonésie, les Émirats Arabes Unis et la Tunisie. «Une option à considérer sérieusement», souffle Abdellah Elamri, analyste de risques géopolitiques, notant qu’avec les perturbations que connaissent les relations maroco-européennes, «l'EAEU pourrait devenir un marché alternatif ou complémentaire aux marchés traditionnels, ce qui réduirait la dépendance vis-à-vis de certains partenaires, dont les exportations déstabilisent la balance commerciale du Royaume».
Les fondements d’un tel partenariat sont bien établis, voire solides, si l’on se réfère aux bilans des échanges entre le Maroc et les pays de l’Union eurasienne. Avec Moscou, le rapprochement est palpable, surtout depuis la première année de la crise du Covid-19, où les échanges commerciaux ont connu un rebond de 42%, atteignant 1,6 milliard de dollars. La guerre en Ukraine, avec son lot de tensions géopolitiques, a également été une opportunité pour Rabat, qui s’est transformé en une sorte de hub d’hydrocarbures, pour le pétrole et le gaz en provenance de Russie. Il en va de même pour les échanges agricoles, puisque le Royaume s’est hissé au rang de deuxième plus grand importateur de céréales et légumineuses russes, avec un volume d’environ 766.000 tonnes, contre seulement 209.000 tonnes l’année précédente. A cela s’ajoute le prolongement de l’accord de pêche comprenant les zones sahariennes, au lendemain du verdict de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) portant annulation des accords de pêche et des accords agricoles entre le Maroc et l’Union Européenne (UE). Un signal clair témoignant du degré d’engagement de Moscou envers le partenariat avec Rabat. Outre la Russie, le Maroc est aussi le premier partenaire commercial africain pour la Biélorussie, qui aspire à s’imposer dans le très concurrentiel marché africain. Il en va de même pour le Kazakhstan, avec qui les échanges s’intensifient, surtout depuis 2023, principalement grâce au commerce de souffre, de charbon, de textile et de produits agricoles et halieutiques.
Pour le Maroc, les perspectives sont d’envergure, surtout sur le plan énergétique, avec une Russie dont la production de pétrole brut dépasse les 10 millions de barils par jour (mb/j) et 640 milliards de mètres cubes (bcm) de gaz naturel. Le charbon, qui représente près de 70% du mix énergétique marocain et qui relève exclusivement de l’import, fait également partie des éléments incitatifs à un accord sans barrières douanières. Le charbon russe, à lui seul, représenterait environ 60% de la consommation nationale, principalement tournée vers l’alimentation des centrales électriques de Jorf Lasfar, qui produisent la moitié des besoins électriques du Royaume. Si les exportations russes en charbon connaissent certaines perturbations durant cette dernière année, le Kazakhstan, avec une production de 110 millions de tonnes de charbon par an, peut réduire les pressions des cours internationaux sur l’économie nationale.
Cela dit, un éventuel ALE entre les deux parties pourrait offrir un potentiel considérable sur le marché des engrais, grâce à la complémentarité des secteurs agricoles et industriels des deux régions. Le Maroc, en tant que premier exportateur mondial de phosphates, produit environ 40 millions de tonnes de phosphates par an et constitue une source clé de fertilisants phosphatés. L'EAEU, principalement la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, est un acteur majeur dans la production d'engrais à base d'azote, de potasse et de phosphates, avec des exportations annuelles d'environ 10 à 12 millions de tonnes d'engrais azotés, 5 à 6 millions de tonnes de phosphates et 2 à 3 millions de tonnes de potasse. L’économie marocaine, principalement le tissu économique, pourrait bénéficier de tarifs douaniers réduits ou d'une meilleure compétitivité sur les marchés de l'EAEU, pour booster en premier degré les exportations des produits agricoles à forte valeur ajoutée, tels que les agrumes, les tomates, ainsi que des produits halieutiques. La prudence reste de mise, alerte Abdellah Elamri, du fait que le bloc euro-asiatique peut se révéler très concurrentiel dans certains secteurs, notamment les industries chimiques. La dimension politique requiert aussi une longue méditation, du moment qu’un partenariat avancé avec l’Union dominée par la Russie serait vu d’un mauvais œil par les partenaires traditionnels du Maroc, notamment les Etats-Unis.
Peu importe le choix qui sera pris par Rabat, tout nouvel ALE marocain devrait incorporer des dispositions favorisant la fluidité et l'expansion des chaînes de valeur entre les différentes parties, ainsi que leur extension vers des acteurs tiers, notamment en Afrique. Une attention particulière devrait également être portée aux règles liées à l’investissement, la fiscalité, le transport, la douane, les normes, afin que le Maroc puisse tirer pleinement profit de ces accords et de leurs retombées en matière d’investissements.
3 questions à Abdellah Elamri, analyste de risques géopolitiques : « Le Maroc doit inscrire toute action à vocation économique dans une perspective intra-africaine »
- Le Maroc est déficitaire dans la majorité de ses ALE, pourtant, il insiste sur leur maintien. Pourquoi ?
- Le Royaume est en effet déficitaire dans la majorité des ses Accords de Libre-Echange, mais les dividendes des ALE vont au-delà de l’équilibre de la balance commerciale. Les bénéfices peuvent comprendre une dynamique d'investissement et d’intégration dans des chaînes de valeur mondiales qui se traduit par une augmentation de la compétitivité et de l’industrialisation du pays à long terme. L’exemple de la France est saillant, qui, grâce auxdits accords, a fait du Maroc une destination prioritaire de son savoir-faire automobile. Aujourd’hui, le Maroc est le plus grand hub automobile en Afrique, avec des exportations qui ont dépassé les 150 milliards de DH en 2023 et un potentiel de les multiplier par 5 dans les trois prochaines années. Et c’est aussi grâce au transfert du savoir-faire, via les IDE, que l’industrie nationale a pu atteindre un taux d’intégration de 69 %. Même chose pour les Etats-Unis, dont les bénéfices sont visibles dans les IDE, mais aussi et surtout dans l’appui à la défense, sans parler du soutien politique constant dans les instances internationales.
- Dans cette perspective, quels sont les risques géopolitiques et économiques d’un éventuel ALE avec l’EAEU ?
- Un rapprochement avec l'EAEU est un rapprochement explicite avec la Russie qui est engagée dans une série de turbulences avec les pays de l'OTAN et les États-Unis. Ces derniers pourraient voir d'un mauvais œil cette alliance, notamment en raison des sanctions imposées à Moscou suite à la guerre en Ukraine. Une telle mesure peut également mettre en péril l’image du Maroc au niveau régional, puisqu’il pourrait être perçu comme un déplacement de priorité géopolitique. Rabat, pleinement engagé dans la façade Atlantique, doit donc inscrire toute action à vocation économique dans une perspective intra-africaine.
- Les accords avec certains pays portent, en revanche, atteinte à certains secteurs, comme ce fut le cas du textile avec la Turquie. Comment l’Etat peut-il garantir de bonnes conditions de concurrence pour les opérateurs locaux ?
- En effet, les risques sur le tissu économique sont grands, surtout que l’ALE concerne un groupement économique et non pas un pays spécifique. L’exemple de la Turquie est marquant, puisqu’avant la révision des termes, les importations des produits turcs ont augmenté de 175% en moins de cinq ans. Avec les pays de l'EAEU, ça pourrait concerner les industries chimique, pharmaceutique, plastique, sans oublier les engrais. Dans ce sens, l'État peut prévoir des mesures transitoires pour les opérateurs dans les secteurs à haut risque, un peu comme ce qui a été fait par le gouvernement turc. Au lieu d’opter pour les barrières douanières, le Maroc peut opter pour l’accompagnement des entreprises locales, surtout les TPME, puisqu’elles constituent l’essentielle de notre tissu économique.
HCP : Perspectives mitigées
Commerce extérieur : Urgence de diversifier les partenaires
Les importations de biens ont atteint 689,2 MMDH, en hausse de 5,7% (+37,5 MMDH) par rapport à l’année précédente. Cette augmentation est principalement tirée par plusieurs segments. Les produits finis d'équipement ont enregistré une progression de 12,1%, soutenue par une forte demande en voitures utilitaires (+36,3%), appareils électriques (+14,6%) et machines industrielles. Les importations de produits finis de consommation ont également augmenté de 8,8%, atteignant 159 milliards de dirhams, grâce à la hausse des achats de pièces automobiles (+9,4%), de voitures de tourisme (+8,9%) et de produits pharmaceutiques (+15,4%). Les importations de demi-produits ont progressé de 7,9%, totalisant 149 milliards de dirhams. En revanche, la facture énergétique a connu une baisse de 5,9%, offrant un léger répit dans le contexte global des importations.
Du côté des exportations, le Maroc a totalisé 413,4 MMDH, soit une hausse de 5,2% (+20,5 MMDH) par rapport à 2023. Le secteur automobile demeure le principal contributeur, avec une progression de 6,7% (+9 milliards de dirhams), atteignant 145 milliards de dirhams. Cette performance est expliquée par l'augmentation des ventes de câblage et de véhicules construits au Maroc. Le secteur des phosphates et de ses dérivés a également connu une croissance significative de 9,1% (+6,2 milliards de dirhams), atteignant 75 milliards de dirhams, grâce à la hausse des exportations d'engrais naturels et chimiques, de phosphates bruts et d'acide phosphorique. L’industrie aéronautique poursuit son essor avec une hausse de 16,9% (+3,5 milliards de dirhams), atteignant 24 milliards de dirhams. En revanche, le secteur textile et cuir a connu une légère progression de 0,1%, avec des exportations atteignant 43 milliards de dirhams, bien que freinées par une baisse des ventes de chaussures.