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Réforme de la Santé : La nécessaire refonte d’un système à bout de souffle


Rédigé par Anass MACHLOUKH Lundi 25 Avril 2022

Au moment où le gouvernement se penche sur la réforme du système de Santé, l’hôpital public, à bout de souffle, demeure l’une des questions inextricables. Le secteur public demeure, et de loin, surclassé par le privé. Détails.



Tout le monde s’accorde à dire que sans un système de Santé efficient, la généralisation de la couverture sociale serait vouée à l’échec. D’autant qu’avec les vingt-deux millions de nouveaux adhérents qui auront bénéficié de l’AMO, les hôpitaux publics, par faute de sous-investissement dans le passé, auront du mal répondre aux nouveaux besoins. La solution qui fait l’unanimité chez les professionnels de la Santé : «une réforme radicale du système». Une voie que le gouvernement s’apprête à prendre en lançant une réforme structurelle, dont l’objectif serait de remédier aux carences, en se pendant non seulement sur l’amélioration des infrastructures et des conditions des ressources humaines, mais également en boostant les investissements dédiés au secteur.

Déficit de médecins, sous-financement, disparités régionales et cafouillage dans le parcours de soins…le diagnostic est établi depuis plusieurs mois par les différents rapports du ministère de tutelle, de la CSMD et des différentes instances spécialisées. L’heure maintenant est donc aux grands choix et aux décisions cruciales.

Hôpital public à la hauteur des enjeux ?

L’un des grands défis auxquels la réforme fait face est de réduire l’écart entre le secteur public et le secteur privé, car le fossé les séparant s’est tellement creusé durant les dernières décennies que l’on parle désormais d’une privatisation de la Santé. Une appellation chère aux pourfendeurs de l’état actuel de la Santé publique. L’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES) et le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) qui a publié son rapport vendredi, se sont penchés sur cette question. Les chiffres annoncés montrent à quel point nous ne sommes pas loin d’une « privatisation de la Santé ».

Plus de 50% des dépenses de Santé sont assumés par les ménages. A cela s’ajoute le fait que la quasi-totalité des gens qui ont une couverture médicale privée et 93% des dépenses des personnes couvertes par l’AMO vont dans le secteur privé. Ce qui dénote de la faillite de l’hôpital public qui n’attire plus ni les malades ni le personnel médical.

Plusieurs facteurs expliquent cet afflux vers le secteur privé, selon Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert en économie de la Santé, qui en cite la confiance, les écarts en termes de matériel et d’équipements, la disponibilité des ressources humaines, etc. D’où la nécessité de hisser la qualité de l’hôpital public et d’améliorer sa gouvernance de sorte qu’il soit à même de rivaliser avec le secteur privé.

Le rapport de l’IRES a plaidé pour la mise en place d’un nouveau modèle, « hybride », fruit d’une interconnexion entre « public et privé, militaire et civil, physique et virtuel, local et international ». L’IRES a recommandé le partenariat entre le public et le privé. Une condition sine qua non pour reconstruire un système harmonieux.

Il faut au moins 12% du budget de l’Etat

En effet, les handicaps financiers demeurent l’une des entraves majeures de l’hôpital public, sous-équipé et mal aménagé. C’est la conséquence logique du budget dérisoire alloué au ministère de la Santé qui ne dispose que de 7% du budget de l’Etat, selon le CNDH, qui juge qu’il en faut au minimum 12%, selon les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Cette année, le gouvernement a tâché de sauver la mise en augmentant de 19% le budget alloué au département de Khalid Ait Taleb, pour le pousser à 23,5 MMDH. A cet égard, le rapport du CNDH plaide pour que le financement dans la Santé soit affranchi des considérations comptables et soit ainsi perçu comme un investissement dans la souveraineté sanitaire du pays. Un argument difficilement réfutable d’autant que la pandémie a confirmé les vertus de la souveraineté.

Ressources humaines : la fuite des médecins

Compte tenu de l’état lamentable de l’hôpital public, celui-ci n’a naturellement plus d’attrait aux yeux des médecins qui restent braqués sur l’étranger. Le CNDH estime qu’environ 14.000 médecins marocains exercent à l’étranger (surtout en France et en Allemagne), soit un médecin marocain sur trois. Cette hémorragie exacerbe le déficit des médecins dont le Maroc a besoin. Or, le pays est en manque de 32.000 médecins pour satisfaire ses besoins.

Pour mieux mobiliser les futurs médecins, l’Exécutif, rappelons-le, a réduit la durée des études à six ans, tout en augmentant les capacités d’accueil des Facultés. Une mesure qui s’ajoute à l’ouverture sur les compétences étrangères, rendue possible par la loi n° 131-13 et qui ne fait pas encore consensus.

Force est de reconnaître que toutes les options demeurent envisageables tant que le Royaume demeure incapable de former 3.000 médecins par an, comme prévu par la stratégie nationale, fixée par le gouvernement Jettou et qui n’a jamais été suivie d’effets.

Par ailleurs, la pénurie de médecins se fait sentir terriblement dans les régions éloignées puisque l’axe Tanger-Casablanca monopolise une grande partie du staff médical à l’échelon national. A cette problématique, l’IRES a proposé la e-santé comme moyen d’en atténuer les effets. (Voir trois questions à…).

De leur côté, les médecins du public ont été tellement déconsidérés, au cours des années précédentes, que la crise du Covid-19 a dévoilé combien ils ont une situation critique : surmenage, salaire dérisoire, conditions de travail difficiles, etc.

Aucune réforme du système de la Santé ne saura aboutir sans rendre justice à cette catégorie. Raison pour laquelle le gouvernement, après des négociations marathoniennes avec les syndicats, leur a accordé un valorisation salariale conforme au statut de BAC+8. Ainsi, le salaire passera de 8.000 à presque 12.000 dirhams.

En plus, le gouvernement est en cours de préparation de la loi relative à la Fonction publique de la Santé qui devrait comporter plusieurs incitations à la productivité et des motivations salariales. Il s’agit là d’une application de toutes les recommandations de tous les rapports afférents, dont celui du CNDH qui, en plus de la motivation, insiste sur la nécessité d’adapter la formation des médecins et de l’ensemble du personnel médical aux besoins spécifiques de la population dans une logique de médecine de proximité. Un service qui fait terriblement défaut.



Anass MACHLOUKH

L’info...Graphie


Modèle de Santé publique


La vision du NMD pour améliorer l’offre de soins
 
Selon le rapport de la Commission présidée par Chakib Benmoussa, le renforcement de l’offre de soins implique une forte amélioration de la densité de personnel soignant sur l’ensemble du territoire, et un pilotage efficace de l’offre de soins notamment au niveau régional.

Pour ce faire, le rapport estime qu’il va falloir atteindre une densité de personnel soignant de 4,5 pour 1000 habitants en 2035 contre 2 pour 1000 actuellement.

« Cela correspond, en moyenne, à 3.600 médecins et 7.100 infirmiers formés annuellement », lit-on sur le document qui détermine la politique du pays dans les dix années à venir.

En plus, le rapport propose d’augmenter les capacités de formation de médecins en renforçant les capacités des CHU et Facultés actuels (publics et privés), il est également proposé que le recrutement de médecins se fasse au niveau régional à travers des ouvertures de postes qui tiennent compte des besoins locaux.
 

Politique pharmaceutique et souveraineté


Deux enjeux indissociables
 
La pandémie du Covid-19 a démontré les bienfaits de la souveraineté sanitaire. Un sujet souvent débattu au Maroc depuis des mois dans le cadre de la préparation de la nouvelle politique pharmaceutique. Une réforme en gestation dont les grandes lignes ont été abordées lors du débat national qui a eu lieu en Juin 2021 et qui a rassemblé l’ensemble des acteurs concernés.

L’enjeu est de satisfaire les besoins du Maroc en médicaments à long terme sachant que l’industrie nationale ne serait en mesure de procurer que 53% des besoins après l’élargissement de l’AMO à toute la population. Ceci passe par le soutien de l’industrie marocaine, ayant une expérience considérable dans les médicaments génériques.

Toutefois, les complexités administratives, surtout en matière de procédures d’autorisation et de mises en marché, pèsent lourdement sur les laboratoires. Le souvenir des respirateurs 100% marocains et des tests de dépistage salivaires et les problèmes qui avaient défrayé la chronique sont toujours d’actualité. D’où la nécessité de lutter contre la bureaucratie à travers la mise en place d’une Agence nationale de médicaments qui soit autonome et numérisée.

Par ailleurs, la nouvelle politique pharmaceutique interpelle sur le nouveau rôle des pharmaciens dans le système de Santé. Ces derniers réclament d’être plus associés dans le système et qu’ils puissent avoir un rôle autre que commercial, à l’instar des pays avancés où les pharmaciens sont habilités à prodiguer certains soins élémentaires (vaccination, tests de dépistage, entre autres).
 

Trois questions à Jaâfar Heikel


« Il faut que le médecin de famille soit un passage obligé avant d’aller chez le spécialiste »
 
Jaâfar Heikel, Docteur en économie de la Santé, a répondu à nos questions sur les recommandations du rapport de l’IRES sur la réforme du système de Santé publique au Maroc.

- Comment développer une véritable e-médecine au Maroc qui demeure très limitée ?

- Le « E-health », ou la télémédecine, est considéré comme un outil indispensable au désenclavement des régions ayant le moins accès aux services de soins. Il s’agit également d’un moyen de faire bénéficier de façon ponctuelle les citoyens vulnérables de la médecine de proximité. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas d’une solution magique pour résoudre tous les problèmes liés à l’accès aux soins, aux médicaments, à la qualité des services et à la performance du système.

En définitive, c’est une manière d’atténuer les effets du manque de ressources humaines dans certaines régions et pour certaines spécialités. Ça va permettre de diagnostiquer plus facilement et mieux orienter les gens dans leurs parcours de soins.



-Vous insistez beaucoup sur la médecine de famille, comment la promouvoir ?

- Dorénavant, il faudra absolument donner de l’importance à la médecine de famille qui consiste à ce qu’il y ait un médecin référant pour une famille ou une collectivité. Il lui incombe de faire le suivi et la prévention. Je rappelle que lorsqu’on dépense 1 dirham dans la prévention, on en épargne huit dans les soins curatifs.

Ce médecin référant doit être formé de sorte à être adapté à cette fonction pour pouvoir prendre en charge les patients avant d’aller chez les spécialistes. Ceci passe par une réforme profonde des études de médecine qui, à mon avis, devront être suivies par trois ans d’exercice dans la médecine de famille.


- Le rapport fait mention du burnout social comme nouveau défi de santé publique, faut-il le prendre en compte dans le nouveau modèle de Santé ?


- Pour construire un nouveau modèle performant, il faut le faire dans une logique globale qui prend en compte les aspects social, sociétal, environnemental et économique parce qu’il faut garder en tête que les principaux déterminants d’une politique de Santé ne sont pas forcément biologiques, mais plutôt sociaux et économiques. D’où la nécessité d’attacher assez d’importance aux défis de santé publique auxquels nous aurons à faire face, j’en cite le burnout social et l’anxiété environnementale qui auront tendance à apparaître chez les jeunes générations.



Recueillis par A. M.

 



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