Le 29 janvier 1944 reste gravé dans l'Histoire marocaine comme une date charnière dans la lutte pour l'indépendance du Royaume alaouite. Ce jour-là, Casablanca fut le théâtre de manifestations massives qui révélèrent la montée en puissance d'un mouvement nationaliste déterminé à en finir avec le protectorat français. Entre espoir, répression et solidarité, le récit des événements marquants de cette journée historique s'est tout naturellement fait avec emphase et déclamation.
Mais au commencement fut la déclaration. Deux semaines avant cette date, le 11 janvier 1944, le futur Parti de l’Istiqlal avait présenté à la Résidence française un manifeste réclamant l'indépendance du Maroc. Ce document, signé par des figures emblématiques telles qu’Allal El Fassi et Ahmed Balafrej, appelait à la fin du protectorat instauré en 1912. Soutenant ces aspirations nationales, le Sultan Mohammed Ben Youssef joua un rôle clé en appuyant la légitimité de ces revendications.
Le climat était électrique mais les partisans de l’indépendance n'ont pas tardé à se mobiliser dans les grandes villes du pays, organisant des réunions en toute discrétion et distribuant des tracts. Casablanca, en tant que centre économique et carrefour culturel, devint rapidement un épicentre de l’agitation.
La manifestation du 29 janvier
Au matin du 29 janvier, les rues de Casablanca se remplirent de manifestants déterminés à faire entendre leur voix. Hommes, femmes, jeunes et séniors, drapeaux en main, scandèrent des slogans appelant à l’indépendance et à la fin de la domination coloniale. Le Manifeste de l’Istiqlal était sur toutes les lèvres, ses mots étant déjà appris par cœur.
Les autorités françaises, quant à elles, surprises par l’ampleur de la mobilisation, réagirent violemment et la police et l’armée furent rapidement déployées dans les quartiers populaires où les manifestations étaient les plus intenses, notamment à Derb Sultan et Derb El Kebir. Des barricades furent érigées par les manifestants pour se protéger des charges des forces de l’ordre et la suite n'est plus un secret pour personne.
La répression fut, hélas, brutale. Des coups de feu retentirent, des arrestations massives furent effectuées et de nombreux manifestants furent battus ou emprisonnés. Plusieurs blessés graves furent recensés et des vies furent perdues. Ce bilan tragique ne fit qu'attiser la colère et renforcer la détermination des nationalistes.
Les conséquences immédiates
Malgré la répression, les événements de Casablanca du 29 janvier 1944 eurent un impact profond. D'abord, ils montrèrent au monde la volonté inébranlable des Marocains de se libérer du joug colonial. Ensuite, ils accrurent la sympathie pour le mouvement nationaliste à l'échelle internationale, notamment parmi les pays arabes et musulmans.
Le Parti de l’Istiqlal, bien que temporairement muselé par la vague d’arrestations, sortit renforcé sur le plan moral et symbolique. Ces événements galvanisèrent ses partisans, qui poursuivirent leur lutte avec encore plus de ferveur dans les années suivantes.
Aujourd’hui, le 29 janvier 1944 est considéré comme une date emblématique de la lutte pour l’indépendance du Maroc. Elle symbolise le courage, la résilience et l’unité du peuple marocain face à l’oppression. Les noms des quartiers et des personnes impliqués dans ces événements sont encore évoqués avec respect et reconnaissance.
Cette journée rappelle que chaque pas vers la liberté exige des sacrifices, mais qu’une nation unie dans son aspiration à la justice finit toujours par triompher. L’écho des manifestations de Casablanca résonne encore, non seulement dans l’histoire du Maroc, mais également dans celle des luttes d’indépendance à travers le monde.
Ainsi, janvier 1944 incarne les prémices d’une révolution populaire, la naissance d’une nation indépendante, prête à prendre son destin en main. En célébrant ce mois, le Maroc honore non seulement son passé, mais aussi les valeurs de résistance, de liberté et de justice qui continuent de guider son avenir.
Coulisses : Janvier 1943, la naissance du Maroc contemporain
Alors que le Manifeste du 11 janvier demeure le premier acte juridique national d'indépendance, la Conférence d'Anfa est, quant à elle, le premier acte diplomatique international pour la libération du Maroc du joug du Protectorat. Cet événement, qui a posé les jalons du Royaume post-colonial, s'est déroulé du 14 au 24 janvier 1943.
Portant le nom de l'hôtel où elle s'est déroulée, la Conférence, qui a accueilli les réunions des futurs vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, a été décisive à la fois pour l'issue de la plus grande guerre de notre temps, la Seconde Guerre mondiale, et pour le recouvrement de l'indépendance du Maroc.
En se rendant à Casablanca, les Alliés (États-Unis, Grande-Bretagne et France) avaient pour objectif de dresser des plans crédibles pour une issue victorieuse de la guerre et de s'ancrer dans le nouvel ordre qui déterminerait l'équilibre du pouvoir mondial. Mais l'individualisme politique de la France du Résident Eirik Labonne en a voulu autrement.
"Lorsque les États-Unis ont compris que le principal intérêt stratégique de la France était de faire du Maroc un prolongement de l'Hexagone européen, sans tenir compte de ses intérêts communs avec ses propres alliés, Roosevelt a préféré écrire une nouvelle page au Maroc, avec le Maroc, celle de l'indépendance et de l'autodétermination du Royaume", explique l'historien Noureddine Belhaddad, spécialiste de la politique étrangère marocaine.
Ainsi, note notre interlocuteur, feu SM Mohammed V, ayant adhéré aux Alliés dans la riposte initiale contre le nazisme et le fascisme, a profité du capital compassionnel dont jouissait le Royaume pour mobiliser des soutiens de toutes parts, notamment des Etats-Unis, autour de son choix de négocier avec les puissances occidentales pour libérer le Maroc des chaînes du colonialisme.
Échos : Les réactions internationales aux «événements de Casablanca»
Les événements tragiques de Casablanca du 29 janvier 1944, marqués par la répression coloniale des manifestations nationalistes marocaines, suscitèrent une vague de réactions internationales. La presse française, notamment, joua un rôle central en relayant les aspirations des Marocains à l'indépendance tout en critiquant les méthodes coloniales. Plusieurs journaux influents exprimèrent leur soutien au droit des Marocains à la liberté.
Malgré le contexte colonial, certains journaux français adoptèrent un ton critique face à la répression exercée à Casablanca. Le quotidien Le Monde, dans un éditorial intitulé «Les Marocains ont soif de liberté», souligna que «il est dans leur droit le plus inaliénable de recouvrer l’indépendance qu’ils réclament avec courage et dignité». Ce plaidoyer, qui allait au-delà des cercles intellectuels, révélait une sensibilité croissante envers les aspirations nationalistes marocaines.
De manière similaire, le journal Combat, issu de la presse résistante, dénonça dans ses colonnes la violence des autorités françaises. Insistant sur le caractère inévitable d’une solution pacifique, il affirma que «la voix du peuple marocain ne peut être réduite au silence par la force», appelant à un dialogue avec les leaders nationalistes.
Par ailleurs, La Croix adopta une perspective plus modérée, mettant en avant les parallèles historiques entre les luttes d’indépendance et les principes d’autodétermination défendus lors de la Seconde Guerre mondiale. Selon ce journal, «les aspirations des Marocains à l’autodétermination rappellent les principes mêmes pour lesquels les Alliés ont combattu pendant la guerre mondiale», réaffirmant ainsi une solidarité implicite avec les causes anti-coloniales.
Enfin, L’Humanité, organe du Parti communiste français, adopta une critique plus radicale du système colonial. Le journal écrivait que «le Maroc, comme tant d’autres peuples opprimés, a le droit de choisir son destin sans ingérence ni oppression», une prise de position résolue qui résonna fortement parmi les militants anti-impérialistes.
Ces réactions, bien que diverses dans leurs approches, traduisent une fracture croissante au sein de l’opinion publique française vis-à-vis du système colonial. Alors que certaines voix conservatrices continuaient de défendre l’ordre établi, une partie de la presse et des intellectuels adoptèrent une posture critique, appelant à un examen des pratiques coloniales au Maroc et ailleurs.
Au-delà des frontières françaises, les événements de Casablanca commencèrent à attirer l’attention d’autres nations. Les journaux des pays arabes et musulmans relayèrent également la lutte marocaine, renforçant la solidarité régionale autour de la cause nationaliste. Les événements de Casablanca contribuèrent ainsi à inscrire la question marocaine dans un contexte plus large de décolonisation mondiale.
Ces réactions internationales participèrent à l’érosion de la légitimité du protectorat français au Maroc et renforcèrent la détermination des leaders nationalistes à poursuivre leur lutte pour l’indépendance.
Faits marquants : Moulay Abdelhadi Alaoui et la résistance face à la répression française
Depuis Paris, le héros national Moulay Abdelhadi Alaoui était considéré comme le principal initiateur du Manifeste de l'Indépendance. Il n'était guère apprécié par le Résident général de France au Maroc, le Maréchal Juin, à en croire les mémoires publiées en 1991 par le Président de l'Association Conscience Française, le Dr Guy Delanoë.
Face à la déferlante provoquée par la large diffusion du Manifeste, la réaction de la Résidence de France à Rabat ne se fait point attendre : de fortes et vaines pressions sont exercées sur le Sultan Mohammed ben Youssef pour qu'Il condamne publiquement le document et tous les signataires connus. De nombreux nationalistes déjà fichés par la police française au Maroc sont arrêtés.
Dans la nuit du 28 au 29 janvier 1944, Ahmed Balafrej, Secrétaire général du Parti de l'Istiqlal, et son adjoint Mohamed Lyazidi, sont arrêtés à Rabat, soupçonnés de conspirer avec les forces de l'Axe. Abdelaziz Bendriss et Hachemi Filali sont incarcérés à Fès.
Après ces premières arrestations, des manifestations et des soulèvements agitent le pays, faisant de nombreux morts et des arrestations à tour de bras, notamment dans les villes de Casablanca, Fès, Rabat et Salé. Les tribunaux militaires ont condamné à mort de nombreux résistants.
L'indignation suscitée par leur exécution, mêlée à l'admiration exprimée par les signataires du Manifeste, déclenche un élan populaire qui débouchera, onze ans plus tard, sur la fin du Protectorat et l'indépendance du Maroc, proclamée le 18 novembre 1955 par les autorités marocaines, deux jours après le retour d'exil du Sultan Mohammed Ben Youssef, et reconnue officiellement par la France le 2 mars 1956.
Rétrospective : Les médias marocains, ces garde-fous de la répression
Les événements de Casablanca du 29 janvier 1944 ne laissèrent pas indifférents les médias nationalistes marocains, qui jouèrent un rôle crucial dans la mobilisation de l’opinion publique et la dénonciation des exactions coloniales. Ces journaux, rédigés souvent dans des conditions difficiles sous le contrôle étroit des autorités du protectorat, réussirent à faire entendre la voix du mouvement nationaliste marocain.
Organe officiel du Parti de l’Istiqlal, notre confrère Al Alam publia des articles poignants qui mettaient en lumière les faux pas des colons face à des manifestants pacifiques. Dans un éditorial, le journal soulignait que «le sang versé dans les rues marocaines est le témoignage indélébile de l’aspiration du peuple marocain à retrouver sa liberté et sa souveraineté». Ce discours empreint de résistance était destiné à galvaniser les militants tout en attirant l’attention des observateurs étrangers.
Un autre journal marquant, Sawt Al Maghrib, adoptait un ton tout aussi virulent, qualifiant la répression d’«acte barbare incompatible avec les principes humanistes proclamés par la France elle-même», en appelant à une unité nationale renforcée pour résister à l’occupation. Ce média fut particulièrement actif dans la mise en lumière des figures de la résistance marocaine, contribuant à établir des héros nationaux aux yeux de la population.
Ces médias, bien que limités par les contraintes imposées par le protectorat, furent des instruments essentiels dans la lutte pour l’indépendance. Ils contribuèrent à façonner une conscience nationale et à tenir tête à une machine coloniale qui tentait par tous les moyens de museler les voix discordantes.