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Interconnexion Maroc - Mauritanie : Premier pas vers un marché électrique régional [INTÉGRAL]


Rédigé par Soufiane CHAHID Jeudi 6 Février 2025

Ce 4 février, le directeur général de l’ONEE et son homologue mauritanien de la SOMELEC ont signé un accord pour la réalisation d’une interconnexion électrique entre les deux pays voisins. Ce projet s’inscrit dans une vision plus globale pour mettre en place un système électrique intégré reliant l’Afrique de l’Ouest, les pays du Sahel, le Maroc et, au-delà, l’Europe.



Rabat et Nouakchott posent les premières bases de l'un des projets énergétiques les plus ambitieux du continent. Ce 4 février, dans la capitale mauritanienne, les directeurs généraux des entreprises publiques d’électricité, Tarik Hamane pour l’Office National de l'Électricité et de l'Eau potable (ONEE) et Sidi Salem Mohamed Elabd pour la Société Mauritanienne d'Électricité (SOMELEC), ont signé un accord pour le développement et la réalisation de l'interconnexion électrique entre les deux pays.
 
Cet accord intervient à peine moins de deux semaines après le déplacement au Maroc du ministre mauritanien de l’Énergie et du Pétrole, Mohamed Ould Khaled, pour y rencontrer son homologue marocaine, Leila Benali, afin de signer plusieurs protocoles d’accord dans le domaine énergétique, dont celui portant sur la mise en place d’un projet d’interconnexion visant à stabiliser les réseaux des deux pays et à améliorer l’approvisionnement en électricité.
 
Ce projet est loin d’être un simple accord de coopération bilatérale, puisqu’il s’inscrit à l’échelle de toute la région ouest-africaine et bien au-delà. En effet, l’axe Maroc-Mauritanie constitue la colonne vertébrale d’un vaste projet électrique régional couvrant près de 500 millions d’habitants. Sur le modèle du réseau électrique de l’Europe continentale, le plus grand du monde, la région de l’Afrique de l'Ouest, incluant les pays du Sahel, le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc et, par-delà, l’Europe, pourrait former un réseau électrique interconnecté et complémentaire.

Le 4 février, les DG de l’ONEE et de la SOMELEC ont signé l’accord d’interconnexion électrique.
Le 4 février, les DG de l’ONEE et de la SOMELEC ont signé l’accord d’interconnexion électrique.
A pied d’œuvre
 
 
Les deux pays sont les points nodaux de cet immense réseau : le Maroc, qui constitue le lien naturel entre l’Europe et le reste de l’Afrique, et la Mauritanie, qui, par sa position géographique, relie les pays du Sahel, le Sénégal et le Maroc. Ils sont déterminés à mener ce chantier à terme, puisque dès la signature de l’accord du 4 février, les équipes techniques de l’ONEE et de la SOMELEC se sont immédiatement mises à pied d’œuvre en entamant des travaux de concertation.
 
La première étape concerne les études techniques relatives à la mise en place de l’interconnexion électrique sur 350 km entre Dakhla et Nouadhibou, qui constitueront les points de raccordement aux réseaux des deux pays. Ces études devront ensuite définir les normes d’exploitation des réseaux, les modalités de tarification et finaliser le montage financier du projet, dont la mise en œuvre pourrait s’étaler sur plusieurs années, selon des spécialistes consultés par «L’Opinion».
 
 
Ancrage européen
 
 
Cette interconnexion viendra raccorder les toiles électriques que chacun des deux pays a patiemment tissées au fil des années autour de son territoire. D’abord, le Maroc qui, depuis trois décennies, renforce son ancrage au réseau électrique européen. Effectivement, entre 1997 et 2006, le Maroc et l'Espagne ont mis en service deux lignes de 400 kV d'une capacité combinée de 800 MW, composées de sept câbles reliant le terminal de Tarifa à celui de Fardioua (près de Ksar Sghir).
 
Une troisième interconnexion entre le Maroc et l’Espagne est déjà en développement et devrait entrer en service à l'horizon 2026. L’autre pays ibérique sera également raccordé au Royaume dans un avenir proche. En effet, en mars 2023, en marge de la COP28, qui s’est tenue à Dubaï, la ministre de l’Énergie, Leila Benali, et son homologue portugais, Duarte Cordeiro, ont signé une déclaration conjointe relative à un projet d’interconnexion électrique. Le projet est actuellement en cours d’études techniques et d’évaluation financière.
 
 
Le hub mauritanien
 
 
Notre voisin du Sud partage aussi cette volonté d’être au centre d’un réseau électrique régional, une vision sur laquelle il travaille depuis longtemps. “De par sa position géographique, la Mauritanie est déjà identifiée comme hub énergétique régional dans les deux directions Sud-Nord (Mauritanie-Maroc-Europe) et Nord-Sud (Mauritanie-Sahel-Afrique de l’Ouest). Elle représente ainsi un véritable point d’ancrage de la coopération énergétique Sud-Sud”, nous explique Hassana Mbeirick, expert mauritanien en énergie et PDG de Meen & Meen, une société mauritanienne d'ingénierie et de conseil dans le domaine du pétrole et du gaz.
 
La Mauritanie est au cœur du dispositif de déploiement des projets WAPP (West Africa Power Pool), un programme visant à créer un système d’échange d’énergie électrique en Afrique de l’Ouest. Son objectif est d’intégrer les réseaux électriques nationaux de 14 pays dans un marché régional unifié. Même si le Maroc n’est pas membre, l’ONEE compte parmi les 27 compagnies électriques nationales impliquées dans ce programme.
 
Ce projet est déjà bien avancé et s'est accéléré ces dernières années côté mauritanien. En janvier 2024, Nouakchott a signé avec la Banque Africaine de Développement (BAD) un accord de financement de 273,5 millions de dollars pour le projet d'interconnexion électrique en 225 kV entre la Mauritanie et le Mali, ainsi que le développement de centrales solaires associées. Ce projet prévoit la construction d'une ligne haute tension de 1.373 kilomètres, avec une capacité de transit de 600 MW entre les deux pays.  
 
Avec le Sénégal voisin, l'interconnexion électrique est opérationnelle depuis 2016, à travers une ligne de 225 kV alimentée par une centrale électrique duale de 180 MW située à Nouakchott. Cette ligne a été renforcée depuis pour améliorer la stabilité et la capacité d'échange d'électricité entre les deux pays.
 
 
Du Sénégal à l’Espagne
 
 
D’ailleurs, “la Mauritanie a toujours été considérée comme un élément central dans toutes les études d’interconnexion électrique du Sud vers le Nord de l’Afrique avec en particulier l’étude de la BAD datant de juillet 2011 : “Étude d’interconnexion des réseaux électriques Sénégal – Mauritanie – Maroc – Espagne””, rappelle notre expert.
 
Selon cette étude, le développement du réseau de transport d’électricité destiné à concrétiser l’interconnexion Sénégal-Mauritanie-Maroc-Espagne est déjà bien avancé. D’importants tronçons de cette ligne d’interconnexion sont soit déjà réalisés, soit en cours de construction ou d’étude. Pour le tronçon restant, Nouadhibou-Dakhla, la BAD propose une ligne 225 kV biterne (ligne électrique à deux circuits sur un même support, permettant une meilleure capacité de transport et une plus grande fiabilité), avec une capacité d’échange de 300 MW.
 
 
Potentiel renouvelable
 
 
Pour rentabiliser cet investissement, la BAD parie dans cette étude sur l’exceptionnel potentiel énergétique de cette zone. Le Sud du Maroc et le Nord de la Mauritanie partagent des conditions climatiques et géographiques similaires, notamment en termes d’ensoleillement et de régimes de vents, offrant d'importantes perspectives pour le développement et l’exploitation des énergies renouvelables.
 
Ce potentiel est particulièrement important dans l’éolien, notamment à Dakhla et Nouadhibou, où les conditions de vent comptent parmi les plus favorables au monde. Ces dernières années, plusieurs parcs ont vu le jour dans les deux zones afin de valoriser cette ressource exceptionnelle. “Ce sont là autant de facteurs stimulants pour ériger entre la Mauritanie et le Maroc une synergie autour de ce que moi j’appelle un “Corridor énergétique” entre nos deux pays”, conclut Hassana Mbeirick.
 

3 questions à Hassana Mbeirick : “Le surplus combiné de nos productions maroco-mauritaniennes d’électricité sera destiné à l’exportation vers l’Europe”

Expert mauritanien en énergie et PDG de Meen & Meen, une société mauritanienne d'ingénierie et de conseil dans le domaine du pétrole et du gaz, Hassana Mbeirick a répondu à nos questions concernant les objectifs de l’interconnexion électrique Maroc-Mauritanie.
Expert mauritanien en énergie et PDG de Meen & Meen, une société mauritanienne d'ingénierie et de conseil dans le domaine du pétrole et du gaz, Hassana Mbeirick a répondu à nos questions concernant les objectifs de l’interconnexion électrique Maroc-Mauritanie.
  •  Comment ce projet peut-il contribuer à réduire la dépendance énergétique des deux pays vis-à-vis des énergies fossiles ?
 
Tout d’abord, l’interconnexion électrique entre la Mauritanie et le Maroc devrait être perçue sous l’angle de la sécurité énergétique des deux pays, en plus d’être un substantiel levier d’intégration régionale. Dans une certaine mesure, la production de l’électricité en Mauritanie utilisera principalement deux sources dont une propre et renouvelable (le solaire et l’éolien) et l’autre propre et non renouvelable (le gaz naturel) par le biais de ce qui est communément appelé le gas-to-power. Ceci dit, le degré de dépendance de nos deux pays vis-à-vis des énergies fossiles demeurera assujetti à l’échelle d’accroissement de notre mix énergétique respectif. En d’autres termes, autant sera élevée l’intégration des énergies renouvelables dans nos systèmes de production d’électricité, autant sera amoindrie notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles.
 
  • Quelles sont les potentialités énergétiques de la région située au Nord de la Mauritanie et au Sud du Maroc ?
 
Selon une étude de l’IRENA datant de 2021, la Mauritanie disposerait d’un potentiel solaire photovoltaïque d‘environ 457 GW et d’un potentiel éolien de 47 GW principalement concentré en termes d’irradiation et de vitesse du vent dans le Nord du pays. La Mauritanie compte différentes sources d’énergies renouvelables. Le potentiel photovoltaïque (PV) solaire est estimé à 2000-2300 kWh par mètre carré par an (kWh/m2/an), les mesures de rayonnement les plus faibles correspondant aux ressources solaires les plus élevées en Europe méridionale. Du côté du Maroc, on sait que les provinces du Sud du Royaume regorgent d’un potentiel solaire et éolien significatif et qui déjà abrite, en 2024, une capacité installée des énergies renouvelables de 5,3 GW, représentant 44,3% de la capacité globale installée au Maroc. Ce sont là autant de facteurs stimulants pour ériger entre la Mauritanie et le Maroc une synergie autour de ce que moi j’appelle un “Corridor énergétique” entre nos deux pays. Développé conjointement, le surplus combiné de nos productions d’électricité sera destiné à être exporté vers l’Europe à travers les connexions déjà existantes (et à renforcer) entre le Maroc et l’Espagne ainsi qu’avec le Portugal.
 
  • En quoi l’entrée en production du gisement gazier GTA redéfinit-elle la vision énergétique de la Mauritanie ?
 
Pour la Mauritanie, le développement de ses gisements gaziers – que ce soit le projet GTA qui est en cours de production ou le champ gazier Banda, ainsi que le gigantesque champ Birallah – s’inscrit en priorité dans sa politique de sécurité énergétique intérieure ainsi que du développement de son tissu industriel par la production du gas-to-power. Ensuite, il s’agira de participer à l’intégration énergétique régionale africaine par le déploiement d’interconnexions électriques autant vers le Nord que vers le Sud.

​Gazoduc Afrique-Atlantique : L’autre projet d’intégration

Aux côtés de l’interconnexion électrique, un autre projet énergétique lie le Maroc et la Mauritanie et vise une intégration énergétique régionale : le gazoduc Afrique-Atlantique. À la suite de la rencontre entre les deux chefs d’État le 20 décembre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani ont affirmé leur détermination à développer des projets stratégiques, en particulier le gazoduc Afrique-Atlantique. 
 
L'accord intergouvernemental pour ce projet devrait être signé au cours du premier trimestre 2025, et les travaux seraient réalisés en plusieurs phases, dont la première concernerait le tronçon Sénégal-Mauritanie-Maroc. Ce tracé traversera le nouveau champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à 115 kilomètres des côtes mauritano-sénégalaises et exploité conjointement par les deux pays. 
 
Ce gisement, l'un des plus importants d’Afrique, pourrait-il être connecté au futur gazoduc et utilisé pour exporter du gaz vers l’Europe ? Cette option est encore à l’étude. Pour l’instant, le gaz est exporté sous forme de GNL, cette solution offrant une grande flexibilité en matière d’exportation, avec la possibilité de vendre du gaz en Europe, en Asie et en Amérique du Sud. 
 
L’utilisation du gazoduc Afrique-Atlantique pour exporter le gaz naturel extrait du gisement sénégalo-mauritanien dépendrait du marché cible et de l’engagement des acheteurs à conclure des contrats d’achat de long terme, condition essentielle pour justifier l’investissement dans une telle infrastructure.
 

​Initiative Atlantique : Désenclaver énergétiquement le Sahel

Lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, l'Initiative Atlantique en faveur des pays du Sahel vise à désenclaver le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad en leur offrant, à travers un corridor logistique, un accès à la mer et donc au commerce international via le futur port de Dakhla-Atlantique.
 
Évidemment, de par sa position stratégique, ce corridor passera par la Mauritanie, qui a exprimé son intérêt à participer au projet. Mais ce désenclavement pourrait aussi être énergétique, puisque les populations de ces pays ont un accès très restreint à l’électricité, oscillant entre 35% pour le Mali et à peine 8% pour le Tchad.
 
Avec cette future connexion électrique Maroc-Mauritanie, les deux pays pourraient fournir de l’électricité à ces nations, en leur permettant de tirer parti de leurs ressources en énergie renouvelable ou en les aidant à accéder à une énergie importée à moindre coût, facilitant ainsi leur électrification et, par conséquent, leur développement économique.