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Actu Maroc

Simon Martin : «Nos deux Royaumes veulent établir un partenariat stratégique»

Interview exclusive avec l’ambassadeur du Royaume-Uni


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 13 Mars 2021

Accord d’association, libre-échange, coopération militaire, énergies renouvelables et futurs investissements britanniques au Maroc, le nouvel ambassadeur du Royaume Uni ébauche les contours du prochain partenariat maroco-britannique à l’ère du post-Brexit.



Simon Martin
Simon Martin
- Vous avez annoncé un Sommet de haut niveau entre deux délégations marocaine et britannique qui aura lieu prochainement à Londres, pouvez-vous nous en parler davantage ?

- En effet, il s’agit d’une rencontre qui sera organisée probablement par vidéoconférence, dans quelques semaines. Elle fera suite à l’entrée en vigueur de l’accord d’association entre le Maroc et le Royaume Uni. C’est un Sommet ministériel auquel prendront part plusieurs membres des gouvernements des deux pays, dont les ministres du Commerce, d’Industrie, d’Economie et des Affaires étrangères, afin de discuter des perspectives de concrétiser la nouvelle association. Plusieurs sujets seront à l’ordre du jour, à savoir la promotion du commerce, les investissements, et d’autres sujets politiques d’intérêt commun. Comme vous savez, cet accord si important constitue le cadre d’un nouveau partenariat entre les deux pays, et en sera l’ébauche. J’ajoute que l’un des principaux objectifs que nous cherchons est de déboucher sur un vrai partenariat commercial, avec l’élimination des barrières le maximum possible, dans le but de booster les échanges. C’est d’autant plus important que le potentiel qui existe entre les deux pays est promettant. 

- Concernant l’accord d’association, quels en sont les enjeux et comment il sera concrétisé ?

- Nous espérons aller très vite dans la mise en œuvre de cet accord pour atteindre le niveau d’un partenariat stratégique. En premier lieu, il est prévu d’en mettre en place les structures et les fondements, et c’est l’un des objectifs du Sommet ministériel. Cependant, il s’agit d’un processus de longue durée qui prendra peut-être des années, tant les domaines de coopération sont variés. J’en cite le commerce, l’agriculture, les finances, la défense, et l’éducation, etc. Pour ma part, je suis très optimiste pour l’avenir, vu le degré d’engagement des deux gouvernements marocain et britannique pour réussir ce chantier.

- Vous avez parlé de développement du commerce, peut-on s’attendre à un accord de libre-échange dans les années à venir ?

- Oui, c’est une hypothèse envisageable, et nous l’espérons de notre plein cœur. Toutefois, il est important de souligner que l’accord d’association est en soi une forme de libre-échange, vu qu’il permet d’échanger plusieurs produits librement avec quelques exceptions. En fait, l’accord contient plusieurs dispositions relatives au traitement préférentiel qui sont identiques à celles de l’accord de libre-échange signé entre le Maroc et l’Union Européenne. Ce que nous pouvons faire actuellement, c’est de libéraliser davantage des échanges commerciaux, dans les deux directions, en allégeant les barrières normatives. Ceci sera plus facile maintenant que nous sommes indépendants de l’UE, d’autant que les économies marocaine et britannique sont complémentaires. C’est-àdire que chaque pays a des avantages concurrentiels dans des secteurs précis, et ceci nous permettra de garantir un partenariat mutuellement bénéfique. 

- Restons dans l’agriculture, le Maroc ne couvre que 0,4% des importations agroalimentaires du Royaume-Uni. Après le Brexit, le Maroc pourrait-il devenir fournisseur de produits agricoles et halieutiques de premier plan pour l’UK dans les années à venir ?

- En effet, les opportunités existent des deux côtés. Les deux pays peuvent booster leurs exportations agricoles l’un vers l’autre. D’ailleurs, nous en avons d’ores et déjà parlé avec le gouvernement marocain. L’enjeu est de booster les exportations de produits agricoles et halieutiques marocains vers le marché du Royaume-Uni, sans que cela soit préjudiciable aux agriculteurs britanniques. Il convient donc de booster les produits où existe une complémentarité entre les deux pays et maintenir un minimum de normes et de barrières dans ceux où il y a une forte concurrence. Prenons l’exemple des tomates, qui sont produites abondamment dans les deux pays. Même dans ce cas, nous allons trouver une formule adéquate qui peut hisser les échanges de ce produit, de sorte à préserver les producteurs des deux pays. 

- Venons maintenant au business, les milieux d’affaires britanniques sontils intéressés par le marché marocain ? Quels sont les secteurs d’investissement qu’ils jugent les plus attractifs ?

- Oui, je peux vous témoigner le grand intérêt que portent les hommes d’affaires et les entreprises britanniques au Maroc. Ils sont de plus en plus conscients des opportunités d’investissements qu’offre le marché marocain. Je rappelle que nous disposons d’une bonne base de départ. Le volume des IDE britanniques vers le Maroc s’élèvent déjà à 228 millions de livres sterling. A nos yeux, il existe d’immenses secteurs attractifs au Maroc tels que le secteur aéronautique, agricole, touristique, où nous, en tant que responsables, encourageons les entreprises à y investir avec plus d’accompagnement et de mesures incitatives. En plus, le Maroc est devenu un acteur incontournable en Afrique, ce qui augmente l’horizon des investissements. En tant qu’ambassadeur nommé après le Brexit, je suis plein d’optimisme pour les années à venir.

- Donc, peut-on comprendre que le Royaume Uni perçoit le Maroc comme un portail vers l’Afrique ?

- Oui, tout à fait, surtout que la Grande Bretagne est bien enracinée en Afrique, et nous sommes parmi les plus grands pourvoyeurs d’IDE dans le continent, et ceci revient à nos rapports privilégiés avec plusieurs pays anglophones dans le cadre du Commonwealth. Par ailleurs, force est de constater que le Maroc a accru sa présence et son influence en Afrique francophone de façon remarquable durant les vingt dernières années, et nous en prenons acte sérieusement. En plus, nous sommes persuadés qu’il existe une véritable synergie entre nos deux pays dans le marché africain, et ce, dans plusieurs secteurs. Le secteur bancaire en est l’un des plus importants, étant donné l’enracinement des banques marocaines et anglaises dans plusieurs pays africains. Nous avons l’exemple du « CDC Investments Work », qui a investi dans la BMCE Bank of Africa à hauteur de 200 millions de dollars, vu qu’il y voit un opérateur de taille dans les pays où les banques britanniques ont peu d’expérience. Cela prouve que les entreprises, et notamment les banques marocaines et britanniques, peuvent investir conjointement dans certains pays.

- Y a-t-il une possibilité que les entreprises anglaises puissent installer des filiales au Maroc ?

- En effet, je ne saurai vous dire si nos entreprises comptent s’installer au Maroc actuellement, notre rôle est de leur faciliter la tâche en cas où elles en affichent la volonté, et de les inciter. D’ailleurs, la mise en place des partenariats public-privé, de façon remarquable au Maroc, est un facteur incitatif puisqu’il permet aux capitaux étrangers d’investir dans des projets de développement et dans les grands chantiers d’infrastructures. 

- Le Maroc compte faire de Casa Finance City un centre financier régional en Afrique, cette nouvelle place financière peut-elle servir de rampe de lancement aux capitaux britanniques à destination d’Afrique de l’Ouest ?

- Oui, absolument. Comme il est connu de tout le monde, le Royaume Uni dispose d’une expertise considérable dans le domaine financier, vu son Histoire, et le statut de la City de Londres, en tant que plus grand centre financier au niveau mondial. La présence des banques anglaises au Maroc et notamment à Casablanca Finance City reste modeste bien qu’elle augmente un peu. Le pôle financier de Casablanca est en constante expansion, et il est certain que les banques, fonds d’investissements britanniques et d’autres groupes financiers y voient des opportunités à saisir, d’autant que ce nouveau hub financier va certainement leur permettre d’investir plus rapidement dans les pays africains, que ce soit dans des projets de développement ou d’autres projets. Pour résumer, les banques britanniques pourraient investir dans quelques pays africains en passant par Casablanca Finance City.

- Vous insistez beaucoup sur la coopération culturelle, et particulièrement en matière d’éducation, y aura-t-il une intensification des programmes d’échanges estudiantins et des programmes culturels ?

- Lors de mon court séjour au Maroc, j’ai remarqué à quel point les jeunes marocains sont-ils intéressés par les universités britanniques et par le système anglo-saxon. Pourtant, le nombre de bénéficiaires des bourses et les programmes culturels restent en décà de nos ambitions. Pour cette raison, nous voulons travailler davantage avec nos collègues du ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur afin de développer la coopération entre les universités des deux pays, en mettant en place des cursus en anglais, et pourquoi pas l’étendre vers la recherche scientifique. En outre, nous songeons même à faire venir des campus d’universités anglaises, et travailler plus sur la reconnaissance mutuelle des diplômes.

J’en suis très enthousiaste, parce que l’ouverture sur le système anglo-saxon va permettre aux étudiants marocains de chercher des métiers internationaux, et aux entreprises d’internationaliser leurs activités au niveau mondial, grâce à des compétences anglophones.

- Les énergies renouvelables constituent un grand levier de coopération entre les deux pays, le Maroc investit beaucoup dans ce secteur, des informations évoquent un projet de câble sous-marin de liaison électrique entre les deux pays. Le Maroc peut-il devenir un fournisseur d’électricité verte du Royaume Uni ?

- Concernant le câble maritime, j’en ai entendu parler, or, ça reste une hypothèse fort probable. Un projet pareil sera d’une utilité inouïe vu qu’il sera destiné à fournir de l’énergie verte. A ce titre, le Maroc est un leader en la matière, il suffit de voir les prouesses réalisées jusqu’à présent, avec la centrale Nour de Ouarzazate. En plus, le Maroc est un pays très ensoleillé, avec des capacités gigantesques de production électrique. Le gouvernement du Royaume Uni veut évidemment contribuer au développement de ce secteur au Maroc, à travers des offres de financements adaptés tel que le programme « UK Export Finance ».  

- Est-ce qu’il y aura au moins des lignes maritimes directes entre le Maroc et le Royaume Uni ?

- Ça sera une très bonne nouvelle. Actuellement, les lignes maritimes passent forcément par d’autres ports européens. Quoique je n’en ai pas assez d’informations, j’estime que la liaison maritime directe n’est qu’une question de temps. C’est d’autant plus nécessaire que la hausse du commerce entre nos deux pays accélérera ce projet. 

- Quelques informations ont circulé récemment annonçant la reprise du projet du tunnel sous-marin reliant le Maroc et l’Europe en passant par le détroit de Gibraltar, qu’en pense le gouvernement britannique et serait-il disposé à accepter un tel projet ?

- Honnêtement, nous ne sommes pas au courant d’un projet pareil. Je vous rappelle que Gibraltar est un territoire d’Outre-Mer, avec un gouvernement autonome, sous souveraineté britannique. Ceci veut dire que le gouvernement de Sa Majesté n’est pas compétent en matière d’infrastructure. 

- La signature d’un accord d’association pourrait être le prélude d’un partenariat stratégique, entre les deux pays, qui s’étend à la coopération militaire ?

- La coopération dans le domaine de la Défense existe déjà à un niveau important, en particulier dans les exercices et manœuvres militaires conjoints, y compris ceux des forces spéciales. En sus, les états-majors des deux pays entretiennent de bonnes relations. Le niveau de coopération dans ce domaine ne manquera pas de grandir au futur. D’ailleurs, les officiers marocains sont de plus en plus formés en anglais, surtout dans l’Académie militaire de Meknès, ce qui est d’une importance considérable. S’agissant de l’industrie militaire, nous entendons assister davantage le Maroc dans l’industrie des équipements. Mais cela prendra du temps. 

- Concernant l’affaire du Sahara, la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara serait-elle en mesure de changer la position actuelle du gouvernement britannique ?

- Actuellement, il n’y a aucune raison de changer la position du RoyaumeUni, qui reste attaché au processus onusien, dont le but est de trouver une solution mutuellement acceptable pour les deux parties du conflit. Concernant la reconnaissance américaine, j’estime que nous n’avons pas encore atteint le stade de songer à une mesure pareille, et j’en reste là.

- Mais les Nations Unies ont reconnu la crédibilité et le réalisme du plan d’autonomie proposé par le Maroc, qu’estce que vous en pensez ?

- Oui, notre gouvernement a reconnu et loué à plusieurs reprises les efforts fournis par le Maroc pour trouver une solution à ce différend, et nous espérons y parvenir le plutôt possible. Nous concentrerons nos efforts dans le rapprochement des points de vue afin de déboucher sur une solution plus ou moins acceptée par tous. 

- Vu l’importance des relations bilatérales entre les deux royaumes suite à la signature de l’accord d’association, pouvons-nous nous attendre à des rencontres entre chefs d’Etat au futur ?

- Personnellement, je l’espère bien, ce serait une merveilleuse nouvelle pour les deux pays et une aubaine pour la coopération bilatérale, étant donné le pois des deux chefs d’Etat dans la promotion des relations et le rapprochement entre les gouvernements. La dernière visite officielle date de 1987 où feu Hassan II a été reçu par la reine Elisabeth II. Comme vous le savez, la pandémie a perturbé l’agenda diplomatique. Je ne peux dire actuellement, mais je vous assure que notre gouvernement comme le vôtre seront enchantés d’une visite royale.

Propos recueillis par
Anass MACHLOUKH

Portrait

Simon Martin : la nouvelle voix de la Reine à Rabat
 
Nommé par la diplomatie britannique, Simon Martin a présenté ses lettres de créance au ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita le 28 septembre 2020. Une nouvelle étape de sa carrière diplomatique, après avoir conduit la mission diplomatique de son pays au Bahreïn de 2015 à 2019. M. Simon dispose d’une carrière prolifique, a rejoint le Foreign Commonwealth Office en 1984 et a servi à Londres, Rangoon, Budapest et Prague dans un certain nombre de rôles politiques et commerciaux.

Il a pris des fonctions importantes au sein du Foreign Office, en occupant des postes sensibles. Lors de la crise du Golfe qui a eu lieu de 1990 à 1991, il a pris part au Bureau d’urgence de gestion de la crise. Il s’est occupé ensuite des affaires de sécurité, en tant que Chef du Département des drogues et de la criminalité internationale. Un an plus tard, il a pris les commandes du Département de la coordination de la sécurité.

Il avait occupé d’autres types de poste diplomatiques, il fut secrétaire privé adjoint de TRH le Prince de Galles et la duchesse de Cornouailles de 2012 à 2014. Il fut également Directeur du protocole au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth et vice-maréchal du corps diplomatique de 2009 à 2012.

Après sa nomination au Maroc, le nouvel ambassadeur est chargé d’accompagner la mise en œuvre de l’accord d’Association entre le Maroc et le Royaume Uni, signé en 2019. Il est également chargé de rapprocher les cercles politiques et économiques des deux pays. Il a d’ores et déjà entamé des rencontres avec les hommes politiques marocains dont le chef du Parti de l’Istiqlal Nizar Baraka.








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